Je ne suis pas vénal

Le 23/06/2008
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par Mill
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Thèmes / Obscur / Autres
Bon, c'est pas mal, malgré les légères dérives argotiques auxquelles je me ferai jamais. Un peu anecdotique, en fait, mais pas pénible. Un mec prépare soigneusement un casse de banque, explique son plan, ses motivations. Et puis c'est fini. Où qu'il est le hold-up à proprement parler ? Euh... Dans notre cul.
    13 h 15. Dans cinq minutes, j’entre et j’explose tout. Tout. La porte, le vigile, les clients, l’espèce de pâlot à binocles derrière son plexiglas, la femme de ménage qui s’apprête à partir depuis bien six minutes, sauf qu’il y a l’autre enfoiré de chef du personnel qui lui tient la jambe, la secrétaire boulotte aux joues plus fardées tu meurs, le caniche en pull-over rose fuscia qui fait le pied de grue du côté du guichet automatique en poussant râles et grognements pour montrer qu’il existe en dépit de ses proportions dérisoires, le crépi qui s’effiloche et les affiches criardes vantant le prêt à 19 pour cent avec possibilité d’un négatif de 1500 euros sans AGIO, la banque elle-même, tout.
    J’ai tout préparé, tout prévu. J’ai alterné les rôles les plus stupides et caricaturaux, me suis grimé en cliché pour repérer les lieux, soudoyé le clodo d’en face pour qu’il joue les sentinelles, dressé le planning des employés, déniché caméras et alarmes sensorielles, revu dix fois Inside Man et Ocean’s Eleven pour le fun. Je pense très sincèrement que personne ne pourrait être aussi prêt que moi. Pas de bévue, pas d’incartade. A 13 h 27 très précises, le vigile ira pisser. Réglé comme un coucou suisse, le gaillard. Trois minutes pour se vider, pas une seconde de plus, toujours à la même heure. Ca me laisse suffisamment de temps pour l’enfermer dans les chiottes aseptisées de cet établissement minable et déshumanisé. Je hais les banques, foutre.
    Une fois le gars piégé dans les vapeurs d’urine, je n’aurai plus qu’à sortir le grand jeu, à savoir un pain de plastique préparé par Moshe, ancien tueur du Mossad reconverti dans le détournement à grande échelle d’explosifs et armes de poing, accessoirement ex-beau-frère d’un de mes vieux amis, et ce bon AKA-47 que je traîne comme un boulet mal démoulé depuis Sarajevo.
    Vois-tu, j’en ai massacré, des mômes, de l’autre côté du continent. J’en ai cassé, des culs d’gonzesse, entre deux ruines émiettées, deux incidents diplomatiques. J’me suis même payé des casques bleus à l’occase, pour voir ce que ça faisait. Ben rien. C’est pareil. Un corps qui tombe, se ramasse sur lui-même et reste là à pourrir. Rien de particulier. Un mort, c’est un mort. Le reste, c’est de la branlette pour intellos du genre de Modine dans Full Metal Jacket. Putain d’bon film, hein.
    J’ignore pourquoi j’ai choisi cette banque. Je suppose qu’il fallait commencer quelque part et que, par association d’idées, j’ai pris en grippe le bâtiment, la clientèle, l’un ou l’autre des employés. Je n’avais pas envie de démarrer par un simple meurtre désintéressé, le facteur, un passant, la rombière qui vend des clopes au coin de la rue en médisant sur les ados qui viennent lui prendre des capotes bon marché tous les 36 du mois. Qu’est-ce que tu veux ? Je vois grand, moi. Il me faut du carnage, des viscères par sacs entiers, du sang jusqu’en haut des chevilles. J’veux du chagrin et des lamentations, des gémissements en guise d’acouphènes, des membres qui craquent et des corps qu’on étripe.
    Cela dit, j’me suis rouillé depuis le temps. Pas qu’un peu. Alors, hein, une structure réduite comme cette banque de merde, ça me semblait l’idéal. Le parfait amuse-gueule avant de rentrer dans le vif du sujet.
    L’argent, je m’en cogne.