Noir, impair et manque

Le 05/10/2008
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par Contre-paix
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Un texte bien dans l'air du temps, puisqu'il parle du la nouvelle activité à la mode en ce moment : Le Poker. Oui parce que depuis peu, tout le monde joue au Poker. Moins les gens ont de pognon, plus ils s'efforcent d'en perdre stupidement, il faut croire. Bref, ce texte, bien que très court, possède une fin relativement innatendue et pourrait avoir de quoi susciter la réflexion chez le lecteur. Pourtant, il manque quelque chose pour que ça fonctionne. Un canard, peut-être. Oui, c'est ça. Ce texte manque de canard.
"Noir, impair et manque."

Les yeux acier du croupier se posent sur un type en pardessus olive.
Ils sont amusés, le pardessus semble voûté, comme s'il croulait sous la masse d'un siècle entier.
Pourtant, son propriétaire n'a qu'une quarantaine d'années. Il est seul, riche, peut-être directeur commercial à en juger par son feutre ocre élégant, signe distinctif de cette profession depuis quelques mois. Une mode absurde, qu'il a suivie comme les autres, comme toutes les modes universelles et instantanées, parce qu'il n'y a pas le choix. C'est aussi pour cela qu'il est entré dans ce casino et a joué, pour appartenir encore un peu à la caste de ceux qui regardent les autres avec mépris, du haut de leurs quelques centimètres de morgue et de réussite. Pour ne pas être jeté tout de suite, et s'offrir un dernier grand frisson avant de devenir inéluctablement un quinquagénaire au rebut. Pas besoin d'être sapé rupin, pas de vestiaire ni de fioritures : il n'y a que le Jeu.

     Aujourd'hui comme tous les autres, il n'a pas misé un sou. Il a simplement perdu : plus aucun jeton. Autour de la roulette gigantesque, quatre-vingts hommes et femmes le regardent, carnassiers, jouissant de sa défaite et de son écrasement. Il part s'allonger dans une alcôve surplombant la roulette puis se recroqueville, minable et vaincu.

La vigilance du croupier est absolue, il impose une telle agressivité sourde et latente que personne n'oserait tricher. Et quiconque le tenterait serait réduit en charpie par ses voisins.
À l'aide d'un long ustensile ressemblant à une louche géante, sobrement ornée, il retire de la roulette la bille précédente.
-"Faites vos jeux", annonce-t-il d'une voix de ténor enjôleuse.
Bruissements de jetons crânement avancés, murmures persiffleurs, regards complices et moqueurs - une excitation palpable, rampante et non avouée.
-"Les jeux sont faits".
L'homme au pardessus pousse un soupir et semble s'effondrer sur lui-même. Il tremble légèrement, laisse échapper un gémissement pitoyable. Les boutons argentés de la manche du croupier luisent d'un éclat froid lorsqu'il tire sur une cordelette à sa droite.

    Et, lorsque la lame ainsi actionnée vient trancher la gorge offerte du perdant, l'alcôve s'ouvre en deux, sa tête tombe dans l'immense roulette.

-"Rien ne va plus..."