Vêtu de noir

Le 25/03/2009
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par EvG
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Thèmes / Obscur / Triste
Je tiens à dire que je réprouve officiellement l'usage de poésie dans un texte en prose. Les vers (copié-collés chez Musset, erf) qui trouent ce texte sont classe en eux-mêmes, mais le principe dévalue sérieusement le texte d'Evg, qui ne méritait pas ça. L'histoire manque de continuité mais l'écriture est agréable, genre classicisme sobre et élégant. C'est pas du 100% pur skaï non plus, ça sent un peu l'imitation scolaire, mais ça fait presque illusion. J'aurais vraiment aimé sans l'emprunt éhonté au Grand Ancien.
Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
J'avais sept ans passés à peine, et cet évènement resterait gravé toujours dans ma mémoire : les autres, en cercle, me rouant de coups.
Ils étaient venus jusque chez moi, après la classe, et m'avaient suivi pour me défaire en giclées parfumées de ferraille dans la cour de notre maison. La dernière douleur que je me souvienne, c'est celle à mon visage qu'on avait écrasé entre le poing et la porte que seule la pluie avait voulu laver de mon sang. Ils m'avaient laissé là, cloué sur cette planche de bois lourd comme un oiseau de mauvais augure déversant ses liquides.
Ma mère, avec tout cet amour que je ne lui rendait pas, avait tant bien que mal cherché à panser mes blessures. Mon père, qui n'acceptait pas mes larmes, m'a fait faire, comme chaque soir, mon exercice de lecture. Je devais être intelligent, alors n'avais pas même droit au divertissement d'une présence familière.

Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


De la forêt derrière chez nous, je connaissais chaque bruit, chaque odeur. J'avais des amis en forme de bruissements dans les feuilles et qui changeaient de voix à toutes les saisons; m'amusais à courir dévêtu dans les pousses hautes d'orties et d'apaiser mes brûlures en les laissant caresser par la mousse humide et froide sur le flanc des arbres. Je rentrais tard, sale, et ma mère me criait dessus, le visage amusé. Mon père ne me punissait qu'en allongeant plus encore mes études nocturnes. J'avais tout loisir alors, de quitter le foyer et d'inspecter si mes pièges avaient été efficaces. Ma réussite grandissante dans l'élaboration de ces meurtres mécaniques de petits animaux de la grume, allait de paire avec l'ennui que me procurait, à force, la contemplation de ces mammifères juste morts.

A l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


L'été de mes seize ans m'avait offert d'être qui je voulais. Ce trio morne et taciturne que nous formions mon père, ma mère, moi, s'était vu invité chez un de nos riches cousins bretons de campagne. Là où nous allions, si l'on ne m'aimait pas, on ne me détestait pas non plus. J'étais le fils de mon père et tout au plus bénéficiais-je grâce à ce statut, d'une naturelle bienveillance de la part de nos hôtes.
Ils avaient une fille dont rapidement j'avais réussi à prendre la main dans la mienne après lui avoir glissé à l'oreille de mes sonnets amoureux et niais d'adolescent. Son premier baiser en morsure sur ma lèvre m'avait fait une coupure que je ne cessais de goûter du bout de ma langue.
Elle et moi, très proches, marchions ensemble pour la dernière fois du mois d'août, quand je vis une forme agréable se dessiner au devant de là où nous allions.

Sa bouche refuserait à jamais d'embrasser la mienne qu'elle vit goûter, ce soir-là, le sang d'un chat trouvé sur le chemin du retour de notre promenade.

Un an après, il était nuit ;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Il était mon seul ami qui me parlait dans la langue des hommes, et depuis tout petit je n'avais qu'un désir : Dessiner du bout d'une lame une calligraphie gamine, rouge, sur son ventre graisseux : « je te hais mon meilleur ami », et d' y mettre un point final profond et lourd qui l'aurait touché au cœur. Il m'aurait répondu, dans la prose vermeille des mourants, des postillons incompréhensibles et j'aurais ri franchement pour la première fois.
Ma mère a crevé quelques semaines plus tard je crois, d'une manière de dire que tout était ma faute. J'étais quand même insatisfait.

Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France ;
Lorsqu' impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance ;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;

Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.


Mon héritage m'avait fait beaucoup d'amis, et je me fis cette réflexion un jour, qu'il manquait à nos relations, ce qui me rassurait dans mes amitiés d'enfance autant qu'il manquait à ces dernières, les plaisirs que je partageais avec ces autres, devenu grand.
Quelques semaines plus tard j'organisais un repas. J'ai souvenir que nous avons fort apprécié.
La soirée fut particulièrement bonne et l'amitié en laquelle je doutais s'était révélée au delà de toutes mes espérances. Nous parlions tous d'une même voix, et parfois étions si bien que je n'arrivais plus à entendre autre chose que mon rire et ses échos -- Peu importe le rouge renversé sur la nappe blanche, peu importe le souper refroidi. Peu importe le rôti qui brûle au four, nous rions et c'est le principal, nous rions à en perdre le souffle.Certains s'écroulent sur la table, d'autres tombent à la renverse et c'est un réjouissant remue-ménage ! Tout vole, les cris, le rire, les verres, et le rouge coule à flots. Ils m'enjoignent à ouvrir la dernière bouteille : personne ne veut repartir. Je goûte et m'endors ivre dans un bonheur qui ne m'effraie plus.

Plus tard je me suis réveillé, une douleur aigüe au creux du ventre, les bras attachés à un lit d'hôpital. A mon chevet, dans le flou de mes yeux restés très mais trop peu longtemps fermés, j'aperçus une silhouette familière, cet inconnu vêtu de noir et qui me ressemblait comme un frère. Sans que je ne parle il répondit à mes questions, sans me juger, sans me traiter de monstre ainsi que l'ont fait ceux que j'entendais ces derniers jours dans mon demi sommeil.
Il prononça ces mots que je récite par cœur, encore aujourd'hui, dans la froideur de ma cellule :

«  Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère ;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.

Le ciel m'a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude .»