Les racines du feu

Le 16/04/2009
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par Kwizera, Aesahaettr
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Thèmes / Saint-Con / 2009
Aaah, notre couple d'auteurs préférés, Asa et Kwiz. J'en rigole d'avance. L'alliance d'un cerveau d'éponge et d'une plume de veau marin. Limite c'est des super-héros, les mecs. Voyons donc quelle tambouille ils nous ont préparée. Aïe. Ca blablate sur du rien pendant des paragraphes entiers. Vie d'étudiant de mes couilles. Quelques bons grumeaux de déjante viennent rehausser le goût de la mélasse, mais au final c'est très inégal.
« Alors une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise, et de ne plus la supporter. »
(Flaubert, 'Bouvard et Pécuchet')
GASTON
7h45


Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais été un grand conducteur. Devant la fac, sur le parking, on a foutu des barricades et des sabots vides, en attendant, et des clous et du verre également. « Zéro voiture pour un campus qui respire. » Ça fait quatre mois que je ne viens plus qu’à vélo. Durant l’hiver, j’ai caillé de l’intérieur comme du lait vieux. On est en avril maintenant et on parlera bientôt à nouveau des hirondelles. Je porte un brassard vert et jaune, comme pour leur souhaiter la bienvenue ; on a pas osé le rouge. Mais ils y auront le droit, au rouge, ils y auront le droit.
Lula, elle a des jambes d’allumettes. Sur le vélo, sous sa peau de tente usée, ses os cherchent à se faire la malle. Tant mieux, qu’ils se brisent comme elle me les. C’est moi qui l’ai forcé à mettre des jupes. Lui ai blablaté une connerie à propos de tissu. Que le moins sera le mieux. Elle m’a cru. Ils me croient tous. Ils nous croient tous.
« Asa est là-bas, regarde ! », elle jappe.
Elle n’a pas que perdu des vêtements, à mon contact, Lula. Son prénom aussi. Elle était jalouse de nos originalités de blazes, à Asa et moi. Ses parents l’affublèrent d’un doux Thérèse ; la sainte patronne des écolos se devait de trouver mieux.
« Si je m’appelais Lola, comme le président brésilien ? Il est gentil, non ?
-    C’est Lula, je rétorque.
-    LOL !
-    Non, Lula. »
J’ai pas insisté. Rien à voir avec nos agissements, mais j’ai pas insisté. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais été un grand contradicteur non plus.
L’envie de foutre des gifles me fait des mains et des pieds, mais je me contente de déconnecter Lula de la conversation, tandis qu’on s’approche d’Asa.
« Alors, t’es prêt pour le grand jour ? » je lui lance.

ASA
7h45


Je contemple mon élevage de champignons dans la jardinière en béton de châtaigne que j'ai fait construire le long du portail. Je leur ai raconté une connerie comme quoi le mycelium maintenait la terre et empêchait les glissements de terrain. Que mes actions dans la région les avaient maintes fois sauvés d'une mort atroce. Ils m'ont cru. On a fait passer la motion « Root Shield » en AG. Un franc succès. Je me retourne. Deux connards approchent.
Ah, non. C'est Gaston. Il est bien, Gaston, je l'aime bien. Gaston c'est un mec bien. Il est cohérent. Pas comme le tableau d'Otto Dix qui l'accompagne. Gaston me demande si je suis prêt. Il a l'air confiant, comme toujours. C'est bien. Je hoche la tête.
Un matin de Janvier dernier, je fumai ma clope ici en attendant d'aller en cours. Trois gars qui sentaient la sueur et la bière passèrent devant moi. Ils se dirigeaient vers le bâtiment F. Celui en tête des deux autres portait un stetson marron. A ma hauteur il lança :
«- ouais les lycéens faut les responsabiliser, quoi. »
Le vent me fit frémir. J'appelai Gaston. Répondeur. Je ne laissai pas de message. Je suivis les connards. A l'entrée du bâtiment F il y avait une pancarte sur un piquet. Une pancarte qui disait « hasta l' abrogacion », sur un piquet, sur un socle en plastique creux lesté d'eau. Je pris le tout et entrai dans le bâtiment. Guidé par l'égrènement lointain des notes de l'Internationale version Hip-hop, je me rendis au deuxième étage. La porte des chiottes était ouverte, Stetson pissait en chantant. Je rentrai dans les chiottes. Stetson me montrait son cul en pissant. Lui devait regarder par la fenêtre, ouverte elle aussi. Il était assez grand. Je brandis le lourd socle au dessus de ma tête et l'envoyai très fort dans la nuque du connard en stetson. Sa tête fit un bon bruit en heurtant la porcelaine tandisqu'il s'écroulait avec un hoquet de stupéfaction. Je m'accroupis, pris ses chevilles à pleines mains et le fit basculer par la fenêtre. Il y eut un bruit mât. Je passai ma tête par la fenêtre et regardai en contrebas. Le connard avait atterri dans un petit espace vert enclôturé envahi par le lierre et autres buissons. Le stetson s'était logé sur la branche d'un figuier. Je ramassai le piquet et sautai en bombe sur le connard, piquet pointé vers le bas.
Ouais, je l'ai bien abrogé, ce con. Je me dis qu'il fallait tous les tuer. Je rappelai Gaston.
« - Asa, Asa. » La fille caquète. Je n'écoute pas ce qu'elle dit. Je lui décoche un regard bleu et elle se tait. Je me tourne vers Gaston.
« - Allons-y. »

