Tout le monde veut prendre sa place

Le 13/04/2009
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par Marquise de Sade
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Thèmes / Saint-Con / 2009
Les textes de la Marquise sont toujours tirés à quatre épingles : nouvelles bon teint, intro-développement-conclusion, vannes marrantes mais qui dépassent jamais la limite de l'acceptable. Même pour la Saint-Con, hélas. Ca doit être du à son grand âge : on aime pas trop faire le mongol à 67 ans. Tout ça pour dire que son texte est cool et fendard, mais n'est pas aussi jouissif qu'on aurait aimé.
La première fois que je l'ai rencontré, c'était en 1995. J'étais venu sur le plateau avec ma valise et ma femme en espérant finir à l'ombre des cocotiers. Nous avions gagné le voyage.
Le voyage à l'île Maurice nous était passé sous le nez, mais pas celui à Lille, chez Maurice. Ma femme m'avait traité de minable, elle s'était envoyée en l'air avec Maurice et moi j'étais rentré à Béziers la queue entre les jambes et le numéro de son avocat dans la main.
Alignés tous les 4 comme des oignons dans l’étalage du primeur, nous écoutions attentivement les consignes du régisseur. On m’avait affublé pour l’occasion d’une perruque immonde qui me faisait ressembler à un jackson five au temps où le seul gamin qui dormait dans son lit était lui-même. Le tirage au sort m’avait placé en 3ème position, juste après une hôtesse de l’air au rire insupportable, à l’inverse de son décolleté, et à la droite du plombier qui avait servi de modèle à Mario Bross. Une horloge digitale décomptait le temps avant le lancement de l’émission. Douze minutes. On fit revenir la maquilleuse pour me coller son coton poudré sur le front. « J’ai rarement vu quelqu’un suer autant que vous » me dit-elle avec un sourire dégoûté. « J’ai toujours cru que les esthéticiennes étaient jolies » lui répondis-je avec la même grimace. Le plombier crut intéressant de prendre la défense du laideron et de me signifier que ce n’était pas la galanterie qui m’étouffait, remarque à laquelle je répondis par une absence totale de paroles. C’est dans mon silence que Nagui fit son entrée, dans un joli costume noir et une chemise framboise. Sans que je comprenne pourquoi, il se dirigea vers l’hôtesse de l’air. « Eloise, c’est bien ça ? » La dinde gloussa un oui, mettant sa généreuse poitrine en mouvement et lui demanda si elle pouvait l’embrasser tout en s’accrochant à ses épaules. Miss Mocheté se sentit obligée de ressortir son pompon et sa poudre pour rectifier le maquillage de miss gros nichons et d’effacer la possible trace de rouges à lèvres sur le coin de la bouche du présentateur.
Sept minutes. Nagui a fait le tour des participants, le premier candidat, un étudiant attardé fan de jeux vidéos a eu droit à un jeu de mot sur Mario Bross, l’hôtesse a une carte de visite très personnelle et moi à un regard sur ma chevelure qui présageait de très nombreuses allusions durant toute l’émission.

Le chauffeur de salle prépare son panneau Applaudir, le silence se fait sur le plateau, le générique commence. Nagui qui avait reculé derrière le décor fait une entrée sous les applaudissements au pas de course. On nous dit de sourire, je souris. On nous dit d’applaudir, j’applaudis. On nous dit de regarder la caméra, je regarde la caméra. Et c’est parti. On nous présente tour à tour. L’étudiant raconte l’anecdote de la fois où il a passé 39 heures d’affilé sur un jeu oubliant qu’il avait un examen à passer, l’hôtesse raconte qu’elle a un jour servi son déjeuner à Obama lors d’une liaison New-York-Madrid alors qu’il n’était que sénateur, moi je n’ai rien à raconter si ce n’est que j’aime beaucoup mes cheveux et que j’ai toujours rêvé d’en avoir des comme ça. Je rougis aux quolibets de Nagui, oui c’est pas pratique pour passer les portes, non j’ai pas encore accueilli de couples de perruches dedans, d’accord je pourrais servir de balai à chiotte. Le public rit beaucoup à chaque remarque. Mario Bross est tout aussi insipide que moi, c’est à se demander pourquoi on a retenu nos candidatures.

J’ai passé les trois premières épreuves avec succès. Comme dit Nagui, ma coiffure volumineuse abrite peut-être un cerveau lui aussi surdimensionné. « Tu n’es pas très loin mon pote ». Nagui fait un ha ha ha à défaut de comprendre ce que je veux lui dire. Je caresse dans le fond de la poche de mon veston mon aérosol. « Ce serait moche que j’ai une crise d’asthme en plein milieu de l’émission, vaut mieux que je le garde sur moi, au cas où. Un petit puff et plus rien n’y parait ! Avec le printemps, les bouleaux, les pollens, c’est vraiment la merde pour nous. » C’est passé comme une lettre à la poste. Pause.
Ecran pub. La maquilleuse revient, on nous enlève tout le gras qui brille sur le nez, la transpiration qui fait des reflets pas beaux à l’image. Elle ne me regarde pas, elle me tamponne rapidement le front. Elle est vexée et elle a bien raison. Nagui nous explique la suite. Le candidat champion va prendre place face à moi, lui se mettre entre nous, à son pupitre et nous posera les questions, on doit répondre lentement, faut faire durer le suspens, lui se charge d’animer, c’est son métier, il est bon à ça, y’a qu’à regarder l’audience. Moi je lui dis oui de la tête. Tu brûles les planches quand tu es là, mon pote.
Les spots se rallument, en plein dans la gueule du champion qui serre les fesses pour pas plisser le front. Il choisit mon questionnaire espérant me niquer la gueule sur Les animaux dans les films. Nagui se tourne vers moi, je me gratte les cheveux, qu’il croit. Je ressors le petit briquet noir planqué dans la masse crépue. Le public applaudit comme l’a demandé le petit panneau.

-    « Prêt pour essayer de battre notre champion ? » La question qui tue.
-    « Bien sur, on va mettre le feu ce soir ! »
-    « Comment s’appelle le berger allemand coéquipier de Tobias Moretti dans la série policière ? »
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Je sors mon puff. Une longue pression qui pulvérise un gaz et la flamme du briquet qui le transforme en une arme monstrueuse. Les gens hurlent, les techniciens se précipitent l’éventant avec leurs fiches, leur veste, tout ce qui leur tombe sous la main. Nagui hurle, moi je dis « Cash - Rex » et j’attends la validation de ma réponse.

La framboise a grillé, dans son beau costume noir. A présent, tout le monde peut prendre sa place.