Bang show

Le 29/08/2007
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par Nephtlys
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Si c'est supposé être drôle, c'est réussi. Nephtlys nous raconte sa banlieue en version extrême-glauque. Drogue, violence, SIDA, misère, enlèvements, maladie mentale, prostitution, tout y est comme dans un catalogue. On dirait un sketch. A chaque nouveau coup dur on a envie de faire la hola. Bizarrement j'ai pas l'impression que c'était l'effet recherché.
17h30. L'heure de pointe dans les stations de métro.
J'habite dans la très originale banlieue de Paris. Ouais, celle qu'on voit à la télé, celle que les policiers ont l'air de vouloir sécuriser mais qu'en fait, on les voit jamais dans le coin. Celle avec ses immeubles en barres qui puent de façon très variée. Les caves, c'est plutôt le foutre, ou la chair en décomposition, dans les cas extrêmes. Les escaliers sentent la pisse et le clodo, et y'a comme une brume senteur shit dans les couloirs. Logements sociaux, qu'ils appellent ça.
Au départ, j'y vivais avec une partie de ma famille: le frère et la soeur, la mère et le père, classique. Mon frère a chopé le sida en jouant dans le bac à sable. Bon, c'est vrai quoi, une seringue, au milieu des déchets, des tessons de bouteilles et des merdes de chien, ça passe relativement inaperçu. Et puis c'est toujours mieux que la fille du voisin qui s'est faite défigurer par un bâtard de chien, ou un chien bâtard, comme vous voulez. Au moins lui, ça se voyait pas. C'est quelques années plus tard, quand il a commencé à se payer des taches roses un peu partout, que ça s'est vu. Séropositif, c'est pas bien accepté par la société. Alors il expliquait qu'il aimait se maquiller. Après ça, il était taxé de pédé. Allez savoir le pire, entre les deux. Il a fini par mourir, après, bien sûr.
Par contre, l'absence de ma soeur se voyait, elle. Quelle idée aussi d'aller faire de la balançoire en robe, seule, à 6 ans. On ne sait pas trop ce qu'il s'est passé, toujours est-il qu'elle n'est plus là. C'en était trop pour ma mère, on l'a retrouvée pendue au balcon.
C'est comme ça que je me suis retrouvée seule avec mon père. Mon père, que j'entendais hurler "AAAARRRRGHHH" dans son sommeil. Et même qu'après, c'était aussi quand il dormait pas. En plus de ça, il devenait peu à peu parano, et si j'avais à lui adresser la parole, valait mieux pas que ce soit quand il avait quelque chose en main. Ses AAAARRRRGHHH m'insupportaient, un peu. J'ai rencontré Rémi, de l'étage au dessus, dealer officiel de l'immeuble. Premier spliff, c'était cool, mais au bout d'un moment, il me fallait autre chose. Alors, premier shoot. Et c'était cool. Seul problème: j'avais zéro thune, et je me voyais mal aller demander à mon père de quoi me droguer pour pouvoir ignorer ses AAAARRRRGHHH. On a trouvé un super terrain d'entente, Rémi et moi. Il me baisait, ses copains me baisaient, des inconnus me baisaient, ça lui rapportait de la thune, la thune que je pouvais pas lui donner, et en échange j'avais mes doses. C'est sûrement l'un d'eux qui a eu la gentillesse de poster des films porno à l'intention de mon père. Avec sa fille, dans le rôle principal. Il a fait "AAAARRRRGHHH" et il a enchaîné avec "TRAINEE, PUTE, GROSSE PUTE, TU CROIS QU'ON AVAIT BESOIN DE ÇA, AVEC TOUT CE QUI NOUS EST DEJÀ TOMBE SUR LA GUEULE ??? AAAARRRRGHHH, DEGAGE D'ICI, SALOPE !!" et je me suis retrouvée sur le palier avec un string jeté en même temps que moi. J'allais pas aller très loin, avec ça. J'ai frappé chez Rémi, je lui ai expliqué la situation, il m'a dit de virer et qu'il voulait pas s'emmerder avec une putain, et qu'en plus de ça, je l'avais bien cherché.
Alors j'ai traîné la rue, et puis à force, je l'ai apprise. J'ai appris à éviter les proxénètes, les violeurs, les faux clochards, les meurtriers, les voleurs... Enfin, ça marche pas à chaque fois, bien sûr, il m'est arrivé de me retrouver dans une de ces caves moisies avec un matelas pourri comme seul meuble, ou de me ramasser un poing dans la gueule pour de l'argent que je n'avais pas. J'en ai vu d'autres, des filles comme moi, des "paumées" comme disent les médias, des putes comme disent les mecs d'ici. Et puis un jour, j'ai croisé quelqu'un qui menaçait les gens de choses que j'ai pas comprises. Ça parlait de religion, d'Allah qui est grand, et de la France qui est traître, et que les Français allaient payer. Quand je lui ai demandé des explications, je devais avoir l'air intéressé, parce qu'il m'a dit de le suivre, et c'est là que j'ai rencontré ma deuxième famille. Enfin, c'est là que j'pouvais dormir quoi. J'ai compris qui était Allah, j'ai compris pourquoi la France était traître, et j'ai compris pourquoi les Français devaient payer, mais je m'en foutais de tout ça. J'ai peu à peu pris conscience de ce qu'avait été ma vie jusqu'à présent.
J'ai pris conscience de toutes ces horreurs qui étaient arrivées à ma famille, j'ai pris conscience qu'en plus, ça n'arrivait pas qu'à la mienne, que c'était une sorte de quotidien et que personne se bougeait le cul pour faire quoi que ce soit. Mon frère et ma soeur morts, ma mère suicidée, mon père devenu fou, et moi réduite à faire la pute pour obtenir la drogue qui m'aidait à supporter la vie. On empêche tout ça partout, sauf là où les gens n'ont pas d'argent. Coïncidence, bien sûr, evidemment.
Voilà tout ce à quoi je pensais avant de monter dans cette rame de métro. Les Français devaient payer, ouais, mais pas pour des histoires de Créateur, Créateur de merde, au passage. Puisqu'il n'y a que les médias qui peuvent leur faire ouvrir les yeux, puisqu'il suffit qu'une célébrité malade meure pour que tout le monde se rende compte de l'existence de cette maladie et se décide à aider, puisqu'il faut une catastrophe naturelle pour qu'ils comprennent que la planète est en danger, puisqu'il leur faut du spectacle, j'allais leur en donner.
Je regarde tranquillement le gars qui se tient à la barre, en face de moi. Je le préviens gentiment: "Vous allez mourir". Il a l'air de me prendre pour une folle, il se retient de rire. Soit. J'appuie sur le détonateur. J'ai juste le temps de voir son expression changer avant que mon corps s'éparpille au milieu de la ferraille et des morceaux de tous ces gens. C'est con, j'aurais voulu en rire.