GASTON
12h34


Dans la file d’attente du Restaurant Université, je papote clope éteinte au bec avec Victor. Il mesure son bon mètre quatre-vingt-dix, court sur pattes mais long du trou du cul au cerveau. Il sortait avec Lula avant qu’on la lui éduque, ouvre sur le monde. Il est le seul du groupe à qui j’ai refusé le port d’un pseudonyme.
Hier en sortant du cours d’espagnol que je me suis forcé à commencer voilà deux mois, pour saluer les avancées de nos confrères sud-américains, j’ai rejoint Victor et les clés de sa tante qui nous ouvraient les portes des cuisines du Restau U. Je l’embobinais en discourant de vaches folles, de poulets grippés, de poissons maltraités, et du dernier rapport médical sur la nourriture servie aux étudiants français. Les yeux de Victor reculaient encore un peu plus dans leurs orbites, comme deux ours bruns qu’on accule dans leur caverne… il poussait des borborygmes contre ces ennemis que je faisais surgir de partout autour de lui.
Dans les frigos, les plateaux du lendemain se succédaient de bas en haut comme des dossiers scolaires. Je saupoudrais les purées et autres gratins de courge de PCP et de mescaline, usant avec joie des deux poudres blanches comme de parmesan.
« - C’est quoi ?
-    De la farine de manioc. »
Il restait incrédule sur sa hauteur, niais épouvantail dont les corbeaux picorent la paille de l’œil.
« C’est africain, Victor, africain. » lui affirmais-je en soufflant fort comme pour respecter la mémoire de mille sorciers nègres. « Avec ça, ils prendront conscience de leurs actes. Ils vont ouvrir leur sens aux vérités qu’ils enterrent sous de moches nourritures empoisonnées. »
Je jubile en mastiquant ma cigarette neutre devant la file d’attente pour la soupe populaire. Ai ruiné les caisses de l’assoc’ mais quelle idée. Manquent maintenant les costumes et ces amours de jeunes seront fin prêts.

