Jusqu'à la lie

Le 01/07/2008
-
par Contre-paix
-
Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Bizarrement gaulée, cette nouvelle. Tout le début est très classique dans sa forme, dans son style et dans son cul. Totalement plat et ennuyeux, avec un narrateur qui veut jouer les méchants, un faux prédateur sexuel en carton, jamais crédible. Et puis sur la fin, ça part complètement en vrille, confusion mentale à bloc. On comprend plus rien, mais d'un coup, c'est nettement moins générique et plus intéressant.
5h38.    Depuis combien de temps je suis là? Des heures, au moins... plus personne ne viendra, maintenant.

Ce soir, je me suis préparé à consommer ma revanche.
    23h15 : Face à mon miroir, chemise ouverte. Je m'habille d'un parfum puissant, celui que j'avais quand elle m'a quitté. Puis, la chaîne discrète en argent. Enfin, les derniers boutons, une correction d'une mèche qui se faisait la malle - pas comme je voulais. Je suis prêt à satisfaire mon appétit, je souris à ma moustache fine, à mes yeux noirs dont je sais qu'ils ferrent le poisson plus vite encore que mon portefeuille rempli à craquer.

    23h39 :    Dans la file d'attente, rien que des petits enfants bourgeois, et leurs mochetés bouffies de leurs habits jusqu'à la moëlle. Je les hais - ils essaient d'être comme moi, ils n'arrivent qu'à être grotesques et méprisables.
    
    Je repère deux cibles. La première est de taille moyenne, frôle l'obésité, et se tortille à chaque fois qu'un mec ouvre la bouche ; ses lèvres charnues sont légèrement surmaquillées, elle arbore des fringues une taille en-dessous de la sienne, qui laissent déborder de larges replis. Elle est laide, et elle le sait - ses mèches violacées détonant avec des cheveux blonds qui auraient pu être beaux me le crient. Quasiment parfaite - une proie de rêve pour se mettre en appétit.

    L'autre est quasiment son antithèse, superbe brune qui semble flotter un peu au-dessus de la mêlée, l'air réservé, un léger sourire vient plisser sa fossette gauche. Elle a l'air timide, je sais à quel point c'est trompeur - je la connais par coeur maintenant. Ses cheveux ondulés rejoignent un haut presque strict, bleu nuit, qui par sa sobriété n'en laisse que plus à imaginer.

    Le sort de chacune est scellé. Pour la première, depuis dix secondes, et pour l'autre depuis trois ans. Et, bien que ce soit par des chemins différents, elles finiront toutes les deux de la même manière.

    00h34 : Enfin, mon laideron se retrouve tout seul, après que le dernier mâle de sa bande a réussi à s'en débarasser - apparemment en prétextant un déplacement au bar. Je préfère attaquer quand elles sont isolées, on n'est jamais à l'abri d'une intervention d'un ami resté dans les parages.

    Je m'approche doucement d'elle, qui ne me voit pas encore, et d'un coup je suis dans son champ de vison. Ma tête pivote, je feins de l'apercevoir, et laisse passer une lueur d'amusement dans mes yeux - à laquelle j'ajoute un peu de surprise savamment dosée. Elle me regarde d'un air ahuri, celui d'une vieille fille à qui on n'a jamais fait d'avances. Pourtant, elle a l'air d'avoir la vingtaine bien entamée. J'attends une fraction de seconde durant son inévitable réaction, elle rentre la tête dans les épaules très légèrement, interloquée, et regarde autour d'elle s'il n'y aurait pas une beauté solaire qui éclipserait son visage de lune - paradoxe physique qu'évidemment elle ne saisirait pas.

    Quelques petits pas dansés me rapprochent d'elle. Je lui souris et danse - en veillant à ne pas l'approcher trop pour ne pas l'effaroucher - je suis sans doute le premier à l'aborder depuis des années. Puis, de plus en plus près, de plus en plus hardi et en mouvement, je finis par l'envelopper de mes gestes souples, la frôler à la cadence de la basse ; je la vois fermer les yeux, ses joues flasques tremblotent de plaisir, sa timidité évanescente est tombée avec une rapidité surprenante. Ça y est, elle est dans mes filets.

    Elle ose même quelques pas ridicules, je me mords les lèvres pour ne pas éclater de rire. Pas tout de suite, ne rien gâcher, attendre qu'elle s'abandonne totalement. Je me retiens en mordant mes lèvres ; bonne occasion pour enchaîner, après ce semblant d'hésitation, je m'approche de son oreille et lui murmure de très près les premiers mots, ceux qu'il ne faut pas manquer.

    -"Stan. Triste de te voir seule - j'ai eu envie de te tendre les bras."
    -"C'est ... très gentil, bafouille-t-elle en beuglant pour se faire entendre. Moi, c'est Elsa, euh..."

