Camille

Le 15/10/2008
-
par Traffic
-
Thèmes / Débile / Vie quotidienne
On dirait un peu ma vie, en moins glauque. Alcool, grosse conne et vie de merde. C'est pas désagréable, mais ça renouvelle pas vraiment le genre. Encore une fois donc, ça se vérifie : pas de canards --> pas d'originalité. Dommage. Faites un effort pour vos prochains récits, je vais pas me répéter 107 ans ! Heureusement que je sauve le tout avec les illustrations.
J’étais en train de réfléchir à la possibilité que la réalité ne soit que la perception du réel et non le réel, un concept encule-mouche à haute teneur en psycho-philosophie pour les nul, et cela, je le faisais en buvant un grand verre de pastis au comptoir de La Rascasse Mouillée. Accessoirement, je jouais aussi les porte manteaux. Camille m’avait laissé son sac à main le temps de s'absenter du côté des chiottes. Il y avait de la bossa nova en fond sonore et ça schlinguait les remontées d’égouts. Bref, ça me rappelait des vacances loupées à La Havane.
Le bar se situait en fronton de la jetée sur la corniche à Marseille vers le coin des bars à cocktails. Je n’étais jamais venu dans cette ville auparavant. On m’en avait dit le plus grand bien et on m’en avait dit le plus grand mal. Et ça n’avait eu aucune importance car je ne pensais jamais rien des villes. Elles englobaient en général une déplorable concentration de connards et dans chacune d’elles je perdais un peu de mon âme et de ma tranquillité.

J’avais baisé Camille à couilles rabattues la nuit d’avant, c'était un fait dont elle n'aurait pour rien au monde reconnu la véracité. Ca ne me dérangeait nullement. Au simple examen d'un bitomètre lambda, j'avais l'impression qu'elle se faisait plus de mecs que Paris Hilton et Britney Spears réunis et pourtant de temps en temps elle écartait aussi les jambes pour moi. Ca venait tout naturellement quand je la bordais et qu’elle avait trop bu. Telle une vraie araignée en caoutchouc elle m’attirait à elle et j’avais intérêt à la faire jouir si je voulais pouvoir dormir après. Le lendemain on parlait d’autre chose. Ou de rien. Je suis du genre pas causant. Je préfère réfléchir en buvant.

Y avait un type dans ma vie qui avait dit un jour que les filles qui avaient des grosses vulves rebondies on ne les rencontrait jamais. Je me souviens que j’avais pris une solide casquette cette fois là. Je ne me rappelle de rien d'autre d’ailleurs, à part, donc, de cette phrase culte que j’avais capté dans un état brumeux. Et je me souviens que cette phrase avait eu l’allure de la vérité dans mon cortex imbibé.

Pourtant un jour Camille vint à moi et sa vulve rebondie m’apparut par mégarde alors qu’elle était en train de pisser accroupie entre deux voitures dans une rue du centre ville. Elle, sans gêne, avait fini son affaire avant de venir me tendre la main « Salut moi c’est Camille. J’aime bien les mecs pas super prudes. »

Ce qu’on était venu faire à Marseille était relativement obscur. Apparemment elle devait rencontrer un producteur de clips vidéo et elle n’avait appris que le matin que c’était pour des bandes pour karaoké. Elle devait monter sur un cheval sur une chanson de Amel Bent. Il y aurait une version française, une japonaise et une chinoise. C’était débile selon elle. Elle avait eu besoin de s’enfiler des tas de verres dès 10h du mat pour cesser de fulminer.