GASTON
16h18


Entre Asa. Les vingt-cinq têtes vides réunies sous mes ordres se tournent religieusement vers lui tandis qu’il les refroidit d’un claquement de porte. Les costumes sont vraiment ratés, j’ai l’impression de mener une armée de frites, et je me tâte régulièrement le visage voir si je me transforme pas en clown.
J’abandonne la classe Ronald pour m’entretenir avec Asa.
« - Comment ça se passe dans le reste dans la fac ? Le repas de midi leur sort par les yeux ?
-    C’est encore assez calme. Les derniers cours à l’étage finissent dans trois quart d’heures, on pourra alors monter jusqu’au 6e pour se préparer.
-    Et eux t’en penses quoi ? »
D’un coup de menton je pointais le groupement déguisé en épi de blé.
Mentons-nous pas, Lula pointait sous son déguisement et je lui aurais mis un coup sans avoir besoin d’en avoir un dans le nez.
« Ils sont tout à fait ridicules » il me répond.
Ils l’ont pas toujours été. Va savoir pourquoi on s’en est pris à eux, finalement pas les pires dans leur positionnement, seulement naïfs, et audacieux cependant de se croire à la hauteur des causes d’un monde un peu trop grand pour eux, immense sac de patates, dans lequel ils se retrouvaient à flotter d’inutilité.
Ils l’ont pas toujours été. Au tout départ ils tenaient un journal universitaire, avec des bribes d’informations plus ou moins justes, des pamphlets aussi violents qu’un poème romantique, et des images chocs chocapic piochées sur Internet. On a refilé le zine au club informatique de la fac. Nos nouvelles méthodes s’appelaient Action et Vérité, doux relent vindicatif des jeux de l’adolescence. Et puis plus tard ils joueront le jeu du flic, ou de l’infirme manipulé dont ils dénoncent aujourd’hui la cécité. Ils changeront de costume jusqu’à endosser le costume final, énième variation de leur premier costume, à poil, qui les conduira ainsi dans le trou où plus personne ne leur donnera la réplique que les travailleurs bouffeurs de chair.
« - Ça prend aisément, le feu, cette matière ? me demande Asa.
-    Je veux, oui. Les mecs les ont cousus avec de vieux rideaux pendant l’atelier ‘Culture du monde et Egalité des sexes’. »
Victor apporte un vent de contestation, se rapproche de nous avec deux collègues collés aux basques comme des pelotes de poils. Asa grogne, et je mâchonne encore ma cigarette éteinte comme d’autres un épi de blé.
« Gaston, Asa, pourquoi vous êtes pas déguisés, vous ? »
On s’en est tapé des questions, plus que des poufs alter mondialistes. Plus que des associations d’idées incongrues, des classiques communistes écolos aux précieux papistes naturalistes. Des questions, toujours, pour nous cerner, pour nous tester. J’ai tout joué. Le blessé des doutes de ses frères. Le blazé de se justifier en permanence.
Maintenant je sais ce qu’ils aiment : qu’on les remette en place dans leur grand sac trop grand pour eux qu’ils nomment humanité et dans lequel ils savent plus quoi fourrer pour pas se sentir si petits si en mouvement si débile de non importance.
« - Victor, quand je t’ai connu, tu portais le keffieh au cou. Ou devrais-je dire au cul. Celui qui t’a appris à le porter en foulard de résistant, non, de guerrier, c’est moi. Et si ta cervelle n’a pas assez pour s’occuper de la liste des actions qu’il nous reste à accomplir, je te conseille d’utiliser la proximité de cette tunique avec ta bouche pour la remplir avec, et ainsi t’éviter de parler pour rien dire.
-    Ouais, ta gueule pute. » renchérit Asa.
Les trois épis devant nous ont les lèvres qui claquent en rythme pas vraiment révolutionnaire. Un des deux insignifiants de derrière est cependant sur le point de l’ouvrir. Je lui pointe final sa réplique sans attendre.
« 7,3 % » que j’assène avec fermeté et assurance.
« 7,3 % des pandas qui voient le jour ont une chance sur trois d’arriver à l’âge adulte, et parmi eux, parmi ces un sur trois des 7,3%, les cinq sixième ne pourront pas se reproduire à cause de la destruction de leur milieu naturel. » Je marque un temps de silence où je lutte pour réprimer un rire. Hausser le ton, vite. « Et toi, et vous, dans le même temps, sur la même putain de planète, vous venez me faire chier, nous faire chier, pour une putain d’histoire de costumes ? De costumes que je vous ai fait tricoter à bases de rideaux recyclés… JE VOUS LES AI FAIT TRICOTER CES PUTAINS DE COSTUMES D’EPIS DE BLES, OUI OU MERDE ZOUAVES DE BANQUIERS ? Putain. Toi quand Mao t’apprend à pêcher, t’admires la canne à pêche, hein ? »

