Mauvaise excuse

Le 11/04/2008
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par Lahyenne
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Thèmes / Saint-Con / 2008
Cette ordure de Lahyenne est prêt à tout pour ne pas écrire de texte de Saint-Con, même lorsqu'il écrit un texte de Saint-Con. Ce texte explique pour quelle raison (foireuse) l'auteur n'a pas pu écrire son texte. C'est pas de sa faute, c'est son PC qui a crâmé. Bien sûr. Vannes débiles, racontage de life, humeur de chien et mauvaise volonté au programme. Et un texte qui vire peu à peu au sérieux, avec une fin étonnamment tragique. Gné ?
C'est toujours la même chose. On ne prépare pas, on se dit : "c'est bon, j'ai le temps", et paf c'est demain. On aurait bien pu écrire un texte, comme ça sans se relire et ce en vingt minutes, mais non. On va arrêter de s'appeler "on" d'ailleurs.
Et donc j'ai décidé de ne pas participer à la Saint Con cette année. C'est encore la décision la plus sage, afin d'éviter tout texte de merde inutile, perte de temps à la fois pour le lecteur, pour le comité de cons sacrés qui met en ligne et surtout mon précieux temps à moi. Ma femme est malade dans le lit, elle a quarante de fièvre (et je me force à écrire en chiffre là, hein) et a vomi en rentrant du boulot, j'ai un gros soucis de iptables de merde sur le serveur lapin (pub : www.lapin.org) à régler, sûrement un bon paquet de dessins tous plus nuls les uns que les autres en retard, un peu de programmation en plus à faire et par dessus le marché j'ai une excuse de saint con à pondre.
On va faire soft : je suis un fainéant, j'ai rien branlé.
Je sais, ça n'a rien d'original, vous aussi vous n'avez rien branlé mais pourtant vous avez un texte. Alors je peux avouer que le ridicule ne tue pas : Mon ordi a planté et j'ai perdu toutes les sauvegardes de mon texte de Saint Con. Si, si. Il a planté, je vous dis, alors je viens m'excuser de ne pas pouvoir rendre mon texte, c'est tout.
Bon, vous avez raison, je peux trouver une excuse un peu plus développée, c'est vrai qu'il a un peu plus que planté.
En fait, mon ventilateur d'alimentation faisait un sale bruit depuis quelques jours. Un genre de vrombissement de bourdon enragé, assourdissant, obnubilant. Et ce soir d'un coup, plus rien. Je me suis dit que c'était plutôt une bonne nouvelle et que j'allais pouvoir enfin éprouver la sérénité absurde du codeur suspendu au bruits réguliers, hypnotiques des touches de son clavier. J'en venais à me demander si je n'allais pas enfin l'écrire ce putain de texte lorsque j'ai commencé à sentir l'odeur. Caoutchouc grillé. Caractéristique. Mon ordi a coupé juste après que je la perçoive. Un claquement ! La vibration légère qu'émettait toujours cette saloperie de pécé a réalisé une descente parfaite des octaves successifs juste qu'à atteindre le point zéro de sa gamme. Le silence absolu. Et bien sûr un écran noir et la certitude de ne pas pouvoir réécrire mon texte.
Certains d'entre vous sont sûrement des professionnels de la réécriture multiple du même texte jusqu'à atteindre l'architecture et la langue parfaites. Pas moi. J'écris pour expulser des pensées, pour vivre virtuellement une autre histoire que ma vie banale, pour vibrer et me laisser porter. Je parlais tout à l'heure de l'hypnose engendrée par le bruit des touches, et bien voila que l'hypnotiseur venait de claquer des doigts. Et moi de me réveiller.

Ca faisait un moment que j'étais immobile, sans trop savoir quoi faire. L'écran était bien sûr toujours noir, et je n'osais ni tenter de rallumer le pécé, ni le fracasser en hurlant, de peur de réveiller E.. Les flammes sont arrivées à point nommé pour me forcer à réagir. J'optais pour la deuxième solution et me mis à éclater l'ordinateur avec mes chaussons en beuglant "AU FEU !". Mes chaussons en laine de mouton que j'étais si fier d'avoir acheté directement au producteur se sont fait un plaisir de cabosser l'ordinateur. Et comme ils sont un peu joueurs, ils se sont évidemment enflammés. Bon, quelques hurlements de plus avant de les lancer dans le couloir et j'étais tranquille.
