Halb

Le 06/07/2009
-
par Slashtaunt
-
Thèmes / Obscur / Litanie
Outch, jamais rien lu d'aussi lourd. C'est nauséeux, autant d'auto-érotisme dans l'écriture. S'il débarbouille son miroir de la salive qui le recouvre, Slashtaunt y verra surtout un branleur pompeux et complaisant qui tente d'imiter péniblement des modèles périmés. Celà dit, si l'on fait un effort d'indulgence pour cet immondice kitsch, on y découvrira quelques perles enfouies sous le purin. Car Slashtaunt a du talent, c'est vrai. Bien enfoui sous sa gueule de con.
S'étale sur des lieues un gigantesque banquet dont l'immense table de verre se trouve enfouie sous les hôtes: les gigots y saignent en abondance, les volailles dorées craquent dans les couverts, baignant dans un vin délicat comme du cachemire.
La nuit n'est pas assez vorace pour absorber le tumulte de cette orgie, où rompant le flot continu des exhortations à jouir, des querelles s'élèvent, pour glisser en rires avinés.
Une vapeur dense couve cette masse criarde, elle provient des haleines et des viandes chaudes encore, dans lesquels mordent à pleines dents ces hommes enivrés. Les plus raffinés pendent à leurs lobes des bijoux de topaze, et se coiffent de serre-tête en sycomore, tandis qu'entre eux se faufilent les éphèbes noueux et lascifs, fils de la plèbe.
Ondulent çà et là, comme des flammes avides d'espace, des danseuses à peau cuivrée s'accordant aux rythmes déstructurés qu'engendrent les sandales frappées à terre de leurs admirateurs, et l'on en voit qui, à la faveur de l'ivresse générale, lapent quelques gorgés de liqueurs amères dans des verres de porcelaine.
A intervalle régulier, des bustes de porphyre luisent au clair de lune, à peine ombragés par les branches des citronniers chéris.
La terre brûlée se soulève à chaque pas en nuage de poussière. Les diablesses dansantes en sont recouvertes et se versent des carafes d'eau cristalline pour s'en purifier un instant, mais la peau humide retient avec plus de désir, encore, la poussière à elle.
Devant des plats emplis de mets faciles et lourds, un homme vêtu d'une chasuble de prosélyte veinulée de fils d'or trempe ses doigts dans une marmite d'huile, et en graisse sa chevelure.
Les femmes, silencieuses, ploient autour de lui comme une marée montante. Le murmure enfle à cette partie de la tablée, un inconnu s'enquiert de son identité. Halb rayonna:
"J'ai ouvert ma couche afin que puisse se blottir, à la moiteur de nos concupiscences, ma mère, mes soeurs, mes filles. Toutes enfantèrent: nos progénitures incestueuses vivent au loin, dans un immense enclôt de fer confectionné par mes soins, où elles prolifèrent et mélangent à l'infini ce sang faible et perverti. Leurs peaux maladives adoucissent les fibres tendues de mon âme, comme du lait dans un bain brûlant. Ces êtres gémissent chaque matin, parfois, je les entends, et un sourire fend mon visage.
Pourtant la cruauté n'est pas mon cap, mes jours se comptent en errance. Ni logique, ni passions ne gonflent mes voiles, je dédaigne jusqu'aux flux de mes envies; ma vie se confond en un navire démâté.
Ainsi cette société consanguine, au dessus de laquelle rayonne ma sainte aura créatrice, vît le jour pour le Qu'importe que j'idolâtre, étendu sur un autel tel un Dieu suicidé disposé à anéantir dans son désarroi toute tranche de matière, puis à gober le néant.
Convives inconnus! Que ma puissance résonne dans vos crânes: j'ai des chevaux de quoi tracter mes palais, des esclaves de quoi enfouir les mers, et de l'or fondu à n'y plus accorder que la piètre valeur du miel.
Mes royaumes s'étendent au delà d'eux-mêmes, là réside leur force. Si loin même que cette table n'en connaît pas le bout, elle qui fût pourtant fondue d'appétit pur.
Buvez et mangez ces viandes savantes, ces femmes et ces fortunes, elles se collent à vous, à vos peaux."
Un étudiant filiforme s'exclama le connaître, puis:
"- Il parait que vous voyez?