C’est sur que Amel Bent et les chevaux, c’était vraiment un sale coup. On avait quand même fait plusieurs heures de trains avec des vieilles permanentées et des petits couples avachis devant des ordinateurs portables. Ca méritait mieux. Moi je me disais qu’il était temps de cesser de croire qu’elle avait un avenir dans ce business minable et qu’on pouvait aller vivre au Mexique. J’avais un cousin là bas qui pouvait nous héberger un temps. Il bossait dans un parc à dauphins à Acapulco. Son job consistait à les nourrir de sardines entre les attractions acrobatiques. J’aurai pu faire aussi bien, j’avais eu des poissons rouges quand j’étais gosse et je les avais filé à bouffer à des chats sans me faire mordre. Enfin, Camille ne voulait plus entendre parler de ça. Je l’avais pas mal bassinée et maintenant je me disais qu’il valait mieux cesser de lui parler d’animaux.

Camille est sorti des chiottes en se bouchant le nez et en hurlant. C’était très nasillard comme style. « Ca refoule dans ce cabinet. Putain y a pas quelqu’un qui bosse ici pour faire quelque chose. Va falloir que j’aille désinfecter mon cul tellement c’est ignoble. »
Y a pas à dire ça avait de la gueule.

On voyait bien un mec vaguement accoudé derrière le comptoir qui s’est mis à regarder en notre direction. Vu qu’il était du genre méditerranéen, on se doutait qu’il avait un caractère un peu susceptible et donc avait pris cette sortie pour lui. Il avait l’air mauvais mais il a préféré ne pas répondre. Il a grommelé vaguement quelque chose du genre « Si v'zêtes pas content, zavez qu’à vous tirer. »

« Viens quittons ce lieu. On a mieux à faire qu’à jouer les inspecteurs de l’hygiène locale. »

« Ouais de toute façons toi à part t’écraser tu sais rien faire »

J’avais toujours eu pour moi quelque chose de rare. Mes mouvements naturels sont amples et classieux. J’avais conclu qu’ils suffisaient à poser une personnalité. Je lui ai tendu son sac et je lui ai montré la sortie avec grâce.

C’était débile de toujours fuir les anicroches. Je le savais pertinemment et j’aurais préféré échanger mon truc des mouvements classieux contre des poussées d’adrénaline incontrôlables qui m’auraient fait casser la gueule aux hordes de crétins qui me faisaient chier les uns après les autres. Enfin on fait avec ce qu’on a comme on dit. Je venais de lâcher pour près de 70 euros pour arroser la plante dans le bar et maintenant on devait fuir comme des pleutres. Il y a des gloires qui se défont en un jour et c’était encore une preuve de cette triste réalité. Avec Camille, c’était toujours pareil. Elle était d’une beauté à fendre les pierres mais sa personnalité mal léchée et explosive venait toujours tout gâcher. Y a que moi qui pouvait encore me la fader. Les autres mecs mettaient les bouts super vite quand ils avaient compris qu’elle était folle.

Au bout de quelques mètres Camille m’a dit qu’elle avait envie de s’acheter des strings. J’étais curieux de savoir comment elle pouvait tout ramener à son cul ainsi. Quand elle le tortillait pas pour attirer les regards, elle en parlait et quand elle ne faisait ni un ni l’autre elle pensait à se fourrer une ficelle dans la raie.

On est parti dans un magasin de lingerie moderne. Y’avait des rayons entiers de soutien gorge et de petites culottes. On imaginait les tas de chattes venir se coller contre les tissus innocents. Les nichons aussi en train de remplir les bonnets moelleux. Elle a pris un assortiment de huit modèles et s’est enfermée dans une cabine. Ca sentait bon ici contrairement au bistrot. Finalement, elle a rien acheté, elle a dit que j’étais pas participatif. Que si je m’étais pas vidé les couilles la veille, j’aurai mis plus de cœur à l’ouvrage. Je n’ai même pas cherché à lui répliquer j’ai juste fait un de mes grands gestes classieux vers la sortie. La vendeuse qui avait entendu sa réplique m’a fixé bizarrement. Je lui ai dit qu’on allait retirer de l’argent pour revenir peut-être.

