Ma chienne

Le 17/03/2008
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par Absinthe
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Thèmes / Obscur / Triste
Personnifier la souffrance et en faire la compagne fidèle du narrateur, c'est pas méga-goth ça madame ? Du coup on ne cesse de ricaner tout du long en imaginant l'auteur avec la coupe de Robert Smith et l'oeil maquillé de noir. Pourtant c'est pas mal écrit et pas désagréable, loin de là, Y a même quelques instants de disjoncte un peu brutale. C'est juste que dans l'ensemble c'est un truc délicat et mélancolique, bref un texte de tarlouze.
J'ai donné un nom à ma douleur, et je l'appelle "chienne".
Elle est aussi fidèle, aussi importune et impudente, aussi divertissante que tout autre chien, et je peux passer sur elle mes mauvaises humeurs, comme le font d'autres avec leurs chiens, ou leur femmes.
Toujours dans mon ombre, la nuit en particulier, je ne sait si elle me suit ou m'entraîne vers les zones obscures où je me rend, chaque soir. Pendant ce rituel nocturne, elle est là, tantôt sous mes yeux, devant moi, tantôt dans mon ombre, discrète et insidieuse. Je n'ai aucun besoin de la siffler ou de l'appeler, elle sait qu'à partir de 23 heures, je l'attends, la désire même. Elle se nourrit de noirceur, et quand je sors de chez moi, elle ingurgite chaque atmosphère qui se dégage de chacun des lieux que je visite. Je lui en donne, du sombre, j'y plonge même, dans les rues désertes où seul un clochard gémit lamentablement sur le sol, en frétillant comme un poisson agité de convulsions pré mortelles, dans les plaines éloignées de la ville, où la nature rugie l'asphyxie, dans les bars où toujours les mêmes habitués s'enfoncent chaque soir un peu plus dans la médiocrité, dans les cimetières, car je crois y entendre de sourdes et longues plaintes qui s'élève de chaque sépulture. Chacune différente. Avec ma chienne, nous parions sur les auteurs de ces plaintes, homme ou femme, avocat ou chômeur, nous devinons en devisant sur leurs futur. Et le notre.
Il arrive pourtant qu'elle me dérange, la majeure partie du jour, où elle s'impose et me rappelle la nuit, elle réclame du noir, quand bien même je l'insulte, je l'exècre, je la chasse, elle revient et me dit qu'elle a faim. Pour qu'elle me laisse en paix, parfois, je cours dans un endroit que je sais isolé, et je la laisse se gaver par le prisme de mon corps. D'abord, elle me fait toujours vomir, elle me vomit moi, parce que j'ai essayé de l'étouffer, puis elle me malmène, me jette contre le sol, m'agite de convulsions, je fais semblant de ne pas apprécier, au début. Elle sait s'adapter ma chienne, elle utilise tout ce qu'elle trouve pour me punir : au bureau, c'est souvent aux toilettes qu'elle m'emmène, elle me noie dans l'eau des urinoirs et me force parfois à ingurgiter mes déjections et mes reflux, et termine la plupart du temps en projetant ma tête contre les dalles des toilettes à la turque. Elles sont solides ces dalles...

Elle n'a peur de rien. Et elle m'amuse aussi, elle danse en moi et me chatouille, me gratte les côtes, les brise parfois. Quand je me masturbe les yeux dans le blanc des siens, elle pompe le sang de mon sexe en érection, et le recrache dans ma bouche. Alors, un sourire éclaire mon visage, et quand je sens les larmes qui dégoulinent le long de mes joues blanches, je ris, d'abord doucement, puis de plus en plus fort, jusqu'à hurler mon maximum, comme si je l'appelais et qu'elle ne répondait plus.