L'équipe, le RER, les rêves

Le 05/09/2007
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par Kok
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Thèmes / Débile / Phénomènes de société
Le mec avec un pseudo de merde nous parle des étranges coutumes d'une peuplade d'abrutis primitifs : les humains. Aujourd'hui le foot. Ce documentaire animalier est à l'image du sport qu'il décrit : chiant, long, et abrutissant.
A la télé c'est pas aussi bien, faut y aller
Une nouvelle forme de chasse a été créée. De chaque côté d'une grande prairie on dispose un filet qui ressemble vaguement à une grosse bête allongée. Pour la tuer il faut lui enfoncer une balle dans le corps. Ils tirent avec le pied. Les manœuvres d'approche sont longues et complexes. Tous les arbres ont été arrachés, le terrain est nu, ce qui fait que des spectateurs peuvent se poster sur des gradins pour observer le spectacle. Et c'est le tir ! A chaque fois qu'une bête est tuée une énorme clameur de terreur et de joie retentit. Le tableau de chasse est affiché en grands chiffres lumineux. Pour les perdants c'est la mort, au moins au sens allégorique. L'arme utilisée est une balle car il s'agit en réalité d'un jeu, mais d'un jeu auquel on tente de donner toutes les apparences d'un vrai combat.

Les spectateurs se costument comme leurs champions afin de montrer leur allégeance: ils suivent la chasse qui se déroule sous leurs yeux en criant à plein poumons, comme s'ils y étaient. L'effet de "soupape de sûreté" joue à plein. Le plus important est d'installer une communion entre spectateurs, un grand chaudron de chaleur humaine. Les gradins forment une sorte de réchaud où l'on vient se gaver de vibrations partagées et de sensations en fusion. Le reste - le spectacle - n'est qu'un prétexte. Voyons un peu.

La mise à mort au terme d'une chasse à courre s'appelle le pénalti. Un arc de cercle se forme respectueusement derrière le tireur qui, avant de donner le coup de grâce, jette un regard de défi à sa victime. L’instant est solennel ; on croirait entendre un roulement de tambour. On y voit un homme tomber à terre dans un grand saut symbolisant le passage dans l'autre monde.

Parfois aussi la bête est tuée en pleine course, affolée et vainque par une attaque violente ou à l'issue d'un guet-apens savamment préparé pour créer la surprise. Dans tous les cas le tueur exulte.

Sur la prairie il y a d'abord les chasseurs, ceux qui tirent, ce sont eux les héros du drame. Ils sont naturellement accompagnés par une meute de chiens, sortes de caniches coiffés. Il n'y a qu'une seule balle alors les chiens passent leur temps à la pousser devant eux avec leurs pattes arrière et à se battre pour l'attraper.
De ce fait le spectacle emprunte certains traits au cirque. Les épisodes mortels alternent avec les moments de détente. Entre les tirs, les caniches coiffés sont, un peu malgré eux, l'occasion de belles rigolades.

Au début en entrant sur le terrain, sous les acclamations, ils saluent et nous font déjà rire avec des petits moulinets du mollet, la chaussure qui brinquebale un instant dans le vide. Ils se répandent aux quatre coins de la piste en s'ébrouant avec un air concentré, tous revêtus d'une belle liquette tricotée avec amour par leurs propriétaires respectifs. Et puis le spectacle commence. Il aiment se jeter la balle en tapant dessus de toutes leurs forces et on entend presque les hop ! va chercher ! suivis de folles cavalcades à la poursuite du bâton rond. Ils passent leur temps à courir en se disputant le ballon. Ah, il faut les voir, fièrement dressés sur leurs pattes arrière ! Quelle fierté ! Quelle prestance !
Ils aboient sans arrêt, le menton en avant, parfois même en faisant des grands gestes avec les pattes avant. Il faut voir l'effort qu'ils produisent pour rester debout, courant la langue pendante en donnant de la voix dans toutes les directions.

Sans surprise ils sont capables de bonds réellement impressionnants, comme quand vous jetez un bâton en l’air par dessus la tête de votre chien - Attrape ! - mais là en l’occurrence la balle curieusement est trop grosse pour qu'ils puissent s'en saisir avec les crocs. Ils ont beau jaillir en se tordant la gueule pour l'attraper, elle rebondit, ils n'arrivent pas à se la coincer entre les dents, ce qui les énerve au plus haut point. Impuissants, ils en sont réduits à la regarder poursuivre sa course dans les airs avec de grands yeux étonnés, et la course reprend de plus belle. Va chercher !