On sentait bien qu’on regrettait d’être venu à Marseille même si on n’en disait rien. Moi je croyais que venir ici aurait pu lui faire plaisir. Mais Camille s’en foutait de la satisfaction. Ca lui était passé quand elle avait décidé que la lutte se ferait à mort. Elle contre le monde entier. Je lui accordais ma collaboration car c’était justement une de ces choses que j’avais pas le cran de faire.

Elle réglait des comptes avec sa mère qui s’était foutu une balle dans la tête et tout un tas d'autre choses qui avaient pris tellement de place dans le vase clos.

J'aurai pu me barrer ouais. Mais je préférai rester dans les parages. Juste pour pouvoir lui toucher les jambes dans les bus et les trains.

On est allé dans un autre rade (boire des coups restait notre activité favorite de loin) et elle a commencé à me sortir un délire comme quoi personne ne l’aimait. Que je profitais d’elle et de sa jeunesse. Que j’avais fait fuir les trois quarts de ses prétendants avec mes façons de propriétaire sur elle. Ca lui prenait à peu près une fois par mois ce truc. C’était peut-être lié à un truc comme l’ovulation. Des gynécos auraient pu nous en apprendre davantage mais nous ne fréquentions que de pauvres types errants qui nous proposaient des trios et de la drogue à prix réduits. Des patrons de bars grommeleurs aussi et des apprentis cinéastes qui cherchaient à caster pour des pornos amateurs. Par chance, je n’entendais pas très bien de l’oreille gauche et quand elle se lançait dans ce genre de jérémiade je me plaçais du côté de mon oreille déficiente. Je me gardais de prononcer quoique ce soit tant qu’elle avait pas fini son long monologue ensuite je m'enhardissais à approuver même si je n’avais rien écouté et j’étais tranquille jusqu’à l’ovulation suivante.

Mais tout cela n’était plutôt rien. C’était un quotidien disons. Un peu atypique, un peu mobilisateur par rapport à la banalité de ceux des autres. Certains n’en auraient pas voulu ou seraient devenus fous. Comme moi j’étais déjà devenu fou par procuration à voir mes parents se bouffer la gueule pendant une vie entière autour d’un poste de télévision dans le salon acheté chez conforama en 1982.

On a descendu quelques pintes encore et ensuite on est sorti de là. On ne marchait pas bien droit mais on était relax. Moi j’avais géré mon comptant d’alcool chronique et elle s’était complainte à gémir sur ma personne un gros coup. Ca allait à peu près bien.

Au bout de quelques mètres de marche vers nulle part, en s’appuyant sur un poteau, elle se décida à m’avouer qu’elle était peut-être faite pour tourner sur un cheval pour un karaoké tandis que je voyais arriver un gros bus sur un tas de gens à l’arrêt. Le véhicule n’avait pas ralenti et était venu percuter toute l’assistance comme une boule de bowling géante. Ca avait fait splash. Et puis un bruit de ferraille énorme car l’abribus avait été défoncé. Tout ce que je trouvais à dire c’est « Hé bein. Pas cool. »

Il y avait du sang partout et ça hurlait. Camille se tournait vers le raffut. « Putain c’est quoi cette merde. » « C’est le bus, il a foncé dans le tas et il a explosé tous les gens qui attendaient là. » « Putain mais il est con le conducteur ? » « Ah mon avis, doit y avoir une autre explication » « Ouais mais faut être con pour foncer sur des gens comme ça » « Ouais dans un sens. Mais à mon avis y a une autre explication. » « Ouais mais bon au moins tu essaies de les éviter. »

Franchement on tient combien de temps à partager sa vie avec une vulve rebondie ? Des voitures de flics, de pompiers, de journalistes affluaient en deux deux au milieu de la masse des curieux. Bizarrement je ne me sentais pas concerné par tous ces gens bien organisés. J’avais envie de parler de moi et de ma jeunesse stérile pendant deux heures, j’avais envie de prendre Camille par le bras et de lui dire d’arrêter d’être très conne. Ca me prenait quand je devais faire face à de grosses émotions. Mais elle marchait déjà vers les flics. « Mon copain là a tout vu. C’est le chauffeur de bus qui est un gros con qui a foncé sans freiner sur les gens. »

