Le sens de l'humeur

Le 31/12/2007
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par Samforce
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Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Je ne nierai pas que Samforce est drôle, qu'il a le sens de la situation incongrue et de l'absurde, qu'il déploie avec un exquis jmenfoutisme. C'est juste que c'est un putain d'intello, et ses vannes transhumaines et stochastiques (mots choisis aléatoirement dans le texte), faut se les enquiller. Ca ne rend pas son texte pourri, mais légèrement pénible. D'autant qu'il s'agit d'un genre de mosaïque de saynètes sans fil conducteur, sans chute, sans que dalle.
Un chercheur en humour computationnel déprimé se retrouve embarqué dans un colloque où il n'apprendra strictement rien de neuf sur lui-même mais où ses sens seront mis en éveil.
Le Sens de l’Humeur.

Je n'osais pas me dire combien je m'admirais.

Vision

Je voyais flou. Il faisait trop blanc mais on pouvait quand même palper l’ambiance chaude et accueillante. Toutes les rues étaient piétonnes, il fallait se concentrer pour percevoir l’écho de l’agitation urbaine. Je parlais avec Phil, j’étais en contact avec mon oreillette bluetooth, le torse bombé, ma petite sacoche imitation cuir sous le bras, un sourire écarlate. « Ecartez-vous ! » criais-je en levant la main vers quelques buissons. Je ne sais plus exactement le nom de la ville ni même du pays, mais on y était, le début d’un long week-end au premier colloque mondial de l’Humour Computationnel. « Tu te rends compte Phil ?? The Colloque Mondial, je vais y défendre un article sur les métaheuristiques appliquées à la théorie de Minsky, devant le gratin de la recherche humoristique mondiale, c’est gigantesque ici, des immeubles blancs, partout, plein d’arbres, ça sent bon, le ciel est même bleu !! » hurlais-je dans le vent. Phil était jaloux, c’est sûr, il marmonnait.

Les filles étaient d’une beauté infernale, vivement la petite sauterie de ce soir, il doit sûrement y avoir des chercheuses mignonnes, des phdés studentes surchauffées à blanc, blanc, comme tous les murs ici. J’étais très visible dans le décor sous mon camouflage burlesque de jeune néo-punk. J’ai été demander des conseils vestimentaires à une jeune amie coiffeuse trendy tendance, je voulais quelque chose qui illustre la confusion propre à la l’adolescence soupoudré par un soupçon de plénitude propre aux adeptes de l’avant-gardisme mondain, on en est arrivé à marier une veste Louis Vuitton avec un pantalon Carhatt et un t-shirt fluorescent mauve pâle, couronné par une crête légèrement bleue en guise de coupe de cheveux. Dans le milieu académique, je me dois de défendre ma position de jeune créatif rebellé, pour rester en accord avec moi-même, et surtout avec l’interview que j’ai donné sur internet où j’explique que le métier de chercheur devrait être comme le métier de sportif : à 35 ans, tout le monde à la retraite. Les meilleures idées ne peuvent émerger que dans un cerveau jeune, malléable, souple, encore flexible aux nouvelles idées, ce qui n’avait pas manqué de soulever une brûlante polémique, mais, au fond, j’adore qu’on parle de moi ; et puis, faire chier les vieux, c’est mon loisir préféré.

Tout était dans la démesure autour de moi, un service de sécurité sur le qui-vive, des structures postmodernes, des squelettes à la géodésique complexe, qui semblaient toucher les cieux, des tours infernales, numérotées par ordre alphabétique grecque décroissants. Les étages supérieures étaient des laboratoires, ou des appartements, les rez-de-chaussée étaient réservés aux commerces, on pouvait y trouver même des fast-foods, dont je ne citerai pas le nom, car j’en ai marre de la mode qui consiste à citer des marques dans les œuvres littéraires d’autofiction ; et puis tout le monde sait bien que McDonald ne vend pas des chaussures. Les indigènes locaux étaient d’un autre monde, d’un meilleur des mondes, des types avec des monocles-verdâtres-écran-digital, en combinaisons de communication hi-tech, ça brillait, j’ai même cru apercevoir un physicien célèbre, folâtrant au détour d’un pommier. La haute élite des cimes enfin réunie pour une grande sauterie mondialisée. Je n’en croyais pas mes yeux.