Les caniches coiffés se répartissent en deux catégories.
D'abord ceux à poil ras. Leur crâne est décoré de figurines raffinées qui s’obtiennent soit au moyen d'un rasage précis, millimétrique, soit avec une coloration. Les plus croquignolets combinent les deux procédés, le tout étant alors surmonté de quelques couettes, façon toutou à mémé, ou de tresses, également fort en vogue. Une juste fierté se lit sur leur visage. La mode n'est pas encore de serrer ces ornements poilus dans un petit ruban, par exemple rouge avec un nœud papillon, mais patience, ça viendra.
Il y a ensuite ceux à poils longs, dont le pelage ondule joliment lors des courses endiablées, comme dans les pubs pour croquettes.

Les caniches connaissent plusieurs tours, qui se répètent à l'infini à chaque spectacle.
D'abord les clowns comme toujours aiment bien se faire des blagues, par exemple se faire tomber. Un clown qui doit s'appeler Finaud arrive discrètement en glissant sur les fesses et flanque un croche-pied à celui qui courait en haletant derrière la balle. Le pauvre Branquignole se retrouve par terre les quatre fers en l'air. Il se relève difficilement avec une main sur les fesses et une grimace de douleur feinte. Pointant le doigt sur celui qui l'a fait tomber, il prend le public à témoin tout autour de la piste, comme pour dire:
- Non mais ça va pas la tête !
Le public approuve la pauvre victime du vilain tour en sifflant et criant comme au guignol.
Ah non alors ça va pas du tout ça alors !
Ce qu'il faut dire c'est que dans ce cirque il y a tout le temps des chutes, des chutes de toutes sortes, sur les fesses, la tête, avec ou sans les mains, avec ou sans pirouette préalable. C'est la valse des galipettes, des cabrioles et des enjambées. Difficile dans ces conditions de vous raconter tous les détails. Pour résumer: les clowns passent la moitié de leur temps allongés ou à quatre pattes, ce qui en définitive n’est pas vraiment surprenant… avec toute cette mise en scène on en oublierait presque que ce ne sont que des caniches !

Le second numéro fait intervenir un autre personnage, lui aussi issu du répertoire le plus classique. Monsieur Loyal, tout de noir vêtu, est bien campé les mains sur les hanches au milieu de la piste. Il donne un coup de sifflet, comme l'agent de police dans Charlot. Tous les chiens ont le même réflexe, au sifflet, ils s'arrêtent. L'un des clowns en particulier regarde dans la direction du signal, interloqué, puis s'avance en se pointant la poitrine du doigt. Monsieur Loyal prend un air sévère, dit quelques mots, et l'autre repart en maugréant. La scène est pathétique et fait penser à un classique des numéros de domptage quand le tigre, rabroué par le courageux dompteur, s'éloigne en grattant la terre avec un air mauvais.

Pour nous changer les idées, car on commence à s'ennuyer ferme ici, Monsieur Loyal fait un petit tour de magie: attention, toujours bien campé sur ses deux jambes, tous les regards sur lui, attention attention, un demi-tour des épaules, abracadabri abracadabra et hop: une petite carte jaune dans la main ! Concert de sifflets dans les tribunes, auquel je me joins ! On a bien vu qu'il la sortait de la poche extérieure de son polo. C'est complètement nul ! Minable ! Magicien à deux balles !
La course au ballon reprend de plus belle, avec un autre numéro, un peu plus subtil celui-là. Un clown se met à tricoter les pieds autour de la balle, tellement qu'on le dirait juché sur le vélo à une roue. Il s'appelle Zinédino. Un coup de pédale en avant, un coup en arrière, les deux bras tendus à l'horizontale comme un équilibriste, nous avons là un petit exploit. Bravo ! Bravo ! Bon chien.
Le susuc à son toutou mais qu'il est mignon mon chienchien arrive dans une bouteille en plastique. Une rasade et c'est reparti. C'est fou ce qu'on peut faire avec les animaux.

Ce grand numéro de dressage canin comporte donc quelques moments intéressants. Pour preuve qu'ils sont bien dressés, on notera que jamais ils ne pissent sur le terrain, malgré les poteaux disposés à cet effet aux quatre coins de la prairie. Mais comment font-ils ? Le mystère reste entier. Comment diable font-ils pour que les clebard n'aillent pas pisser toutes les 20 secondes sur les poteaux ?
Là, je dois dire, les bras m'en tombent. La classe vraiment.

