L'usufruit du néant

Le 01/03/2008
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par Prototype Nucléique
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Thèmes / Obscur / Autres
wtf
Ce qui est.

« Monsieur ? »

Enfin, elle entre. La vingtaine, jolie. C’est probablement tout ce qu’il pourrait en dire si elle disparaissait subitement. En effet, l’homme perd ses facultés d’observation quand ses pulsions sont sollicitées, d’une manière aussi infime soit elle. Il se cantonne donc à cette perception. Le séducteur, lui, sait gérer sa pulsion.
La jeune femme s’assied, près des petits vieux.
Dès lors, tout change. Il évite de la regarder. Se refusant à avoir l’air de. Quelques minutes passent, dans un silence de sous-marin traqué aux fins fonds d’un abysse. Puis, de temps à autre, comme ça, il risque un œil : regarde un peu les autres, pour donner le change aux racontars, puis se risque à l’effleurer du regard. Comme ça. Avec les sourcils un peu haussés, signe bien malgré lui, de la tension à l’origine du coup d’oeil. Puis, leurs regards se croisent l’espace d’un instant.
Extase éphémère.
Alors, plongé dans son jeu hollywoodien d’être suprême méditant dans une salle d’attente, il quitte dramatiquement la réalité. Tout un univers se crée dans son cortex déréglé, une course-poursuite ultra-furtive, où chaque battement de cils est lourd d’implications. Où les arabesques disproportionnées de raisonnements et de stratégies n’aboutiront qu’à l’immobilisme le plus total. Les scénarios s’enchaînent, sont minutieusement comparés aux souvenirs, puis rejetés. Elevant à son désir un totem stérile et éphémère qui ne connaîtra d’autre fidèle que lui, il ne bougera pas le petit doigt.

Le pathos engendré.

Je sens l'origine, les sécrétions, le café, le tabac. Je suis debout, je suis nu, je filtre. Il fait froid, je ne chauffe pas. Je n'ai pas quitté mon réduit depuis quelques jours. Je ne parle pas, j'écris.
Ma chaîne hi-fi crache son kilowatt, seize heures sur vingt-quatre, ce qui diminue, je l’espère, l'impact de la solitude sur mon équilibre. Les journées s'enchaînent, je suis en révision. Tous les matins, je fais chauffer de l'eau, et filtre un peu de café. J'ai peu d'argent et use de tout avec parcimonie. Pas de douche chaude, pas de frigo, pas de cigarettes, juste une plaque en fonte, des oeufs, du café, quelques mégots au fond d’un cendrier. Et les livres. Je ne parle pas, je lis.
Les heures, les jours passent, la Création que j’adule m’impose les peines d’un rejet que j’ai moi-même orchestré. Le cri intérieur m’étouffe, prenant la forme d’un autisme violent et barbare qui déforme ma face par crispation de sa serre cadavérique sous ma peau brûlante. Dans le stoïcisme du sage, je crève de haine pour tous ces hommes qui vivent sans le savoir mon rève de toujours.
Plongé dans l’agonie de l’humain disparescent, je suis la multitude, petite unité de chaleur et de mouvement, baigné par l'univers minéral et aveugle. La mort est une gigantesque volute stellaire d’atomes d’hydrogène et d’hélium, qui de sa froide pénombre envahit inexorablement mes membres et mes organes, détruisant ce corps que ma mère adulait dans mon enfance, ce petit garçon qu’elle a fomenté et qui m’est arraché par la hargne de l’insensé.

Je suis seul, j’ai froid, je n’essaie même pas d’être intéressant.

La joie qui gronde.

    A travers l’enchevêtrement des troncs et des brumes matinales, dans la fraîcheur de l’air de l’hiver qui s’efface jour après jour, se dissipe la chaude lumière du soleil levant. Sa puissance fait frémir l’humus et bouger les feuilles des arbustes naissants. Comme un vent immatériel pénétrant les tréfonds de la matière, galvanisant la dynamique du quark.

Un souffle vient se mêler au frémissement de la nature qui prolifère. Une jeune femme court sur le sentier. Elle réchauffe l’air de sa peau brûlante. De sa bouche et de ses narines, expulse avec force un air un air imprégné d’énergie. Seule dans le bosquet qui borde la cité, son effort gracieux témoigne de sa détermination à vivre. Le vent de liberté qui coule dans ses veines, dans cette forêt corrompue par les rivalités, élève par delà les apocalypses l’étendard de la rébellion et du triomphe éternel.
    Comme descendue du ciel, l’immortalité s’approche, déjà les hommes l’ont compris, et tendus vers ce but ultime, redoublent d’efforts pour l’atteindre. Les rebelles qui ont rejoint ce mouvement sont animés d’une fervente sagesse. Assemblant les briques fondamentales de la vie dans des réacteurs biologiques, alimentés par les entrailles de la terre, ils honorent enfin le sacrifice de 3 milliards d’années de martyrs, morts pour la cause maîtresse.
    Et derrière les cloisons solaires de leur cité évanescente, finalisant l’élaboration de l’Etre, débutée par la proie condamnée, à bout de souffle, se débattant encore et toujours entre les mâchoires meurtrières, reprise par le singe terrifié, enfouissant le corps décharné, et parachevée par l’humain ainsi naissant, la crypte et le gynécée se géminent pour ne former plus qu’un seul sanctuaire, où je n’aurai plus jamais peur.


    Le rêve passe par l'intelligence, qui s'inflige les calvaires du temps. Le pragmatisme est le frigidaire du système limbique, et l’homme moderne n’entrave absolument rien à l’odieux labyrinthe de fils, de raccords et de tuyaux ésotériques qui se cache derrière la prise à laquelle il est raccordé. Ainsi, ses névroses solitaires éventrées en humiliations publiques suscitent la haine et le ressentiment, corrodant jusqu’à la moelle l’éclat bienfaiteur de l’étincelle qui l’anime.