L'Immeuble 4 - Dernier étage

Le 18/06/2008
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par Nico
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Rubriques / L'immeuble
C'est le dernier épisode, et on découvre enfin une issue : vers le haut. Comme on pouvait s'y attendre, on ne trouvera ici aucune réponse ferme, mais le texte est également dépouillé de son gloubiboulga onirico-absurde. C'est plutôt une petite balade de la fin des temps, douce et poétique, avec de forts relents d'extinction définitive.
L’ascenseur monte encore et encore. Je me sens écrasé contre le sol. Mes jambes tremblent. J’ai encore le corps d’Hélène dans les bras. Mais pas pour longtemps. Il commence déjà à se dissoudre en fine poussière dans l’air. Lorsque l’ascenseur s’arrête enfin et que les portes s’ouvrent, le courant d’air emporte tout ce qui restait.
-    C’est le dernier étage, Monsieur.
-    Merci.
-    Au revoir, Monsieur.
Je sors lentement. C’est une terrasse à l’air libre, c’est la sortie. Il n’y a personne et le soleil n’éclaire pas. Il tombe une fine pluie. Pas une pluie habituelle qui trempe les os et la chair, une de ces pluies qui ronge l’âme et l’esprit. De ces pluies qui annoncent aux arbres que l’automne est de retour.

Je m’approche du rebord. Il n’y a rien pour empêcher de tomber, pas l’ombre d’une barrière ou d’un muret. En bas il y a un nombre infini d’étages et les nuages gris masquent le sol. Ils masquent tout. Impossible de voir s’il y a d’autres immeubles aux alentours. Mais je devine qu’il n’y en a pas. Et que ça n’a pas d’importance.
Sur le côté il y a une pierre tombale en marbre gris, presque noir. Au dessus il y a une petite pancarte.
« Sur cette pierre où les prophètes ont écrit
Là où le silence domine les cris
Où une boite de photographie
Est tout ce qui reste de voyages lointains
Des enfants du jour qui cherchent
Un sourire des enfants de la nuit
Un rêve en sens inverse
On parle dans le vent
Mais le vent n’entend pas
Et le vent emporte les mots
Et les morts, loin
L’on peut être heureux et rire
Mais moi j’ai peur que demain
Je serai encore en train de pleurer »

Avec mes doigts je trace une épitaphe. Les mots que j’écris du bout du doigt se gravent lentement dans la pierre. Puis je m’approche du bord. Je prends mon temps, le temps est avec moi. Je n’ai pas à me presser, je n’ai pas à essayer ou à m’inquiéter. J’ai tout le temps, il n’y a qu’un pas à faire. Et j’oublie la pluie. Elle ne tombe plus pour moi. Mes cendres emporteront tout ce que j’ai dit, et tout ce que j’ai fait. Elles dériveront sous le soleil gris. Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais.

Je ferme les yeux et respire profondément. Le vent caresse doucement mon visage et je sens mes cheveux voltiger. Je fais un pas. Il n’y a rien à dire et je ne dis rien. J’abandonne simplement l’immeuble et ses habitants.

Je me sens léger. Enfin les soucis du jour s’évaporent comme je plonge dans la nuit. Je serai à ses côtés, elle me regardera, je me tiendrai près d’elle. Dans le ciel couvert, je ne tombe pas, je marche sur l’air. Je ne tombe pas, mais cela revient au même, je marche dans les nuages.

Je jette un dernier regard à mon épitaphe. Je ne dis rien, et m’éloigne. Je n’ai même pas à trouver mon chemin dans les brumes. Elle viendra me chercher. Je le sais. Au dessus des nuages, quelque part, il doit bien y avoir du ciel bleu.