Mais parfois - il faut dire la vérité - un caniche en a assez, alors il s’allonge et refuse de repartir. Il reste là à se tortiller sur l'herbe, pour attirer l’attention et jouer, tous les chiens font pareil. Les vétérinaires arrivent, lui caressent les cuisses, essaient de le remettre sur ses pattes arrière, hop, un p’tit bécot sur la truffe, quelques risettes, et si cela ne donne rien, ils l’emmènent sur un brancard.

Pendant qu’on évacue le récalcitrant les organisateurs vont en chercher un autre dans une sorte de chenil disposé à côté de l’entrée. On a l'impression que quelqu'un lui retire sa laisse, un mot d'encouragement à l'oreille. Il sautille un peu sur place puis s'élance en flairant le terrain avec un air inquiet. Le spectacle peut reprendre.

Mais c’est tout de même un peu décevant, le dressage n’est pas si parfait. Et puis il manque tout de même une accompagnatrice en justaucorps étincelant, avec de longs cheveux ondulés couronnant un sourire de circonstance, qui viendrait appuyer les apparitions de Monsieur Loyal, ou souligner d'un tournoiement sexy la balle du pénalti, au moment du filet. Les traditions se perdent.
Ils pourraient aussi de temps en temps envoyer un petit air de saxophone joué par un vrai clown tout blanc de la tête aux pieds sous son petit chapeau pointu. Cela aurait tout de même un peu plus de classe, comparé à cette foire d'empoigne un peu monotone.

Heureusement, parfois, le drame éclate: un tir, et c'est la mort. Les caniches du tireur se précipitent sur le vainqueur pour partager son triomphe et parfois tout ce beau monde se retrouve par terre, en tas. Leur joie est belle à voir. Le risque, un instant envisagé, serait qu'un caniche se mette à remuer fébrilement les fesses d'avant en arrière en direction de son collègue en dessous, mais non, il n'en est rien, car les bêtes sont bien dressées. Dans une version plus simple, vous avez un cleps qui se jette dans les bras d'un congénère, les jambes écartées. L'autre
le secoue un peu, mais c'est un jeu: des vraies bêtes de scènes ces clébards.

La chasse au foute: ce monument tragi-comique est devenu le point de ralliement de dizaines de milliers de personnes qui se réunissent dans des stades pour vivre quelques heures. Vivre parmi les bêtes en liberté, la force, la nature sauvage, les rires, la gloire de la victoire, les corps, le sacrifice. Ils crient, pleurent et rient à s'arracher les poumons à chaque nouveau moment de ce spectacle autour duquel se propagent des vagues de chaleur humaine. Parfois, joignant le geste à la parole ils se battent entre eux. De simulé comme sur le terrain, l’affrontement devient réel, entre spectateurs, ce qui ne représente qu'un prolongement assez naturel, un simple débordement par rapport à une mise en scène physique et virulente de la vie et de la mort.

Les bagarres sont l'aboutissement ultime de cet exutoire collectif, quand le faux semblant qui s'exécute sur le terrain devient trop irritant, quand éclate dans les gradins le besoin de vie physique, avec ses enjeux et ses tourments. Ivres de chaleur humaine, les spectateurs n'en peuvent plus de vivre par caniches interposés et se mettent à rechercher des sensations corporelles directes. Parfois aussi - la chose se produit en particulier en Angleterre - un spectateur se
lance sur le terrain, complètement nu, et se met à courir dans tous les sens, heureux, tellement heureux. Tout le monde fait semblant de trouver cela choquant ou bête, alors qu'en réalité cet autre type de débordement n'est à nouveau qu'un prolongement naturel de la chasse au foute, à peine une exagération. D'ailleurs les spectateurs approuvent bruyamment, en rigolant.

Puis ils s'en retournent chez eux, épuisés mais totalement masturbés.

La chasse est terminée, il faut rejoindre la grande masse grise ou marron, un mètre soixante-dix d'épaisseur en moyenne, qui partout, avenues, RER, trottoirs, se déverse en raclant le sol avec un bourdonnement continu.

Dans les têtes un seul rêve: courir avec les chiens à travers la prairie.