Ascension progressive et définitive

Le 02/01/2008
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par Cuddle
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Thèmes / Obscur / Triste
Bon alors, la narrateuse est dépressive. Des fois que ça puisse éventuellement excuser le ton geignard et auto-centré de cette tranche de vie. Et les épanchements sur les thèmes du rejet, de la souffrance et du paradis, goth-style. Que du classique quoi. C'est lisible et pas désagréable, avec de bons passages, mais nos spécialistes zonards de l'éxagération et du grand-guignol ont déjà pondu tellement plus intense que c'est difficile d'apprécier.
Je suis étudiante et depuis maintenant trois ans je suis atteinte de dépression mélancolique. C’est un dérivé de la psychose maniaco-dépressive où s’alternent périodiquement des crises d’euphorie et des accès de type mélancolique. Symptomatiquement, la douleur morale est très vive, entrecoupée de dévalorisation et de culpabilité intense. Les troubles peuvent être multiples : modification pénible de l’humeur, sentiments d’incapacité, de culpabilité…Ces sentiments sont à l’origine d’une déformation de la réalité avec auto-accusation, persécution et essentiellement entrecoupés de conduites suicidaires fréquentes…
Cette mélancolie a du naitre durant les périodes difficiles de mon adolescence, période où déjà je me plongeais dans les lectures de Stephen King pour y entr'apercevoir des descriptions cadavériques, des méthodes sadiques et des définitions de profiler à deux balles sur les caractéristiques d’un tueur en série. Mort fascinante et attrayante, d’une beauté excessive, froide et presque romanesque…
Mais ce qui a engendré ce délire systématisé progressif (synonyme de « folie » en psychiatrie) fut ce rapport détestable que j’entretenais avec les Autres. Ceux qui faisaient partie de ce monde civilisé, ces gens dont les yeux crevés et les oreilles coupés ne daignaient ni entendre ni même voir l’être que j’étais. Sentiment exécrable de se sentir seule et emmurée en soi-même; j’avais beau m’égosiller, personne ne voulait m’entendre. Ceux qui avaient essayés avaient renoncés. Renoncer est encore plus ignoble que d’ignorer, car au contraire des ignorants, ceux qui ont renoncés ont fait croire aux muets qu’ils pourront parler, être aidés et écoutés. Ceux-là, ces lâches, préfèrent devenir sourds et aveugles, ils vous emmurent dans votre corps et vous laissent crier sans le moindre remord, pour que votre souffrance ne puisse empêcher leurs petites vies sans intérêt de continuer…

Ah…vomitive solitude insoluble qui pourrissait lentement et dégageait une odeur pestilentielle. Sa procession fut fulgurante, elle traversa le temps et l'espace et finit lentement par me ronger de l'intérieur. J’en avais presque l'habitude car elle me collait au corps comme une seconde peau, ne voulant jamais me quitter…Ce vide intense et interminable, cette tristesse lancinante et infinie…Elle me donnait la gerbe. Avais-je vraiment cette impression monstrueuse d'être…inutile ? Haine, colère, antipathie, contre moi-même, contre mon attitude, mon essence et l'être tout entier qui me composait. La sentence était inévitable, si douloureuse et si réaliste à la fois, j’étais comme enchaîné dans mon propre corps…

La quête d’une satisfaction quelconque devint récurrente, il s'agissait en réalité d'un véritable besoin pour ne pas souffrir continuellement. Il me fallait faire quelque chose qui me rende heureuse l'espace d'un instant, pour exister une fraction de seconde. Alors, chaque jour devint une épreuve, chaque jour au lever du soleil, il me fallait un but pour exister, alors je m’en suis inventée : il me fallait manger, sortir, pleurer, crier, souffrir…Ainsi, lorsqu'un moment de satisfaction arriverait, je pourrais être heureuse, l'espace d'un temps et profiter de cet instant de contentement et de plaisir. Si bref, si intense et si rare…je n’arrivais pas à garder ce bonheur utopique entre mes mains, alors je me suis résigné. Résignée à rester seule, triste et toujours dépendante des autres pour pouvoir vivre à travers eux, pour ne plus penser à moi, à ma solitude chronique, à ma vie mélancolique…