    Je lui fais un signe discret pour la rassurer, pour qu'elle ne s'affole pas, qu'elle entre en confiance. Puis je passe derrière elle à la faveur d'un changement de rythme, en un instant elle ne me voit plus mais me sent contre elle. C'est délicieusement répugnant, d'être contre son dos et son énorme cul, mes bras se referment sur sa taille, quelques secondes après je dépose un baiser dans son cou parfumé à l'extrême et trempé de sueur. Elle est en transe - et je déteste qu'on fasse preuve de mauvais goût olfactif juste sous mon nez.

    C'est le moment tant attendu, la musique est si forte et les lumières si basses que ça va pouvoir durer.
    -"Elsa... ta façon de danser... ton regard... toi...
Elle frémit. Elle a entendu ça dans tous les sitcoms dont elle se gave le soir, et cette pauvre frustrée est inquiète en attendant confirmation de ce qu'elle croit entendre. Elle attendra longtemps.
    -"C'est grotesque. Ridicule. Immonde. Risible...
Incrédulité. Deux secondes de flottement, puis elle essaye de se retourner ; peine perdue, je la maintiens fermement. Mes tendres bras sont devenus des menottes d'acier, je fais passer ses mains derrière son dos et lui fais une clé douloureuse, en serrant ses chairs graisseuses à les broyer.
-" Tu es laide, laide tu resteras, toute ta vie tu seras une grosse conne qui se déguise en dinosaure et se maquille comme une pute, pour plaire à n'importe qui - alors que tu ne mériterais même pas d'exister."
    Une secousse pour se dégager, son visage doit se tordre de douleur car son épaule a encaissé tout l'effort. Je serre les mâchoires, savourant ma victoire, jouissant à fond de la démolition totale :
-"Jamais personne ne t'aimera. Tu es définitivement ridicule et inutile. La seule chose comme toi qui a essayé de me fréquenter a fini pendue. Et tu sais quoi? Elle a sauté d'une pile de bouquins sur le régime amaigrissant. Enormes, les bouquins, comme ton cul qui n'en finit pas de vibrer de toute sa gélatine immonde."
    Elle gémit, elle commence à paniquer, c'est encore mieux, la saveur de la revanche éclot et s'épanouit en moi, submerge et balaie tout. Je ponctue mes phrases d'à-coups brefs qui ajoutent à sa panique et lui broient les bras. Elle tressaille à chaque coup que j'assène.
-"Je vais te donner un conseil. Disparais pour toujours, crève. N'essaye pas de te noyer, tu n'y arrives même pas dans ta propre graisse. Crève. Que ce soit discret. N'ose même pas déranger quiconque pourrait te trouver, que ton nom n'apparaisse nulle part ou je viendrai moi même pisser sur ta tombe. Crève!"

    Brusquement, je la relâche et la pousse au milieu de la foule, où elle s'écroule en sanglots. Je suis déjà loin, tremblant légèrement, les veines gorgées de sang bouillant et chargé d'adrénaline.
Mon poing dans le mur laisse une trace sanglante au milieu d'un trou béant - signature barbare du triomphe à l'état pur. Ce n'est qu'une mise en bouche, pourtant.

1h10 : Je suis parti me rafraîchir. L'eau glacée glisse sur mon visage et me calme. J'ai besoin de toute ma concentration pour la suite. Le miroir me renvoie des yeux brillants, un sourire mince sur des lèvres qui tremblent encore un peu.

1h13 : Me voilà de retour. Depuis des mois, j'attends que l'occasion se manifeste - et j'ai manqué de ne pas voir celle-ci. La voici au calme, ma brune, dans un recoin sombre d'où elle doit guetter sa prochaine victime. Ne t'inquiète pas ma belle, ta proie sera ton bourreau.

    Je m'aventure, l'air de rien, sur le bord de la piste où elle se trouve, et entame une démonstration de danse discrète - mieux vaut ne pas être trop remarqué - mais de manière à ce qu'elle ne puisse rien en manquer. C'est trop facile : à l'affût, elle esquisse déjà ses pas de parade, ceux qui ressortent en prélude à chacune de ses sorties dévastatrices.

    Tout a tellement changé... elle ne me reconnaîtra pas, seulement au dernier moment. Je ne suis plus le pâle barbu un peu timide et dodu qui était sous la coupe de son charme, et qu'elle a tué elle-même en un rire aussi cruel que cristallin.

    "Merci pour le slow..." avait-elle fait avec un sourire moqueur, pendant que ses amies venaient l'emporter loin de moi en riant aux éclats. Et moi, j'y avais cru. L'espace de quelques secondes furtives.

