Jeunesse lemmings

Le 11/07/2008
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par Margi
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Thèmes / Obscur / Litanie
On est un peu en rade de bons textes en ce moment, alors je décide unilatéralement que j'aime bien celui-ci. Pour être honnête, j'ai pas tout capté. C'est de la propagande nihiliste bien embrouillée, mais sans les sermons adolescents qui tâchent. Avec plus de recul, plus de classe que la moyenne.
Certaines images ont décidé, sans rien demander à personne, de s'afficher partout dans votre petit cerveau et de remuer tout ce foutu merdier sans queue ni tête qu'est la mémoire. Et là c'est arrivé, au moment précis où j'ai tourné la tête. Des lemmings. Ces gens ressemblent aux stupides personnages d'un jeu video vieux de vingt ans. Des saloperies de bestioles qui passent leur temps à marcher droit devant et à se casser la gueule. On se crève le cul à les sauver et aussitôt ils retombent à nouveau, tous à la file indienne comme des abrutis.
Insulter qui que ce soit de lemming n'a rien de tendre. Pourtant ceux-ci ont une espèce de niaiserie innocente qui n'est pas sans donner un certain baume au cœur. Nous étions dans la maison aux murs rongés, au toit massacré, ornée de peintures, de dessins, de messages. Au milieu d'un champ de blé, elle est belle parce qu'elle ne vit que d'insectes et de beuveries. Elle est chargée d'une histoire qu'on imagine vieille et pleines d'épreuve, d'émotion, de tristesse. Elle m'a toujours apeurée, et les rats qui nous fuient n'ont jamais su me rassurer. Au milieu de la pièce, aménagée par nos soins de tables, de spots, d'un ordinateur, de câbles, les lemmings se tenaient bien sagement face à la cheminée sur laquelle trainaient des cadavres de bière. Et au son oppressant d'un rythme impétueux, ces imbéciles rebondissaient sur leur pieds, hochaient de la tête aussi rapidement que leur muscles leur permettaient. Le regard vide de toute intelligence, comme uniquement à la merci de la musique. Impossible de sauver ce genre de lemming. Impossible pour eux d'avancer. Une mouche entêtée, qui voudrait sortir par une vitre fermée, semblerait moins bête.

C'est vrai qu'on n'a pas tant l'habitude de bouger. J’irai jusqu’à dire que l’on se sait plus bouger. Un lemming sait avancer, et ses petites mèches vertes, bleues ou oranges sautillent au rythme de leurs pieds pixélisés. Nous restons, nous, sur nos pattes, à rebondir en bougeant la tête. A quoi bon marcher, si le son arrive jusqu’à nous, c’est la réponse qu’ils semblent apporter sans jamais ne la formuler dans une phrase correctement construite. On a l’habitude de rester là, dans le moment présent et à l’endroit où nos culs ont décidé de prendre place. Et l’on ne bouge plus, prisonniers d’une stupide immobilité. D’un puit fangeux, d’une cellule salie par la poussière, l’alcool et tout ce qui peut s’écouler de nos corps. Nous restons assis dans la même boue, à parler de mêmes soirées, des mêmes individus, de leurs culs, de leurs voyages, de leurs conneries. Accompagnent ces discours quotidiens, les même cigarettes et cette même fumée élégamment grise et opaque, fluide, svelte, légère et terriffiante que l’on regarde pour apprécier pleinement notre suicide. La vie est belle pour nous, parce que dans les voyages de ce genre il n’y a jamais de conséquence. On ne sait pas à quoi l’on aspire, ce qu’on recherche et ce qui nous conviendrais vraiment, mais ça n’a rien de réaliste. En attendant de trouver ce que l’on attend, il faut mieux oublier qu’on ne pense à rien. Arrêter d’avancer, car devant nos yeux il n’y a qu’un terrain vague, juste assez bon pour accueillir un pack de bière. Réduire nos fonction à creuser, marcher, exploser, se bloquer. Ne plus décider. Suivre le même sens. Abandonner, faire péter la tribu, pour tout recommencer.