ASA
20h10


Je quitte le champ impie qui me fait vomir, la régie principale m'attend. Je sors du grand hall en escaladant la montagne de tables et de chaises qui barre la route et me rends vers le parking. Dans la voiture de Gaston et moi, il y a un réservoir de zodiac plein (plus facile à transporter), deux bombones de butagaz soudées à des tuyaux en inox, des masques à gaz et quelques menues festivités. Je prends les deux bombones dans la main droite. Je mets le réservoir sur mon épaule gauche et me redirige vers la fac. Je passe par une entrée annexe au préalable dégagée. Je tourne deux minutes dans le dédale à peinture rose qui se décolle des murs, j'arrive dans le dernier couloir du secteur C. En tournant à gauche, il n'y aura plus que cinq mètres entre moi, la salle D006 et le rasta armé d'un M16 qui garde la porte. Je sais aussi qu'une caméra à reconaissance d'empreinte thermique a été installée face à la porte. Mais j'ai un plan. Je pose mon attirail. Je fouille dans ma poche et en sors une boulette de la taille de mon poing. David, l'étudiant israélite avec qui je partageai quelques pugilats amicaux l'année dernière m'avait donné cette boulette de kratom rituel, il m'avait dit que cela m'apporterait chance. J'enflamme la boulette et la lance dans le couloir. J'attends une dizaine de secondes. Je jette un oeil dans le secteur D. Le rasta s'est penché et inhale goulûment la fumée avec un air ravi. L'air du couloir est de plus en opaque. Je sors de ma position et me glisse lentement derrière le garde, toujours penché. D'un geste calculé, j'agrippe ses cheveux et enfonce brutalement sa tête dans le sol, sur la boulette incandescente. Il se met brusquement à hurler. Je me relève, brusquement, aussi, lève mon genou droit au niveau de mon nombril et abat mon talon sur la tête du rasta Je répète l'opération une dizaine de fois. Lorsqu'il ne bouge plus, je récupère son arme et décoche un coup de crosse dans la caméra. Deux bonnes choses de faites. Je rentre dans la salle avec le reservoir. Je dois localiser le système incendie. Le voilà, parfait. Bon, c'est où le réservoir d'eau sur ces saloperies ? Ce truc, là, on dirait un château d'eau en plus petit, ça doit être ça. Oui, c'est ça. J'active la pompe et positione la multi-turbine sur vidange. Lorsque presque toute l'eau s'est écoulée dans les égoûts, je rajoute l'essence du réservoir dans le petit château d'eau. Je repositionne la turbine sur « manuel ». J'envoie un sms à Gaston. Gaston a du lire. Gaston est probablement sorti maintenant. J'active l'arrosage du grand hall. L'arrosage du champ.




GASTON
20h15


Les nuits blanches, je connais, mais je dormais encore pas si mal à cette époque. Alors cette idée de Nuit Blanche de l’Université ne m’enchantait guère. Jusqu’à l’idée. Asa et Lula ce soir là chez moi. On parlait des champs de maïs transgéniques. Un groupe de notre assoc’ proposait de participer à une destruction, à quelques kilomètres d’Aix. Nous incombaient les préparations, trouver un bus pour amener tout le monde, avoir un programme et un message qui tienne la route…
Lula boudait. L’action était menée par Attac, et le médiatique José Bové devait honorer ses ouailles de sa présence. On en avait eu vent par un membre, qui étudiait la chimie chez nous. Mais Lula et Bové, ça faisait deux. Elle avait une conception glamour de la lutte, dans laquelle les moustaches vieille France dégradaient le tableau qu’elle se peignait avec autant de mauvais goût que les couleurs dont elle se drapait.
On en est ainsi venu à discourir de la manière la plus efficace d’occire, si je puis dire, un champs OGM. Les joints qui circulaient entre nous prenaient la place de ceux qui solidifiaient nos conversations habituellement. On s’est mis à imaginer un hélicoptère aspergeant d’essence le blé transgénique. Et puis nous arrivions, en tenues dignes de ghost buster, avec des lances flammes, pour cramer le tout. Lula riait comme une poule d’eau, et je la voyais réellement en poule, avec des plumes et pas un poil ignifuge. On s’est regardé longuement avec Asa, la lenteur de notre défonce aidant, et comme si par télépathie on s’envoyait des images de nos ploucs, brisés dans leur élan vertical vers le ciel par la chaleur, puis relevés par une nouvelle flamme, et balancés ainsi de suite, jusqu’à l’écroulement final dans la fumée.
Et nous voilà, trois mois plus tard, au jour J. Au 6e étage de l’université, Asa a posé toutes nos armes. Il a aussi accès au déclencheur d’alarme incendie. Je suis pour ma part dans les derniers couplets de mon discours.
« Et, tandis que je vous vois, mes sœurs et frères, avec l’uniforme de l’ennemi, un uniforme qui pourtant, comme les couleurs rouges de la révolution ne devraient pas nous évoquer le sang mais la révolte, un uniforme qui devrait nous rappeler la beauté de notre planète, et non nous orienter vers les dérives d’une science qui s’est abandonnée aux plaisirs financiers, comme une fille de peu de vertu. Euh… oui, donc, tandis que je vous vois, je repense à la première fois où je vous ai vu. Je revenais alors de Tanzanie. Et vous savez, là-bas, je me rappelle de cette chaleur perdue, qui tombait du ciel comme une pluie, et se heurtait à un sol hostile. C’est ainsi que naissent les inondations, mais cette chaleur elle, rebondissait, s’en allait se perdre ailleurs, je n’ai jamais su où. Et j’ai accompli de grandes choses en Tanzanie. Nous avons sauvé des éléphants, et nous avons fait piétiner, par ces mêmes éléphants, des cultures transgéniques secrètes. Mais vous savez ces exploits comme si vous les aviez vécus à mes côtés. »
Dix mois de mensonges. Dix mois et l’envie, tout de suite, là, de desserrer cette gorge d’où j’extrayais une voix entraînante, et de les enchaîner. De leur rouler dessus, de les piétiner, oui, avec ces éléphants inventés, de leur dire, moi, toute ma haine. Que leur ciel s’écroule. Mais je devais mentir encore un peu, verrouiller cet estomac qui ne digérait plus ce jeu.
« Le feu de notre colère, mes sœurs, mes frères, doit imposer sa couleur au ciel. Nous sommes ses racines. »
La sonnerie d’un téléphone m’arrête. Je mets quelques secondes à sortir de mon rôle, c’est le mien. Je m’excuse, cède la place à Barbu, un type quelconque qui leur donnera les détails. Je lis le SMS reçu, c’est Asa.
« GRACCHUS BABEUF WAS DEAD. »
C’est parti. Je prétexte avoir affaire dehors. En sortant, je bloque l'issue de la salle en croisant les pieds de deux chaises dans la poignée.