Odeur

Malgré ma réputation d’excentrique à l’humeur éternellement joviale, d’homme au sourire éternellement figé, au point que j’aurais sans doute pu être engagé comme doublure de mascotte infantile pour corn-flakes, il n’y avait pas l’ombre d’un doute, j’étais, depuis quelques minutes déjà, béatement debout dans l’atmosphère confinée de mon appartement glacial, en pleine dépression hivernale, piteusement enrobé dans un pyjama à carreau, aux couleurs aussi joyeuses que la texture des parois d’une fosse sceptique abandonnée, oubliée de tous depuis plusieurs décennies. J’étais englué dans mes habitudes ronflantes. C’est à ce moment précis que je me suis servi un premier whisky. Je suis très utile à la société, j’effectue une thèse sur l’humour artificiel, c’est un champ de recherche multidisciplinaire, je fréquente des linguistes, psychologues, informaticiens, c’est très prenant. C’est amusant d’essayer d’offrir le don de l’humour aux machines, ça passe le temps, j’étudie les différents modèles permettant aux ordinateurs d’interpréter l’humour dans l’optique d’améliorer la convivialité des futures interfaces homme-machine basées sur le langage naturel ; il est bien connu que les humains se servent de l’humour pour faciliter la communication. J’essaye aussi de mettre au point des modèles capables de générer des blagues. Mon ex-copine était toxicomane, mais je n’arrive pas profiter pleinement de mon célibat tout frais. A part ça, rien de bien transcendant dans mon existence, à part qu’un de mes deux chats est fou. Un matin, étendu sur mon lit, cherchant la motivation pour m’activer, je constatais que Bibi avait un miaulement bien étrange, mon oreille aiguisée ne m’avait pas trompé, c’était le miaulement typique, ce cri rauque, de la chatte en chaleur, j’aurais pu ne pas en tenir rigueur, me retourner dans mes draps et mimer l’indifférence, si ce n’était que Bibi est un jeune chat mâle d’environ 7 mois. Boubou, son jeune frère, de nature plus calme, n’avait cesse de taper, fraternellement, Bibi, il ne supportait pas sa manie de venir le déranger pendant sa sieste pour renifler son anus, voir de le lécher. J’observais attentivement l’évolution de la sexualité de Bibi, tâchant d’intervenir en cas de dérive, je ne me concentrais plus beaucoup sur mes recherches, toutes les cinq minutes je les dévisageais, cela ne put empêcher le grand malheur. Un soir, l’innommable, l’inimaginable se produisit, Bibi essayait de monter sur Boubou, ce dernier était terrifié, harcelé par son frère fou, il me regardait avec deux grands yeux de pitié, Bibi mordait le dos de Boubou et essayait de s’introduire perfidement, je me suis vite arrangé pour les séparer, en les isolant chacun dans une pièce. J’ai mal dormi ce soir là. Bibi gambadait sur mon lit pendant que j’étais en train de dériver lentement dans le monde des rêves, j’ai hurlé de peur quand j’ai senti une de ses pattes sur mes fesses. Penché sur le balcon, je termine, en pyjama, mon troisième whisky et je me pose des questions, le vide est fascinant et mes chats me rendent fous. J’ai reçu une invitation pour une conférence mondiale sur l’humour, mais je n’arrive pas à m’en réjouir. Les animaux deviennent hystériques, je déprime, les idées me manquent, les plantes fanent, cet appartement nauséabond est maudit, toutes ces fréquences, ces antennes de téléphone portable, ces futurs cancers en attente, voilà où va le monde, et même pas un ami pour m’appeler, j’ai faim, j’ai le choix entre des macaronis ou des spaghettis, tout pue ici, les masses inondées par de la sous-culture, mes e-mails ne me proposent que d’accroître la taille de mon pénis, je ne rêve que de cauchemars, je marche pieds nus dans les effluves des débris de mes consommations boulimiques engluées dans la pisse de mes chats gays. Je pue.