Le premier brasier, lui, devait s'embêter un poil. Et comme le meuble d'ordi est de la bonne merde de chez confo, il a commencé à gronder un peu. Puis beaucoup. J'ai bien essayé d'y mettre la couverture du canapé dessus pour le calmer mais ça l'a plutôt excité et il a fini par me l'arracher des mains. J'avais déjà essayé en vain de souffler dessus et cassé la bouteille d'eau qui trainait à côté de moi sur la table, mais ce petit con n'était plus si petit que ça. Tout en vrombissant, il gagnait du terrain et m'a forçé à contourner la table de la salle à manger qu'il commençait à dévorer, puis à me poursuivre jusqu'à la porte, qui donnait sur le couloir, où j'avais jeté les chaussons. C'est là que je me suis rendu compte de deux choses. Premièrement, ma femme ne disait toujours rien, alors que je hurlais depuis un moment et ce pas qu'à moitié. Elle avait dû ingurgiter des calmants ou un truc du genre pour s'endormir. Deuxièmement, j'avais lancé les chaussons un peu fort et, par delà le couloir, j'avais atteint la chambre d'ami. Celle où le linge séchait. Et vu les flammes qui en sortaient, le linge devait bien être sec. Secs aussi les cartons de déménagement qui étaient, eux, bien dans le couloir depuis quelque chose comme deux mois que je devais les descendre et qui jouaient gaiement avec tous leurs copains enflammés. J'ai entendu enfin un signe de vie derrière le rideau de flammes, mais je ne voyais rien. Je criais à E. de ne pas venir dans le couloir entre deux "AU FEU !". La porte de notre chambre était toujours fermée, au bout du couloir, et bien qu'elle commençat à s'enflammer, elle n'en demeurait pas moins opaque, la salope. Je m'énervais. Je tentais de passer le couloir mais le parquet commençait à prendre, j'entendais des bruits d'explosion qui venaient de la salle de bain (ma réserve d'eau de vie ?) et les murs se languissaient de participer à la fête. Trop chaud; Je ne pouvais pas passer. A la limite en sautant, peut-être que je glisserais jusqu'au bout ? Je serais bon pour quelques cheveux de moins mais la voix qui commençait à pleurer de peur derrière la porte qui brûlait avait vraiment besoin de moi. Je pris mon élan et tentais le tout pour le tout. Est-il utile de préciser que le parquet enflammé ne glisse plus que moyennement ? J'eus tout de même un peu de chance, puisque la porte s'ouvrait dans le bon sens et qu'étant donné la difficulté pour la fermer (les cons ont dû mal se démerder et trop peindre la tranche), nous la laissions toujours à la limite de l'entrebaillement. Toujours est-il qu'après quelques roulades pour éteindre les flammes qui s'étaient accrochées à moi, je me retrouvais par terre dans la chambre, ahuri mais entier. Ma femme s'était réfugiée dans le coin le plus éloigné de la porte et pleurait. Je lui dis quelques banalités d'une voix douce et la pris par la main. Je crois que c'est là qu'elle m'apprit qu'elle était enceinte. Elle voulait me le dire ce soir, mais j'avais soi-disant trop insisté pour qu'elle aille se coucher. Avec son rapport à rendre pour la semaine prochaine, je m'imaginais que la maladie était liée à la fatigue et au stress et je n'avais pas une seconde envisagé l'éventualité d'un début de grossesse. Je lui dis que tout était pour le mieux, que nous allions sortir, tout simplement, tous les trois, et qu'elle n'avait plus à s'en faire. Je lui dis que je l'aimais et que tout se passerait bien. Pendant ce temps, l'incendie avait gagné l'armoire de la chambre et commença à rigoler un peu avec le lit derrière lequel nous étions cachés. Je me rendais également compte que nous toussions de plus en plus. La fumée n'avait plus aucune issue de secours depuis que j'avais fermé les aérations pour empêcher les moustiques de rentrer cet été. Alors elle s'accumulait. Nous nous fîmes deux masques rudimentaires avec des mouchoirs pris dans la table de chevet et je commençai à aller voir si nous pouvions passer.
- Je saute là-bas, et... Et dès que je crie, tu viens. Je te rattrape et on s'en va, okay ?
- Okay
Elle avait encore la voix tremblante d'avoir pleuré et toussé, avec un accent hystérique que je ne lui connaissais pas. Je sautais de toutes mes forces dans le couloir et allais me fracasser contre le mur du fond, qui, porteur, faisait bien mal mais ne s'était pas enflammé. Je me relevai.
Le cri que je poussais fut masqué par une explosion venant de la salle de bain. Le bidon d'eau de vie. Cette fois c'était bien lui. Les flammes redoublèrent. Je hurlai.
- VIEEENS, PUTAIN !
- Je peux pas.
Sa voix venait en sanglots depuis l'intérieur de la chambre. Loin à l'intérieur. Le lit. Le lit devait avoir pris avec le regain de flammes créé par les vapeurs d'alcool. Je vociférais contre la chaleur qui me repoussais inéluctablement vers l'entrée et m'étranglais. Je ne sentais pas la douleur, mais la chaleur créait comme un mur solide devant moi.
- VIEEENS !
Elle ne cria pas. J'entendis vaguement son abandon et j'en saisis quelques mots, dont le dernier:
"Jérémie".