ASA
21h


Ca a commencé du tonnerre. Au début ils n'ont pas compris. Normal, après tout. Ils ne se voyaient pas comme un champ de blé transgénique qui doit être détruit, donc il n'avaient pas peur. Il avaient juste l'air un peu énervés de s'être fait aspergé par le système incendie alors qu'y avait pas le feu; joints mouillés, tickets de concert pour Cat Empire irrécupérables, ect. Y'en a un qu'a gueulé que c'était vraiment le goulag une fac aussi mal foutue, ça doit être à ce moment là que je me suis séparé de Gaston. J'ai balancé une brique dans la porte en verre, une fille se l'est prise dans la gueule. Ils avaient l'air étonnés, les yeux grand ouverts. J'ai ouvert la valve du gaz et craqué mon briquet devant la sortie du tuyau, en braquant le premier rang.

ASA
21h30


Reprise de conscience. Je suis dans un des couloirs de la fac. Premier étage, peut-être. OU deuxième. Je ne sais pas, je ne me souviens plus du code de couleur, le code de couleur a disparu de toute façon, tout est maculé de sang. J'ai un objet sanguinolent dans la main. Hein ? Ah, oui, je me souviens. Y'en a qui ont pas pris feu en entier ou qui se sont débarassés de leurs costumes avant de mourir, il a fallu les finir à la serpe. Il y a de la fumée et du bruit, je ne respire pas normalement. Le feu s'est propagé au bâtiment ? Il faudrait peut-être que je songe à y aller. J'ai toujours ma bombone, le tuyau en inox est très chaud, c'est ça qui me brûle la paume, donc. Faut que je sorte prendre l'air. Je me dirige vers la sortie la plus proche, quelques chaises sont renversées. Deux cadavres en pleine combustion se sont encastrés dans la barrière, cette entrée aussi va finir par prendre entièrement feu. Je sors. Le fond de l'air est agréablement frais. Sur le chemin menant à la reprographie je vois une silhouette. Une fille, semblerait-il, ou est-ce un bronze de Giacometti ? Ah, je la reconnais, c'est celle qui traîne souvent avec Gaston. Elle a enlevé son costume mais a gardé ses vêtements. Dommage. Dommage ? Oui. Quoi, qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça ? Dire qu'elle est hébétée c'est un peu la surestimer, elle a toujours cet air infiniment con et expectatif. Là, en plus, elle tremble et ses yeux sont extrèmement gonflés, on les dirait alanguis. Qu'est-ce que tu attends de moi, Lula ? Putain, elle me fait bander. Tu ne vas pas bouger, hein, tu vas te laisser faire, toi aussi. La vérité c'est que vous êtes tous des petits êtres amoraux, sans instincts ni valeurs, il vous est impossible de compr... ah, tiens, si, elle se barre. Putain, la conne, reviens. Reviens, pétasse, je vais t'allumer, tu le mérite plus que quiconque. JE VAIS T'ATTRAPER, je vais te frapper, je vais mettre mon tuyau en inox dans ton petit cul squeletique. Je vais te FRAPPER jusqu'à CE QUE TU NE PUISSE PLUS BOUGER puis je vais t'ENFONCER CE TUYAU DANS LE CUL et OUVRIR LA VANNE.

