Slip

Le 24/05/2008
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par Fix
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Thèmes / Débile / Disjoncte
A lire ça, on croirait qu'écrire un bon texte, c'est facile. Pourtant ça doit pas être évident d'avoir un style naturel en esquivant les maladresses et les fautes de goût. En tous cas, dans le genre sobre, humour pépère sans prise de tête, j'ai rarement lu mieux. Les questions existentielles et les inquiétudes d'un assassin sur ses chiottes. Rien à redire.
J'étais assis sur les toilettes.
Tout ce que je portais, c'était un t-shirt et mon slip. Mon slip n'était pas sur mes chevilles, j'en avais sorti ma jambe gauche et l'avais remonté sur mon genou droit. C'était plus confortable, et puis comme ça au moins, il ne traînait pas sur le sol. Je me demande si les gens font ça, d'habitude. A côté de moi, dans la baignoire, se trouvait ma femme. Vous vous en doutez, elle était morte. Son cadavre flottait sous la surface, les cheveux volants autour de son visage, immobiles. Elle était nue, mais on ne voyait pas grand chose, car elle était au fond d'une eau un peu savonneuse.
Je me rappellerai toujours que quand j'étais gosse, à la piscine, j'étais le seul à pouvoir rester au fond de l'eau, collé sur le sol, sans remonter instantanément à la surface. La technique était simple pourtant, mais les autres gamins n'avaient jamais rien compris. Il suffisait d'expulser tout l'air de ses poumons, et on coulait instantanément. Par la suite, au lycée, j'ai pigé que tout cela était dû à la force d'Archimède : plus le volume d'un corps est faible, plus la force d'Archimède est réduite. Dans le cas de ma femme, c'était à peu près pareil : ses poumons étaient remplis d'une eau bien plus lourde que l'air ; du coup, elle restait bien au fond de la baignoire.
C'était pratique, si vous voulez mon avis, elle puerait sûrement bien moins vite. J'en savais rien, c'était la première fois que je l'avais tuée, aussi. Tout du moins, pas métaphoriquement. Rien ne pressait, d'ailleurs. Personne ne venait jamais chez nous, et puis ma femme ne sortait plus depuis longtemps. Elle passait son temps à la maison, à déprimer, sans boulot, sans amis. Elle se plaignait sans arrêt, ne faisait rien pour arranger sa situation ; tout lui semblait perdu d'avance. Un jour, à force d'en avoir marre d'entendre ses reproches et sa haine, j'y ai mis fin, simplement. C'était ce matin. Depuis qu'elle avait perdu son boulot, j'en rêvais. D'ailleurs, elle parlait toujours de suicide, sans jamais tenter quoi que ce soit ! Elle ne pouvait pas me faire ça, disait-elle. Eh bien moi, je pouvais. Alors j'en ai profité, pour notre bien à tous. Le problème, maintenant, restait son cadavre : j'aimais bien me doucher, et je n'allais pas la laisser pourrir dans ma baignoire pour toujours. Enfin, quoique, combien de temps lui faudrait-elle pour retourner à l'état de compost ? Si je la laissais assez longtemps, peut-être qu'elle finirait par redevenir poussière... Ah mais non, il y avait les os. Les os, ça reste, comme truc. Et c'était pas vraiment possible de les enlever sans faire de saletés. On pouvait pas les sortir à moins d'enlever ce qu'il y avait autour, et moi, j'ai très peur du sang. J'étais assez content d'ailleurs, elle était morte, mais elle n'avait rien sali. C'était bien propre. Sauf ce que j'avais fait dans nos toilettes, mais ça, on n'y pouvait rien. C'était une belle grosse merde, digne de ce que j'avais fait.
Nom de dieu, qu'est-ce qu'elle puait ! La vache ! J'avais beau l'avoir enroulée dans notre rideau de douche, histoire de réduire un peu les odeurs, ça n'y changeait rien. En plus, elle était encore mouillée, alors elle me glissait des bras, c'était moche. Plusieurs fois, j'ai dû me pencher pour la relever, mais ça la faisait cracher un peu d'eau ; pour finir, je me suis contenté de la traîner sur l'herbe. Le fleuve se trouvait là en bas, pas trop loin. J'ai déroulé le rideau de douche, découvrant la chose. Elle était bien dégueulasse, et surtout, une grosse odeur montait vers moi, comme une sorte d'ultime reproche qu'elle m'aurait fait. Tu l'avais cherché, ma chère. J'étais bien content d'en être bientôt débarrassé ; bien sûr, ma vie ensuite allait être sacrément bizarre. Comment me faire à nouveau des amis, retrouver des gens ? Parler à des femmes, les amener chez moi, les voir se doucher là où ma femme était morte ? Enfin, on y était, fallait terminer. Je l'ai d'abord poussée avec les pieds, et puis après un petit moment, je suis allé chercher un bâton, de peur de saloper mes godasses. C'était cocasse, comme situation, mais je mentirais si je disais que j'ai ri ou que j'ai aimé ça. C'était vraiment horrible, à faire, et surtout à sentir. Bientôt, je serais libre ; là, j'avais envie de m'enfuir très vite, mais le fleuve était bientôt là. Enfin, j'ai pu la pousser un dernier coup, et elle est tombée tout en bas. Elle s'est un peu ramassé les rochers, mais elle a fini par tomber dans l'eau.
Je faisais caca, et comme depuis deux ans, je pouvais pas ne pas penser à elle. C'est dingue comme truc, on m'avait pas dit. J'aurais jamais réalisé sans en faire l'expérience. Tuer quelqu'un, ça vous colle, c'est horriblement collant. Ca fait partie de vous, ça s'attache comme un rideau de douche à la peau mouillée, ça pourrit la vie, ça vous noie dans une culpabilité lente, agonisante. J'avais survécu, à quel prix ! Mais au moins, je faisais caca, c'était déjà ça.