Goût

Mon promoteur était vieux mais encore souriant. La fête battait son plein, je m’étais empiffrer de petits fours, de champagne et de vodka-melon. On a aussi pris quelques extasy avec mon promoteur, on se marrait comme des abrutis. J’ai rajouté un peu de kétamine dans ma portion de gâteau chocolaté. Certaines demoiselles avaient sorties leurs plus belles robes, mais je constatais que c’était les plus laides de la salle. Au milieu trônait un robot qui mimait formellement des sketchs que personne ne regardait, le spectacle était plus dans la salle, on pouvait y observer des choses formidables, les jeunes contre les vieux, les philosophes contre les mathématiciens, les garçons dévisageant le croupion des filles, un magma social en ébullition, de la luxure inutile, des tenues qui n’auront été portées qu’une fois, de la bouffe destinée aux poubelles... Une truculente petite mélodie de valse vagabondait dans la pièce, elle rythmait mon appétit exponentiellement grandissant. Quand un inconnu venait nous accoster, moi et mon promoteur, on discutait rapidement de la théorie de Charles Gruner (La théorie de la Supériorité, 1997). En faisant de grands beaux gestes d’ornementation, on étalait nos connaissances - On peut poser trois propriétés fondamentales à la notion d’humour. Premièrement, chaque situation humoristique a un perdant et un gagnant, deuxièmement, l’incongru, l’ironie, sont toujours présent dans une situation humoristique, troisièmement, l’humour requiert un élément de surprise. Dans cette théorie, on prend comme hypothèse que l’humour est une forme de compétition, le rire était l’expression d’une gloire soudaine et éphémère… D’autres ont dressé une théorie de l’humour d’après les conceptions Freudiennes. L’humour servirait alors à relâcher une tension psychique… - on hypnotisait les gens. Mon promoteur était un vrai comique, il m’a dit qu’il était très sérieux étant jeune, j’ai du mal à l’imaginer sérieux. Il a étudié la bioéthique, mais rapidement il en a eu marre, il trouvait que ce n’était qu’un cas isolé d’un plus vaste problème. Il a commence à étudier le posthumanisme, puis il a eu sa période « scientologue », il a commencé à étudier la physique quantique et la théorie de l’information. Il a troqué ses ouvrages de Kant contre des traités de mathématique. Après, je ne sais pas quel dédale de connaissance il a traversé, mais il s’est retrouvé à programmer des intelligences artificielles qui généraient des blagues. Grand homme que voilà, légèrement sur le déclin, mais malgré tout attachant. Tous les goûts se mélangeaient dans ma bouche, je voulais tout goûter, j’avais l’air d’un affamé, pendant ce temps, les drogues faisaient leur petit besogne rituelle, rapidement, j’étais dans un autre monde, sur le toit du monde, j’avançais à quatre pattes, c’est à ce moment précis que je suis tombé au pied de Katy Parker, elle avait l’air appétissante aussi.

Audition

J’étais assis en tailleur sur le toit d’un immeuble blanc baigné dans un flot enchanteur de soleil, loin de l’hystérie du sommet de l’humour. Le sol était recouvert par une fine couche de gazon artificiel, parfois des fissures laissent entrevoir le vide, c’était un bâtiment contemporain privilégiant l’esthétique à la fonctionnalité, voir même à la sécurité, je le trouvais intéressant conceptuellement, mais pas assez chaleureux dans sa mise en oeuvre. A ma droite, un jeune homme mal rasé fumait d’un air concentré, le regard vitreux, à ma gauche, Phil. Je lui ai demandé comment est-ce qu’il était apparu en chair et en os à nos côtés alors qu’il n’était qu’une voix numérisée à travers le haut-parleur d’un portable il y a encore à peine quelques minutes. Son silence m’a convaincu de la futilité de la question. Notre toit était loin d’être le plus haut, autour de nous d’autres immeubles beaucoup plus imposants pointaient vers le ciel bleu, leurs façades étaient assez caractéristiques, les fenêtres étaient éparpillées de manière disparates, chacune étant le centroïde d’une zone de Voronoï délimitée par des poutrelles métalliques que j’imaginais froide, autant que le cadavre d’un glacier fraîchement assassiné. A une des fenêtres, une vieille femme verte, basculant de gauche à droite sur une chaise en bois orange, fixait l’horizon, son horizon, qui devait être l’immeuble d’en face, miroir du sien. Phil parlait de l’activisme au 21ème siècle, ou plutôt nous récitait une conversation qu’il avait sans doute déjà eu avec d’autres gens, mais je n’étais pas dupe. Ses mots - les marginaux du système dégagent de l’énergie… génèrent plus d’informations que le citoyen consommateur passif… contribuent à la normalisation de la rébellion … peuvent être considérés comme des activistes du système qu’ils combattent … regardez ce pauvre Kurt Cobain… - volaient dans l’air, les fréquences de sa voix faisaient vibrer mes tympans et ça s’arrêtait là en fait, les signaux se perdaient quelque part dans mes os pour ne jamais subir une quelconque interprétation de mes réseaux neuronaux. Je fixais sa tenue très hype, cette fusion de costume de cadre libéral et de jeune agitateur urbain, cheveux faussement décoiffés brillants, t-shirt électronique personnalisé sur lequel défilait des citations de philosophes morts. Phil était un faux branché, il passait un temps incroyable à calculer son look intello-punk, en s’informant sans cesse des dernières modes, sa façon d’aborder la science était d’ailleurs identique ; il ne parlait que du dernier article de la dernière théorie « in », ses travaux n’étaient qu’un collage grossier des tendances nouvelles qu’il défendait avec une attitude « vous êtes à la traîne, faut rester informé les gars », trahissant un peu son obsession d’être toujours à la pointe, son obsession de la jeunesse éternelle, il n’arrêtait pas de se moquer des vieux, ils disaient qu’ils piquaient l’argent des jeunes avec leur pension, mais bientôt, grâce aux progrès de la science, on les ferait travailler jusqu’au dernier souffle ces sales profiteurs, ces sales vieux. L’homme de droite s’est levé soudainement, et marchait en équilibre sur la bordure de l’immeuble en rigolant, il tirait frénétiquement sur son joint, il nous a regardé, puis d’un rire nerveux a dérapé dans le vide. Plutôt interloqué, Phil et moi on s’est approché du bord pour observer l’étendue des dégâts. Le fumeur gisait une dizaine de mètres plus bas, il avait encore quelques convulsions pendant que se répandait sur la route une marre de sang, en se concentrant on pouvait même entendre des espèces de couinement étouffés ; c’était comme dans les jeux vidéos mais en moins beau. « Et oui, ces gens qui paraissent heureux mais qui au fond d’eux sont si tristes » dit d’un air calme Phil. J’ai levé un sourcil et j’ai enchaîné : « Tu n’as rien compris Phil, il était malheureux dès le départ, maintenant descendons d’ici et faisons attention de ne pas mourir à notre tour ». La tâche s’annonçait plus ardue que prévue, la structure de l’immeuble se disloquait maintenant dans l’espace, en rythme, sur une symphonie spectrale stochastique.

