Deux heures par jour

Le 14/12/2007
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par Traffic
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Thèmes / Obscur / Propagande nihiliste
Traffic, il finit par me faire ronronner. C'est toujours aussi agréable, ici dans le genre propagande désabusée, toujours aussi bien écrit, avec plein de chouettes tournures, plein de bonnes vibrations de cynisme. Bon d'accord, c'est génial, c'est détendant. Confortable presque. Parce que finalement, comme d'hab, y a rien qui pète vraiment à la gueule et qui t'étale pour le compte.
De tous les sens parallèles de l’humain, l’absence de sens de la perception est est sans doute la carence la plus bénéfique à une personne propre et la plus insupportable pour ses voisins.

Voila c'est ça. Une bonne introduction prise de boule. Faut relire plusieurs fois pour capter. Peu à peu, la lumière finit par investir tes neurones atrophiées par les packs de Heineken, la vinasse bon marché qui rend aveugle, les émission de téléréalité et la com sarkozyste du journal de 20h. Tout du moins pour les petits veinards qui n'ont pas encore rendu les armes devant la pauvre vie qui nous accable dans des boulots et des relations sentimentales épaisses comme une feuille de Rizzla.

Pour ma part, dans le parfait esprit de cette décapante entrée en matière, je me suis décidé autour de la quarantaine à agir comme un primate furieux durant deux heures par jour. Un quota sans concession. Les résultats n'ont pas tardé. Je peux vous le certifier, j’ai énormément gagné au change.

Par souci caritatif, je vous livre là les recettes qui font d’un homme honnête un héros de peplum.
Imaginez quel exemple vous faites, au regard de la société, lorsque vous cumulez la réussite financière, le succès professionnel, l’épanouissement familial. On est bien d’accord que ce résultat est hors de portée d’un quidam scrupuleux dénué d’un esprit de compétition parfaitement sanguinaire.

A l'instar des plus grands à travers les siècle, je me suis attelé à une grande expérience de schizophrénie où j’ai réussi à tripler les effectifs là où on n'avait précédemment qu’un personnage en proie aux affres d'une conscience tout autant désemparée que poussive.

En préambule, je me suis engagé dans mes deux heures par jour à ne plus respecter aucune file d’attente. Que ce soit dans mon véhicule ou dans un commerce de proximité, je ne parle pas des hypermarchés où armé de mon caddie métallique je m'impose l'objectif de heurter vivement les autres clients afin de les effrayer. Aucun doute, ça marche. Se munir bien entendu de sa voix la plus grave pour faire valoir ses prérogatives et mépriser solennellement les victimes potentielles toutes affairées au respect de leur droit dont tout le monde se branle parfaitement. Je dois dire que je me suis encore beaucoup amusé ce samedi après midi avec un papi à casquette qui a fini par regarder le sol de façon pathétique pour gémir que c’était pas croyable de vivre dans une époque pareille.

Ensuite, j’ai décidé de consacrer quelques heures par mois à aller draguer extra conjugalement des nanas pathétiques et bien entendu quelques autres heures pour aller les honorer de ma pénétration virulente. Ces filles cherchent de l’aventure. Facile pour moi de leur laisser croire que je suis un homme fidèle tombé en pamoison devant leur charme unique et irrésistible. Leur vanité s’en trouvant absolument boursouflée, la réciprocité s'installe instantanément. C'est là qu'une fois mes sens comblés, je les largue invariablement en leur annonçant que j’ai une femme qui m’attend, moi. Qu’elles devraient peut-être se mettre à réfléchir à ce qui les pousse à fréquenter des hommes mariés. Aucun mâle ne voudrait donc s’engager avec elles dans un quotidien constructif ? Je ferme la porte définitivement sur ces créatures cramoisies aux nichons dénudés toutes préoccupées par l’expérience à laquelle elles viennent de participer.

Professionnellement, il est évident que là encore le champ est large. Ma supérieure soutient éminemment ce genre de comportement. Mon attitude inique m’a valu une bonne douzaine de primes sur les deux dernières années. J’ai reçu deux billets pour l’opéra la fois où j’ai réussi à pousser un connard du service commercial à démissionner alors qu’il était à deux doigts de la dépression. Mozart-Figaro-Salle Pleyel-un hôtel huppé dans le huitième, je n’ai pas regretté mon geste. Parfois je mets la pression sur un groupe de collègues au bout du rouleau, leur demandant d’accentuer la cadence en laissant entendre que leur productivité est observée d’un mauvais œil par la direction. Sinon j’apprécie aussi encourager un gars qui est dans le collimateur à continuer de la même manière au fait qu’une promotion se discute pour son comportement exemplaire. Pendant ce temps, ma puissance grandit et les subalternes veules me caressent dans le sens du poil.
Là aussi c’est tout bénef.

Ma famille ne peut penser que du bien de moi. Il faut dire que je m’occupe de tout un chacun avec une attention particulière. Je défends ma mère devant l’inertie de mon père à lui donner de l’attention. Je soutiens mon père lorsque le caractère acariâtre de ma mère surgit inopinément. Je rends à mon frère sa dignité devant l’injustice qui lui est réservée quand à l’aura dont je bénéficie. Je suis encore le dernier à visiter mes grand-parents. Je le leur fais remarquer. Diviser fait bien régner. J’ai décidé de m’occuper personnellement des affaires d’héritage. Je connais un très bon notaire qui ne cherchera pas à déposséder notre belle famille de son fabuleux patrimoine. Un très bon ami.

Ma femme est dépressive. Ça lui est venu comme ça. Je lui ai conseillé de voir un thérapeute pour son bien. Dans la vie normale, voir un thérapeute s’assortit d’un niveau intellectuel ou d’une bonne dose de philosophie. J’ai rappelé à ma femme que son bac professionnel secrétariat n’était pas à proprement parlé la panacée estudiantine. Nos amis pensent que les antidépresseurs sont une marque de faiblesse. Je n’hésite pas à entamer le débat lors de nos diners en société. Pour ne froisser personne je reste neutre. Quand nous rentrons en voiture, je lui souligne la connerie de ses amis intimes. Comment a-t-elle fait pour ne s'apercevoir de rien durant tant de temps ? Nous rentrons et je lui prépare ses pilules. Moi au moins je m’occupe d’elle.

Dans l’ensemble, j’ai une vie formidable. Vous seriez à ma place, vous ne changeriez rien.

Juste deux heures par jour, vous savez, c’est pas grand-chose. On passe tellement de temps dans les embouteillages à notre époque.

Qu’attendez vous pour commencer ?