La nuit noire (5)

Le 16/07/2008
-
par Konsstrukt
-
Rubriques / La nuit noire
Bizarrement, sans qu'il se passe grand-chose dans cet épisode (pas d'action, pas d'évenement particulier), une sorte de frénésie s'installe. Notre héros, désormais adolescent, est de plus en plus instable. Les réflexions s'enchainent de plus en plus vite, mêlées de visions psychopathos liées à la consommation de médicaments et d'alcool. Toujours aussi maitrisé et toujours aussi formidable.
19 : 15

Sur le plan scolaire, j’étais de plus en plus largué. Au collège, j’ai compris que c’était encore plus facile d’être transparent qu’en primaire. Je ne faisais rien en classe, rien en sport, je ne disais rien à personne, j’étais l’homme invisible. De temps en temps, je me faisais emmerder. Les filles se foutaient de moi. Les mecs voulaient se battre avec moi, des fois. C’est arrivé à deux ou trois reprises que j’en corrige certains. Mais je m’en foutais, j’avais mon sanctuaire. Ma mère, elle, ne s’arrangeait pas. Nos seuls contacts étaient désormais sexuels. Je n’avais plus de mère. On faisait l’amour, et elle partait dans ses médicaments. Je m’occupais seul du reste. Le soir elle ne mangeait pas. Elle parlait toute seule, et puis elle s’endormait devant la télé. Moi, je dormais très peu. J’avais toute la nuit pour moi. Je ne pouvais pas aller à mon sanctuaire, mais j’avais de quoi faire dans la maison.
Je m’amusais avec les Big Jims. J’ai commencé à y jouer vers six ou sept ans, et j’ai continué à y jouer jusqu’à la fin. J’en avais cinq. Un esclave, un maître et trois invités. L’esclave était nu. Il obéissait. Il lavait le sol, il faisait à manger, il nettoyait le maître, il le suçait, il s’introduisait des objets dans l’anus pour l’amuser. Il était tout le temps nu. De temps à autre, le maître prêtait l’esclave à ses invités. Les invités se faisaient servir, utilisait l’esclave comme table ou comme chaise, ou bien comme chiotte. Ils chiaient dans sa bouche ouverte. Ils le violaient, et l’esclave remerciait. Ils le fouettaient et le battaient, à tour de rôle. J’avais toutes sortes d’accessoires, des vêtements, des ustensiles de cuisine, une télé, un canapé, etc. Tout était utile. Ils vivaient dans une grande maison. Le maître était policier. L’esclave ne sortait jamais. Il n’avait pas le droit de parler, sauf pour répondre oui ou merci. J’ai appris le mot viol à onze ans. Avant, je disais faire l’amour.

20 : 14

A onze ans, j’ai testé ses médicaments. J’attendais qu’elle dorme sur le canapé. La première fois, j’ai mangé ses somnifères. La sensation était bizarre et agréable. J’avais les jambes molles, je perdais l’équilibre, et je n’arrivais pas à situer l’origine des sons. Ca a duré deux heures. Je ne me suis pas endormi.
J’ai goûté les antidépresseurs et les anxiolytiques. J’ai augmenté les doses et j’ai essayé divers mélanges. J’ai rajouté du cannabis, en ingestion. Un gramme à la fois. Les résultats étaient variables. Je vomissais souvent. Je perdais également souvent conscience. A d’autres reprises, j’ai eu des hallucinations, des transes, et des montées très puissantes.
J’ai pris l’habitude de prendre des médicaments pour jouer aux Big Jims. A un Noël, j’ai eu une maison Barbie. Une maison complète. Big Jim esclave était ligoté, dans la salle de bain, à quatre pattes. Son visage était enfoncé dans la cuvette des toilettes. Les invités se succédaient et le sodomisaient. Big Jim devait remercier, à chaque fois. Quelquefois, il vomissait. D’autres fois, les invités pissaient ou chiaient. Il avait interdiction de bouger la tête, ou de tirer la chasse. Quand il avait faim, il mangeait la merde ou le vomi.
A la fin, je consommais énormément de cachets. Dès que ma mère s’endormait je prenais de tout et j’allais au lit. Je faisais des rêves éveillés d’une grande précision. Tous ceux de mon école mourraient, l’école devenait un charnier. Je violais leurs cadavres. J’arrivais à sentir leurs odeurs. Je dormais et le matin, dès quatre heures, quand je me levais, j’en prenais encore et parfois un peu d’alcool pour faire glisser, et j’allais jouer aux Big Jims, ou avec mes couteaux. C’était bien.
Ma mère ne se rendait compte de rien. Elle en prenait tellement, elle aussi, qu’elle ne remarquait pas qu’il en manquait. Elle en rachetait, simplement. Constamment. Je crois que je serai devenu accroc, si je n’avais pas mis un terme à tout ça, le jour de ma renaissance. Une envie de pureté.