Toucher

Le temps se disloquait. J’étais affalé, sans ma ceinture, sur le siège arrière d’une voiture, légèrement assez drogué. Katy Parker, spécialiste de la Neuro-Physique Cellulaire du rire, conduisait à toute vitesse dans les petites rues, on pouvait mourir à n’importe quel instant, ça m’excite, la douce musique brésilienne rendait la scène particulièrement décalée. On a terminé chez moi. Je lui ai montré un peu le jeu « Sims 2 », la simulation de vie, j’avais créé mon double, j’avais déjà été veuf deux fois, on m’avait encore confisqué mon dernier fils qui était devenu un cas social depuis que j’avais jeté ses devoirs à la poubelle. On a rigolé grassement, on s’est moqué de mes chats gays, puis on a décidé de faire l’amour. Elle s’est injectée par le nez son PT141, j’ai gobé mon Viagra. Elle n’en pouvait plus, au niveau du clitoris, l’afflux sanguin augmentait inexorablement, les glandes s’activaient plus que jamais, sa vulve se gorgeait de sang, elle se lubrifiait, ses organes génitaux étaient maintenant un volcan en pleine éruption, son désir était maximal, elle allait m’avaler tout entier, elle me sollicitait de toute part, ses tétons pointaient en ma direction. De mon côte, une érection impériale, le genre que je n’arrive plus à avoir naturellement depuis que j’ai réalisé tous mes fantasmes. La chimie était en marche. Les rythmes électroniques coulissaient dans l’espace air-climatisé, rebondissaient contre les chaises synthétiques, le cuir synthétique, les imitations de peintures célèbres, l’ordinateur branché sur une simulation de vie, les restes de ces bonbons aux édulcorants de kiwi, je prenais mon pied dans ce rêve artificiel, je manipulais mon plaisir dans ce monde artificiel, heureux de ma condition, que les bombes les plus atomiques déferlaient dans le désert, que de quintuples tsunamis éradiquaient toutes les îles, que la famine s’abattaient dans toutes les campagnes, je m’en foutais, il fallait me laisser consommer mon plaisir, maintenant, mon plaisir immédiat, à court terme, mon moment de gloire personnel que je filmais avec ma webcam et qui était diffusé en streaming sur mon site officiel, mais ça elle ne le sait toujours pas. Sa peau est douce, mes doigts devenaient électriques. Demain j'oublierai, tout cela sera subjectif. Le temps se disloque.