    Mon coeur blindé de haine ne souffre plus à l'évocation de cet instant à partir duquel il s'est durci et gelé. Tant mieux, il n'est plus fait de la guimauve inconsistante qui fait des gens ce qu'ils sont, ce que je ne veux jamais plus être : des loques, laides, faibles, inutiles, qui ne comprennent rien de ce qui leur arrive. Parce qu'ils croient agir pour le bien de tous alors qu'ils sont incapables d'être forts, de résister une seconde au flux puissant de la vie. Il n'y a que moi que j'aime, vous comprenez, tas d'handicapés? Toutes les filles sont à moi, et essayez de me frapper...

    Je suis Jérôme, destructeur des misérables salopes qui veulent me faire croire qu'elles me méritent. Je suis Jérôme, exterminateur des faibles. Et ce soir, personne d'entre vous ne m'arrêtera.

    Je feins une réserve de circonstance et baisse les yeux afin qu'elle ne me reconnaisse pas - et passe rapidement derrière son dos envoûté, pour m'en assurer un peu mieux. Mêmes frôlements, mêmes mains qui se posent sur les hanches et les emmènent alternativement du désir au toucher, à droite, à gauche, le balancement est osmotique. Ses bras dessinent autour d'elle des arcs de rêve, son bassin reconnaît le mien, je la sens tressaillir et sa respiration s'accélère, ça y est...

    La musique ralentit bientôt - un geste souple et ferme, et nous voilà l'un contre l'autre, face à face... Je m'approche, si près, fais le clin d'oeil particulier que je laissai échapper il y a trois ans... et je sens en elle un subit mélange de frayeur, de panique - je suis reconnu. D'un coin de lèvre, je la rassure, son malaise monte en moi - je m'en nourris, l'adrénaline explose en moi, un frisson d'excitation me fait vibrer tout entier - ma tête explose de milliers d'images. Elle ne tiendra pas longtemps, je l'embrasse subitement. Baiser rendu - elle s'est jeté sur ma bouche.

    Encore un baiser. Il n'y a plus que nous deux, le noir, et le monde dont le seul témoin est le sol sous nos pieds.

    Souvenirs fragmentaires, tout est allé si vite... je lui mords la lèvre de toute ma mâchoire, je lui arrache d'une brutale torsion du cou, recrache sa lèvre ensanglantée sur sa figure horrifiée - mon front pulvérise son nez qui, dans un craquement, laisse échapper une bruine rouge dont je me délecte. Mon poing pulvérise son arcade sourcilière, et je sens son oeil s'écraser sous mes phalanges d'acier.

    DÉFIGURÉE!!!!!! À VIE!!!!!!!

    Encore un crochet, la peau de sa pommette gauche se fend en deux - une large cicatrice pour tes soixante prochaines années, ma belle!

    Deux secondes se sont évaporées, pendant lesquelles elle a à peine eu le temps de se plier en deux de douleur et de hurler - avant qu'un direct dans le plexus ne lui passe l'envie de beugler.

    2h49 : Dans les toilettes, je récupère mon souffle - personne ne m'a poursuivi? Quoi? Merde, j'ai l'impression que tout le monde m'a vu - mais pourquoi personne n'a rien fait?
-"Putain, putain, mais c'est quoi ce bordel, je déteste, j'ai pas le contrôle! Putain j'ai pas le contrôle"

    Une dose - vite. Du sang - mais je me suis pas encore piqué? Oh merde c'est pas le mien - le mec qui me regarde a compris, il me cherche, il va m'exploser, et moi je tremble comme un camé qui a pas eu sa dose depuis quinze jours mais merde j'ai eu la mienne j'ai pas déconné j'ai assuré putain non mais arrête de trembler merde t'as eu ta dose MERDE

    2h55 : Je serre les dents - PUTAIN ça fait MAL!!! J'en crache quelques-unes en riant. Ah ma conne, je t'ai bien éclaté! Je me suis bien éclaté aussi, je m'en fous, je vais crever - mais toi tu vas vivre, et tu n'auras plus jamais ta belle gueule, tu seras condamnée à être laide, je me suis entraîné sur un paquet de filles avant toi et je peux te garantir que tu t'en remettras pas.

    Je vomis un mélange de bile et de sang, le visage écrasé contre terre, je ne peux plus bouger - une douleur atroce me scie le dos, mes jambes ne répondent plus. L'enfoiré qui servait de mac à cette pute m'a vraiment défoncé - l'enculé, il me laissait ma dose, je le défonçais avec une seule main!

    Je ris aux éclats, secoué de hoquets qui ne me font plus rien vomir.

-----
6h04 : Une forme blanche - du bleu - putain je bouge AAAH - du bleu, encore. Merde je pige ma cervelle tourne à vide mais pas assez j'ai mal, j'arrive pas à respirer, mais ce truc c'est un docteur ou je sais pas quoi en tout cas c'est blanc et ...

NOOOOOOOON! Laissez moi crever! Je veux plus vivre, pas comme ça - je les hais! Laisse moi crever!!


FILS DE PUTE!!!!