21 : 13

La nuit, il n’y avait pas que les Big Jims. Je ne jouais pas toutes les nuits. Parfois, je me promenais juste dans la maison. Je me postais à la fenêtre, je regardais dehors. Le noir, à la campagne. C’est quelque chose. Les étoiles. Ou bien j’allais voir ma mère dormir. Je la regardais. Je sentais son haleine lourde. Je flairais ses pieds, et son sexe, enveloppés des collants qu’elle ne pensait pas toujours à quitter. Quelquefois, j’avais un couteau à la main. Je restais longtemps comme ça, avec à la main le couteau pris à la cuisine, à méditer sur sa vulnérabilité. Sur le fait que, si je le voulais, en cinq secondes tout serait terminé. Elle se viderait de tout son sang, par sa gorge ouverte, en quelques instants. Elle aurait tout juste assez de temps de comprendre ce qui lui arrive, mais pas assez pour se demander pourquoi je fais une chose pareille. Et elle serait morte. Mais je ne le faisais pas. Je ne voulais pas qu’elle meure. A chaque fois qu’elle se suicidait, ça me rendait fou de chagrin. Je baisais avec elle presque tous les soirs, pour qu’elle ne meure pas. Je ne voulais pas la tuer. Je ne voulais pas qu’elle meure. Pourtant il aurait suffit d’un seul geste. C’était facile. Elle aurait ouvert les yeux. Ils seraient devenus vitreux.
Je marchais dans la maison, dans toutes les pièces, mon couteau à la main. Je me sentais bien, puissant, maître de la situation. Personne ne me voyait, personne n’était conscient de ce que je faisais. Je tournais dans le séjour. Je marchais à pas lents, dans le noir, le couteau pointé devant moi. Je fixais chaque meuble, chaque ombre. J’allais sur le pas de la porte. Parfois, je l’ouvrais pour flairer la nuit. J’imaginais un rôdeur. Je me masturbais à la salle de bain, dans le noir, devant le miroir, le couteau dans mon autre main. Mais ce que je préférais, c’était regarder ma mère dormir.

22 : 12

Vers treize ans, j’ai commencé à utiliser des couteaux dans le but de me couper. Je me plaçais face à la fenêtre de ma chambre. Les volets étaient ouverts mais avec la nuit très sombre, mon reflet était nettement visible sur la vitre. Je me masturbais tout en donnant de petits coups sur mon ventre ou sur d’autres parties de mon corps, avec la pointe. Mes tétons, mon cou. Le dessus de la main qui tenait mon sexe. Au fil du temps, j’allais plus loin. Je traçais des lignes verticales sur mon torse. Je tenais le couteau pour que mon gland vienne régulièrement se heurter à la lame, jusqu’au premier sang. J’éjaculais dessus, pour ensuite me couper le bras ou la cuisse, et faire couler une partie de mon sperme dans la blessure. Ma mère voyait les cicatrices, les croûtes, les plaies, mais elle ne m’en parlait pas. Nous ne discutions pas non plus de ses suicides. Nous avions nos propres façons d’encaisser l’horreur du monde, et nous faisions avec, chacun. Je ne supportais plus de faire l’amour avec ma mère. Ou d’être violé par elle. Je ne faisais pas vraiment la différence. Je ne supportais plus que nous soyons ensemble. Et la laisser, je ne pouvais même pas l’imaginer. Je me sentais coincé.
Certaines nuits, un peu avant la fin, je faisais glisser la lame du couteau sur son ventre. Elle ne se réveillait pas. Les somnifères. Moi aussi, j’étais défoncé. Je m’en remettais au hasard. C’était avant que je pense au rituel. Je me disais, si je suis trop défoncé, que ma lame glisse, ou que je tombe, je lui ouvre le ventre. Sinon, rien ne se passe. Une fois, j’ai perdu l’équilibre. Mon cœur a manqué un battement, j’ai écarquillé les yeux. La pointe du couteau a dessiné un trait. Ma main tremblait. J’avais à peine la force de continuer à le tenir. J’étais à genoux, mon cœur battait tellement fort que c’était douloureux. Le sang me bourdonnait aux oreilles.