GASTON
22h47


Chaleur chaleur chaleur. J’ai abandonné ma tenue de ghost buster, me promène au milieu des pompiers et des survivants. Tout à l’heure, j’ai croisé Asa. Il avait l’air gêné.
Je cherche Lula. Me rappelle d’avoir fait du Victor flambé. Il m’a reconnu ?
J’ai un creux incroyable, une falaise. Je voudrais bien me pencher dessus mais j’ai peur de vomir. Bordel, j’ai pas mangé depuis deux jours, qu’est-ce que je dégobillerais ?
Vite, repenser aux bons moments. Le plus jouissif fut leurs hallucinations. Ils se déplaçaient en désordre, j’ai cru qu’on s’était mal débrouillé, qu’on en aurait qu’une trop faible partie. L’essence diffusée de partout, et les vapeurs, et ils couraient, et je tremblais, et je visais mal, et je mettais le feu surtout à des étagères, des panneaux d’affichage, et je commençais à rien y voir, et Lula où était-elle, et bon dieu ma tête tournait, et les fumées j’en toussais trop, et aucun moyen de savoir où était Asa, et Lula, Lula, pourquoi je pensais à elle ?
« Les pompiers, voilà les pompiers ! »
C’est ce que j’ai entendu alors que je me résignais à leur fuite. Les idiots ! Ils revenaient vers moi ! Je leur faisait signe d’approcher, comme à des animaux traqués ! Les voilà à bonne distance ! J’ai dégainé ! mon lance-flamme ! ah ça prenait bien ! rideaux brûlez, levez votre voile ! ah je jubilais, les poursuivais ! je reprenais goût !
J’ai changé de couloir… Je voyais personne… soudain une main sur mon épaule.
« Tu joues qui, toi ? »
C’était Victor. Il avait quitté sa tenue d’épi. Nu. Il était là dans un couloir, tout seul et nu.
Je lui demande : « T’es avec Lalu ? Thérèse ? T’es avec elle ?
-    Il ne faut plus jouer de rôles. Il faut que nous laissions aller. Il faut qu’on nous ignore. Je veux devenir transparent ! Trans… »
Je l’ai allumé. Visant les parties génitales. Il m’a applaudit. Il poussait des cris de singe. Un singe nu et castré. En cours de castration.
« Voilaaaà ! làaaaa !
-    Victor, je te hais. Et tu me parles de transparence ? De t’effacer ? Mais on n’effacera jamais rien de toi, et des tiens. Ah, vous me débectez avec vos actions correctrices ! Vos moues obligées ! puis désobligées ! Gna gna un jour ! gna gni le lendemain ! Je chie çà ! j’essuie là ! Ah mais vos gueules oui ! Même en disparaissant vous laissez des traces partout ! »
Il m’écoutait plus depuis bien longtemps. Je m’acharnais contre un amas de branches enflammées. Son mètre quatre-vingt-dix enfin mis à genou, et pas pour sucer.
L’air alors m’avait calmé. Je continuai ma tâche sans entrain, mais avec application. Quelques situations cocasses, encore, mais la faim commençait à me tirailler. Et l’impression que quelqu’un tombait, dans ce trou, tombait et je savais qui.
Je suis tombé, moi aussi, sur elle Lula et puis sur le cul, au détour d’un bâtiment attenant à l’université. Elle était là au sol, et ridicule. Ne ressemblait plus à rien. J’en ai brûlé encore un peu. Les traces de Victor semblaient enfin sur le départ.
Chaleur chaleur chaleur. Je me promène encore, je reviens sur le départ. Les pompiers ont fait ici un tas, des corps des morts. Les propos des survivants se couronnent d’incohérence.
Putain de peuple français. Le premier que je rencontrai, en venant m’installer ici, dit à ma mère que le ciel finirait par nous tomber sur la tête. Mais il est bien accroché, ce salaud, là-haut, et les flammes maintenant faiblardes lui chatouillent seulement sa couleur noire originelle, partout imposée. Les cendres au sol recouvrent le reste de ses racines.