Mais la véritable rupture s’est réalisée durant mes années universitaires. La première fois que ça s’est passé, c’était au téléphone (c’est con, c’est vrai, mais c’est comme ça). J’étais en pleine dépression mélancolique, j’ai appelé le Lapin Blanc pour qu’il me remonte le moral mais au lieu de ça on s’est foutu sur la gueule. Je dis toujours que l’amour est proportionnel à la haine; alors pleine de haine, je me suis acharnée sur mon bras gauche avec un petit canif. J’ai fracassé le téléphone, j’ai balancé l’arme à travers la chambre. Première scarification pathétique dans un accès de rage incontrôlable. Et c’est à cet instant précis que j’ai réalisé une chose importante…Se débarrasser de la douleur morale par une douleur physique…si simple, si douloureux et si…facile.
La deuxième fois je n’ai pas pu m’en empêcher, j’ai empoigné fermement l’arme blanche au creux de ma main, déterminée à exorciser cette souffrance…J’ai abattu brusquement le couteau sur ce bras difforme. La lame aiguisée a entaillé la peau, coupé la chair et a purifié mon corps de ce sang insalubre. J’ai répété ce geste avec force et conviction et bientôt mon bras fut le théâtre d’affluents…Tous ces fleuves poisseux s’unirent à l’eau de mon bain, bientôt je pus flotter au sein de la mer rouge. Elixir de bonheur, drogue soporifique et idyllique. Comment ne pas oser la récidive quand on pouvait toucher le paradis du bout des doigts. Seulement, je l’ai déjà dit, le bonheur est éphémère et bientôt de petits picotements traversèrent mes bras…picotements diaboliques qui se transformèrent en brulures sataniques. Les bras à vif, je ne pus m’empêcher de hurler de souffrance, telle un martyr. Regrets infâmes d’avoir scarifié mon être tel un totem sans âme. Je m’extirpais de la salle de bain à la va vite, glissant dans des mers quelconques qui appartenaient toutes à moi. Il me fallait stopper cette descente aux Enfers, et telle une folle furieuse, je cherchais le remède à ce poison qu’était la solitude…
[…]

Au détriment de toute attente, je suis restée seule et sans aide. Les Autres ne comprenaient pas la gravité de la chose, alors ils m’ont laissés m’entrecouper de douleur pour leurs bons plaisirs car vint un moment où "la souffrance des autres ne leur suffisait plus, il leur en fallait un spectacle"*…

Entre quatre murs, j’ai commencé à me décomposer. Lentement, mon corps s’est transformé, il est devenu maigre, filiforme et informe, maltraité par le temps comme le jouet d’un enfant. Il a laissé paraître des os naissants, prés à transpercer l’épiderme qui constituait mon être…Et petit à petit, j’ai commencé à me morfondre d’ennui. Paranoïa douloureuse qui s’emparait ainsi de moi, bouleversements émotionnels intenses s’entrechoquaient en moi et déjà je hurlais au fond de mon trou en demandant qu’on m’aide. Mais, c’était sans équivoque, le silence me répondait déjà. Le puit qu’était ma tombe se remplissait d’eau et je ne pouvais empêcher mon destin de m’emmener vers la mort, noyé entre des eaux glaciales et putrides, mon dernier souffle quittant mon antre…

Cette obsession pour la mort devint alors fréquente et dérangeante.
Ma période trouble que représentait mon adolescence fragile était passée et je ne sais pas pourquoi encore aujourd’hui je repense à ces choses sombres. Elles étaient plus nettes et plus faciles d’accès qu’à l’époque de ma fringante jeunesse. Plus précises dans ma tête, ces idées noires tournaient frénétiquement au son doux de mon cœur, rythmé sur le canal du tamtam :
« Hémoglobine excitante, fracassement d’os fragiles, chair pulpeuse et doucereuse prête à pourrir à loisir, lame d’acier en "papier trempé"…
Je me découperais en quatre, ôtant les extrémités impures qui souillent ce corps décharné et exsangue. Je fracasserais ces membres avant de les écorcher à vif et de les laisser estropiés dans un coin. Je brulerais ma peau avec sadisme et rage…Ah…douce mélodie qui s’accorde avec harmonie à ces coups de couteaux brutaux.
Laisser naître ces cicatrices imposantes et hurlantes, façonnées à la manière d’un Picasso, pour un rendu « pictural » sans pareille. Folie excessive et possessive qui s’empare de moi lorsqu’il s’agit d’hémoglobine. Omniprésence pathétique de ces larmes dévorantes pareilles à un bain d’acide citrique critique et psychotique… ».
Tant de choses irréelles qui ne pouvaient le devenir sans ma volonté, tant de chose interdites, prohibées…

Pourquoi cette soudaine envie de violence, de blesser, de frapper, de se révolter contre tout ceux qui m’ignoraient ? Pourquoi avais-je envie de fracasser leurs crânes tels des fruits murs, sans retenue et sans réflexion…Une semaine d’ennui, de désociabilisation pour que ma haine contre la société me pousse à vouloir l’exterminer dans un immense holocauste…
Un mal être intense prenait place au sein de mon essence, sa progression à travers les pages de mon existence noircissait tout ce qu’il y avait de positif en moi et ma motivation, mon hymne à la vie s’amoindrissait de jour en jour…
Douloureuse expédition en enfer à qui je remercie l’envoi express du Lapin Blanc. Meurtrie, abandonnée, déboussolée, je me suis retrouvée seule, anéantie, en lambeaux, en morceaux…Souffrance intense, cris désespérés et plaintifs, comment hurle un martyr ? Vous qui jugez quand vous lisez, dites moi comment un martyr pleure lorsqu’il n’a qu’une envie : mourir pour ignorer cette vie ingrate ! Odeur nauséabonde de l’ignorance, odeur putride de l’indifférence…

Crise indiscutable et impardonnable qui s’achève avec douleur dans un bain de sang et de chair…