Moi je suivais en traînant les pieds pendant que les flics la faisait déplacer sur le côté en lui disant d’attendre, qu’on allait nous poser des questions. Elle était super contente de participer à ce bordel. Elle me disait « mais regarde les comme ils sont mal, les pauvres. Ils sont tous blessés ou morts ». « Ben ouais, j’ai dit. Un bus dans la gueule c’est inamical. »

Tout ces gens là en plein été tournoyaient de façon sordide. Avec l’odeur du sang et ma bite qui était encore compressé de la baise de la veille, j’avais envie de me prendre une autre bière pour tenir le coup. Il y avait un snack en face. Je lui ai dit bouge pas je reviens. Je suis revenu avec deux canettes. Camille m’a regardé comme un fou. »Mais tu vas boire là ?« Néanmoins elle a pris sa bière. Et nous nous sommes mis à boire. « C’est la chaleur ! » j’ai fait aux flics qui nous demandaient de nous éloigner encore un peu plus. On était à vingt mètres. Apparemment ça suffisait, ils ne nous regardaient plus.

On s’est tourné de l’autre coté, vers le calme, on était face à la mer. Il y avait des mats de bateaux par centaines qui faisaient comme des arbres. Camille buvait sa bière en disant que les flics étaient débiles qu’on avait tout vu et qu’on nous traitait comme des indésirables. Elle disait que ça faisait mal au cul de rester assis sur des bites d’amarrage. Moi je gardais le silence. Je gardais le silence pour toujours et pour ma prochaine vie je me disais que je souhaitais faire conducteur de bus.

Ensuite quelqu’un s’est approché de nous. « Vous êtes ceux qui avaient vu l’accident ? »
« Ben ouais. «
« Et alors qu’avez-vous vu ? «
« Ben en fait y a ce gros bus qui a foncé direct dans les gens. Ils se sont fait dézinguer sans broncher. Après le bus a tapé dans l’abribus et il a calé dans un gros soubressaut et il a fait un petit saut et je crois qu’il a écrasé une tête en retombant ça giclé sous sa roue… »
« Ca va, ça va. Passons les détails. C’est tout ce que vous avez vu ? Il n’a pas essayé de freiner ni rien ? »
« Non mais c’est un con ce conducteur de bus, a fait Camille. Il a tout défoncé. »
« Il est mort d’une rupture d’anévrisme madame. »
« Ouais ben ça change rien il aurait pu faire gaffe. «
« Bien vous pouvez signer ses déclarations dans notre camion ? «

Camille a répété que le chauffeur de bus était un con. Ensuite, j’ai signé un papier. D'un de mes gestes amples et classieux.

Le train pour Paris était à dix neuf heure, on avait encore un peu de temps devant nous alors nous avons passé un moment au café de la gare là où l’alcool est plus cher et où on boit entre les valises empilées. J’aime bien les gares et Camille dans les gares c’est comme ailleurs, elle a engueulé un type qui slalomait avec un espèce de tracteur qui l’avait frôlé de cinq mètres ensuite elle a dit qu’on nous avait volé nos billets mais c’était moi qui les avait dans ma poche les billets.

Dans le train on est allé au compartiment bar. J’avais l’impression que c’était fait pour nous ce monde. Le service était impersonnel et faussement accueillant. A quatre euros les 25 cl de bonheur, ça pouvait. Je l’ai regardé bavasser avec des contrôleurs bronzés aux dents blanches en tirant sur sa jupe vers le haut. Elle espérait peut-être se faire sauter dans le compartiment conducteur. Je me suis attaché à regarder défiler des paysages mornes en leur échappant inéluctablement. Je me sentais encore sauvé, le train avançait tellement vite qu’on n’avait aucune chance de voir le réel, si ce n'est la réalité, nous rattraper avant au moins trois heures.