23 : 11

La dernière année que j’ai vécue avec ma mère, l’année de mes quatorze ans, j’ai passé de plus en plus de temps au sanctuaire. Personne, même pas elle, n’en connaissait l’existence. Des années de viande morte y pourrissaient. Il y avait des ossements, maintenant, que j’avais utilisé pour décorer les murs. Les insectes étaient omniprésents. Le sol était entièrement recouvert de merde, de sang, de chair. On ne voyait presque plus la boue, en dessous. J’y entrais nu. J’y consommais du shit et des médicaments. Il m’arrivait de manger de la viande pourrie ou de boire du sang caillé, en petite quantité, pour intensifier les visions. Je traçais des cercles sur mon ventre, avec le couteau, ou des traits, le plus droit possible, le plus long possible, sur mes bras. Je buvais aussi mon sang. Je me masturbais beaucoup, jusqu’à l’inconscience. Quand j’en avais la force, je buvais mon sperme.
J’avais des visions très puissantes. Je voyais des morts et des démons. Je voyais des élèves de ma classe, morts dans le futur. Ils me racontaient leur mort et je baisais avec eux et aussi avec les démons. Parfois, les démons me possédaient. Je visitais l’enfer. Anteros. J’avais des transes violentes, au cours desquelles je manipulais la merde et la viande putréfiée. Je sculptais des idoles. Je priais les démons et les morts dans des langues que je ne connaissais pas. Je m’évanouissais souvent. L’atmosphère était empoisonnée.
La vision la plus forte que j’ai eu, à cette époque là, m’a directement concerné. Mon moi futur m’est apparu, déformé à force d’accouplements avec un démon. Il m’a ordonné de ne pas avoir peur de la mort, parce que la mort n’était pas pour moi mais seulement pour les autres. Après quoi, il m’a présenté le démon, et j’en suis tombé amoureux. J’ai gravé son nom sur mon ventre. Anteros. Il a léché mon sang et j’ai joui. Là où mon couteau avait tracé son nom, c’était sensible comme une chatte. Puis nous avons baisé.

24 : 10

Entre douze et quatorze ans, j’ai vu ma mère se suicider une dizaine de fois. Elle voulait mourir tout le temps. Sauf quand on faisait l’amour, et sauf quand elle était anesthésiée par les médicaments. Le reste du temps, elle me répétait que la vie était dégueulasse, qu’il n’y avait rien, rien du tout de bien, même pas moi, même pas nous deux, que si elle avait le courage elle m’aurait tué à la naissance, que maintenant c’était trop tard, qu’elle m’aimait, et qu’elle n’avait plus la force. Elle répétait qu’elle était une merde, qu’elle devrait avoir honte de montrer une telle faiblesse. On couchait ensemble, elle allait un peu mieux.
A peu près tous les deux mois, elle se donnait la mort. Chaque jour, elle essayait de résister. Mais des fois, pas assez. Alors elle se maquillait. Elle se maquillait toujours avant de mourir. Elle devenait incohérente, ça n’était plus la peine de lui parler. Elle n’entendait rien, hormis ce qui se passait dans sa tête. Elle riait par à-coups, ça me faisait penser à un animal. Elle pleurait brutalement. Moi, je m’enfuyais dans mon sanctuaire. Je ne voulais pas voir ça. Je l’avais vu une fois, ça m’avait suffi. Quand je rentrais, elle était allait mieux. Elle s’était tranchée les poignets, ou bien avait avalé du détergent et gerbé du sang pendant une ou deux heures. Elle n’était pas morte, en tout cas. Je l’aidais à nettoyer la merde ou le vomi qui souillait son lit, les objets cassés, le sang. Quand c’était terminé, elle me faisait un câlin, elle souriait, et on faisait l’amour. Nous étions tranquilles pour deux ou trois mois.
A chaque fois que je me réfugiais dans le sanctuaire, je me préparais à l’idée qu’elle serait morte à mon retour, mais à chaque fois j’étais déçu, et j’éprouvais de la culpabilité à l’être. Toujours les mêmes ambivalences. Toujours la même confusion. Dans le sanctuaire, au contraire, tout était pur. Anteros était pur. Même le sexe était pur.