Ne fais pas cette moue, tu me donnes faim

Le 09/08/2008
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par Copypasta
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Thèmes / Débile / Faux obscur
Un texte sur l'antropophagie écrit avec un style de dandy homosexuel petit doigt en l'air. C'est une faute de goût évidente, mais ça a au moins le mérite d'être orginal. C'est bien le seul mérite de ce texte. On a beau être dans un contre-emploi très réussi, ça n'en reste pas moins un texte élégant et sobre, et donc complètement pourri. Et oui, on est sur la Zone, pas sur Gentlemen Quaterly.
J’aime l’homme. J'aime aussi la femme. Vous vous dites : classique, encore un de ces philanthropes idéalistes aux grands airs qui vient nous raconter sa grande histoire avec l’humain, l’Humain avec un grand « H », et vas-y que je t’enfonce des portes ouvertes. A ceci près que l’on ne pourrait pas adéquatement affirmer que la relation qui nous lie, vous, êtres humains, et moi, autre humain, relève des sentiments. Je serais même plutôt du genre misanthrope. Un déserteur parmi d'autres dans cette bataille pour la quête de relations sociales. Pourtant, ceci est pour moi assez... problématique, voyez-vous, car mon aversion pour l’humain entre en contradiction totale avec l’essence même de mon être. Soyons brefs : ce que j’aime chez l’humain ? Son cœur et son foie, ses guibolles et ses bras. Ses épaules, aussi. L’amour stomacal !
J'ai même appris récemment à savourer l'enfant. Eux qui ne m'attiraient pas. Par un heureux hasard, oui-là. Il s'agissait d'un écolier d'une bourgade voisine. Notre rencontre tint du récit dramatique, si vous voulez mon avis : je flânais un dimanche dans un parc qui, comme presque chaque dimanche, me réserve une surprise - c'en devient d’ailleurs terriblement monotone - et ne voilà-t-il justement pas que je tombe sur un enfant bien solitaire, un jeune garçon dodu, tête vers le ciel, les yeux plongés dans la cime d'un peuplier : son cerf-volant y était perché. Ni une ni deux je décidai de m'approcher, en lui demandant son nom. Ne croyez pas qu'il a fuit, bien au contraire ; j’ai le visage rassurant et mon timbre est chaleureux. Il m’arrive d'ailleurs de ricaner intérieurement quand les passants me regardent, tout sourire : ils ne se doutent pas une seconde que je rêve de les scruter, à mon tour, à travers la porte de mon four. « Yann », me répondit l'enfant, dont j'étais maintenant bien proche. Yann. « Enfin ! », me dis-je, j'avais déjà les vingt-cinq autres, la majorité en double et plus - j'étais même tombé sur une Zoé, exquise gardienne de nuit -, mais l’introuvable « y » manquait à ma collection gastronomique. Il était laid, très laid. Peu importe : il était joufflu, et avait les cuisses dodues, ce qui, vous en conviendrez, est gage de plaisir culinaire. Je levai la tête, une main en visière : « Haut perché, ton engin ! » lançai-je. Il hocha la tête, amer. L'objet était à une quinzaine de mètres au-dessus de nos têtes, maintenu dans une geôle de branches pourries par l'hiver. Quelle idée de faire du cerf-volant en cette saison ? Ajoutez à cela qu'il faisait presque deux fois la taille du gamin. J'étais même étonné de n'avoir trouvé ce dernier au milieu des ramures. Les poignées, elles, ballottaient au gré du vent, rendant des « toc » irréguliers au contact de l’écorce de l’arbre. Je baissai la tête vers lui, lui se tourna vers moi. De face, je découvris un visage doté de cet air niais dont seuls les débiles mentaux ont le secret. Tout s'expliquait ! A mon humble avis, une authentique graine d'idiot du village.

- Tes parents, bonhomme, ils sont où ?
- Maman est au travail. Elle fait des meubles avec Tata à l'usine.
- Et ton papa ?
- ...Maman dit qu'il est mort à cause de la colle. Ou de la collisme. Je sais pas trop.
- De la co... ah. Tes copains ? Tu as des copains ?
- Willie mais il est parti. J'ai pas envie de jouer avec les autres. Si j'aurais des copains maman me mettra pas en pension, elle dit. C'est dur.

Des larmes perlèrent de ses yeux plissés. Et il se mit à chialer. Ca le rendait atrocement plus laid. Je m'agenouillai, jetant un œil autour de moi : pas un chat. Et la chance était de mon côté, car si la bêtise semblait constamment accompagner le marmot, sa mère, elle, n'en faisait pas de même. A en juger par le fond sonore, la rue en contrebas était en revanche bondée. Ma Mercedes y était garée - je l'avais choisie pour son coffre. Je passai une main apaisante derrière sa nuque, le forçant à me regarder. « Allons, mon grand... T'es un homme ou t'es une pomme ? » Il sourit en guise de réponse, reniflant la morve qui coulait de son nez disgracieux. Après une vingtaine de secondes il se remit à vagir, cette fois plus fort.

Je voulais lui rendre un fier service. Oh, n'allez pas vous méprendre ; je l'ai mangé - il était même délicieux. Par "fier service", j'entends moins avoir récupéré son cerf-volant que lui avoir épargné un avenir incertain où il n'aurait sans doute pas fait mieux que son père, entendez par là la fortune des tauliers du bourg. Le gosse, dans un concert de sanglots et autres bulles de morves gonflées puis éclatées, tenta d'articuler : « Vous allez me manger monsieur ? ». D'abord stupéfié, j'ai ensuite réalisé que seule une stupidité sans limite pouvait l'avoir amené à penser ainsi : rien ne transparaissait chez moi.

Pour être franc, je ne saurais dire lequel de ces deux vides m'a poussé à étrangler le môme : celui laissé entre ses deux oreilles et censé administrer ses faits et gestes ou bien celui, grandissant, de mon estomac insatisfait. Je n'avais même pas réfléchi à la manière dont j'allais pouvoir ramener le gosse en évitant les ennuis. Toujours est-il que mes mains se retrouvaient en étau autour de ce cou d'enfançon, et je ne pouvais faire marche arrière. C'en était burlesque d'impulsivité, croyez-moi, ça ne me ressemblait guère. Le gosse s'était même chié dessus, imaginez donc. Croyez-moi encore si je vous dis qu'à voir sa mine décolorée, ses petits yeux exorbités et à entendre ses tentatives rauques d’inspiration échouées, il semblait encore moins tolérer l'étreinte qu'exerçaient mes doigts autour de sa nuque, pourtant simple et symbolique garrot contre l'empoisonnement du corps par l'esprit : le stress d'une proie à son exécution rend sa chair moins tendre. Ils pourraient se montrer compréhensifs.

Et, alors même que je parachevais la mise à mort de ce double-innocent, alors même que je me mordais la lèvre inférieure, à sang, et fronçais les sourcils comme s'ils devaient toucher terre, j’ai regretté que le mioche n'aie pas connu ma mère, elle qui m'obligeait à porter ces maudits pulls à cols roulés trop serrés. Et j'ai pouffé de rire. Un rire dément. J'ai éclaté de rire, même.
Le benêt aurait été accommodé.