- Mes visions m'offrirent des tableaux de Pégase soûl de tourments, ses ailes dans sa mâchoire, tentant au prix des plus vives douleurs de renoncer à sa splendeur. Faibles comme lui, combien de vieillards endeuillés d'une vie stérile, combien d'enfants stupéfaits du bagne auquel les a condamné, dans leur insouciante euphorie, leurs géniteurs, et combien d'hommes mûrs, affligés de se voir pourrir aux branches de l'existence, combien de ceux-là, disais-je, ai-je déjà déplorés? Leurs yeux eussent été des perles, leurs mains de l'ivoire, qu'ils souhaiteraient à coup sûr qu'on en érige des temples. Mais ils le savent tous: le corps dans son intégralité, un jour, sera outragé. Seront abolis la respiration et la circulation, le coeur arrêté en diastole, la cavité thoracique en expiration, et les muscles se relâcheront, sphincter compris, lui, l'ignominieux gardien de nos fiertés. Nous laisserons alors un goût amer, quelle que fut notre identité en ce seul monde; le frais mélange de di-éthylamine et tri-méthaline, liquides putriques, aussi ingrats à prononcer que nauséabonds aux sens."
On grouillait autour de lui, constituant une muraille circulaire de faces rougis par les plaisirs, tous délétères. Un silence accueillait ses piquantes paroles, une voix s'éleva:
"Maître, vos innombrables richesses proviennent-elles de la guerre? Ou vos mains portent-elles les souillures des cabales? Dites-nous, le souffre de l'offense a-t-il gercé vos lèvres?
-Les guerres se livrent en moi en tribus rampantes, et successivement stratège de l'une, puis de l'autre, je parviens à les articuler, comme un joueur d'échec esseulé. Les complots fomentés dans lesquels je baigne ne visent qu'à saboter le piédestal sur lequel je me repose depuis trop longtemps. Enfin, le souffre de l'offense abandonna derrière lui des landes désolées, mais seules celles de mon âme le connurent, et jamais il ne pût s'affranchir de mes entrailles. Apprenez mes visions: Pégase chatoyant mord ses ailes avec hargne, Phoebus s'en attriste comme d'un deuil, car c'est bien une mort que de dévorer ses superbes.
Il me fallût, cependant, m'éprouver.
Ascète je rampais le long d'une allée bordée de fruits frais et juteux suspendus aux branches d'arbres vigoureux, sur lesquels la vigne grimpait avec tranquillité. Pourtant, jamais le fossé n'eut à supporter mon poids; je désirais cette ligne chimérique que forment l'union de la terre et du ciel, au loin.
Mon entreprise fut un succès: je ne décrirais que mal cet instant sublime où mes doigts effleurèrent cette droite idéale.
Revenu de ces tentations factices, mes cheveux se mêlaient de myrtes et de lauriers."
Un mouvement de foule l'interrompit. Une femme, les yeux exorbités, le visage révulsé par une angoisse bestiale s'agrippa à sa manche:
"Et ce banquet?"
Le tumulte s'apaisa, la citronnelle alourdissait l'air, et les bustes de porphyre, mutilés dans la fureur de la fête, gisaient péniblement à terre.
Çà et là, les femmes languissantes s'écroulaient sur la table, les hommes dégageaient leur museau de mets sanglants qu'ils rongeaient comme des charognes, et s'attroupaient autour de ces nouvelles proies, si sensuelles.
Halb donna sa réponse:
"Ce banquet creuse un fossé, mais l'horizon lointain existe aussi peu que ces fruits frais et juteux dont vous rêvez, car en vérité les parasites en habitent toutes les cavités."
Les mains lâchèrent sa manche, l'on s'écarta, stupéfaits.
Le vent, mugissant dans le bois alentour, se leva des quatre points cardinaux, des mâts, discrets jusqu'alors, craquèrent et s'abattirent, rompant sans distinction verrerie, boiserie, et corps, ces derniers hurlant et cachés puérilement sous la table rectiligne à perte de vue. Halb se tenait immobile, la panique ne dégonflait pas. Soudain les citronniers roussirent aux flammes attisées, les convives s'enflammèrent et se consumèrent rapidement, bientôt tout ne fût plus qu'un plateau de cendre, tanguant tout à coup.
Paisible, Halb vît décroître l'espace, pour n'être plus qu'un navire à la dérive, charrié par quatre courants annulant chacun la poussée de l'autre. Les yeux baissés, il invoqua à voix basse son Dieu suicidé sur la catafalque.