Sauvez les loutres !

Le 06/08/2009
-
par Traffic
-
Thèmes / Débile / Phénomènes de société
OK, amenez le comptoir, sortez le distributeur de cahouettes, faites venir les pochtrons : Traffic s'apprête à prendre la parole. Maurice est déjà en train de pouffer. Ta gueule, Maurice, laisse-le raconter ses conneries. Ah tiens, ça parle de loutres. Bon. Hey, mais c'est même pas spécialement drôle, son truc. Il est bourré ou quoi ? C'est quoi cette histoire à la con ? En plus il bégaye. Maurice, raconte-nous donc plutôt une blague de Toto.
Faut toujours garder à l’esprit que l’écologie est The Big Secteur de l’escroquerie du siècle à venir.

Attention j’invente rien. Les poids lourds de l’économie sont déjà sur le coup.

Evidemment, nous ne jouons pas dans la même catégorie. Moi, je vais me contenter de commencer petit. Ce n’est pas que je manque d’ambitions mais il faut rester raisonnable et Bill Gates a bien construit son fameux prototype d'ordinateur dans le garage de la maison familiale.

Mon créneau moi, c’est la sauvegarde de la loutre d’Europe autrement appelée Loutre commune appartenant à la famille des Mustélidés.
J’ai pu observer que sa présence sur les cours d’eau ravit les enfants et les jeunes couples. Une fois j’ai même surpris un couple d’exhibitionniste s’interrompre en pleine action à la simple vision de l’animal au pelage fourni. C’est ce jour que j’ai compris le pouvoir de l’animal.

Il me fut facile de monter une action caritative au sujet de la sauvegarde de l‘espèce. Sur un document succinct, j’expliquai que la présence de cet animal se voyait amputée chaque année d’un fort pourcentage par l’ingurgitation de sac plastiques de supermarchés et la pollution du au rejet d’oxyde de carbone de la circulation. Pour sauver les exemplaires menacés de cette espèce, j’envisageai de créer un parc à loutre pouvant permettre la protection et les meilleures conditions de vie à cet animal. Dans ce lieu, l’alimentation quotidienne de l’animal ne serait plus emballages plastifiés et huile de vidange mais quelque chose de plus gouteux. A savoir que la loutre est parfaitement piscivore et que son éclectisme alimentaire lui permet de se nourrir tout autant d’anguille que de truites ou d’épinoche.

Mon affaire s‘annonçait juteuse. Passé du statut de chômeur à plein temps à celui d’icône locale de la protection des espèces menacées, j’aspirais à une reconnaissance et la bienveillance du canard local me permettait de toucher mon cœur de cible. Toute la population rurale de vieux du patelin en train d’agoniser d’ennui dans leurs existences fossiles.

Bien sur, je n’avais aucune ambition de créer un véritable parc à loutre. Je me contentais d’encaisser les chèques de vieux humains plein de compassions qui habituellement se payaient des vélos d’appartements lors de séances effrénées de télé achats et qui trouvaient là une nouvelle façon de dilapider l’héritage de leurs enfants qui n’en pouvait plus de se demander quand ils allaient hériter. Je les entendais de là. « Mais bon dieu cessez donc d’acheter des vélos d’appartements. D’abord, tout ce sport vous empêche de crever dignement et vite et ensuite vous avez vu le prix des machins ? Offrir un avenir professionnel à vos petits enfants ne serait-il pas plus judicieux ? A tout le moins, avancez moi au moins de quoi me payer une voiture de sport. »

Inutile d’évoquer les dons au « Monde enchanté de la loutre« , mon association loi 1901. Rien de tel pour faire enrager la descendance pressée. Je fournissais à chacun de mes adhérents un certificat de Maitre loutrier ainsi qu’un assortiment de petits autocollants représentant la bête à différente étape de sa vie. L’enfance, la parade nuptiale, la pêche et pour finir une superbe vignette d’une loutre écrasée en tentant de traverser un autoroute. Et oui; tout les vérités sont bonnes à dire et à montrer.

Cette fois, je n’avais pas laissé le train de la bonne fortune filer sans moi. Par le passé, j’avais toujours loupé les bons coups. Les formations, les téléphones portables, l’immobilier à bas prix. Moi j’avais jamais rien tenté et j’avais donc toujours tout raté. Mais l’écologie, tout ça, les vert, l’économie équitable, je l’avais sentie arriver. Je m’étais dit là c’est pour moi. Avec ma tête d’activiste alternatif un tantinet négligé , je n’aurai pu être plus crédible.
La vie était belle.

Malheureusement ce bas monde ne l’est jamais autant que l’on croit. Très vite, dans mon sillage, on décompta un protecteur de la gavotte sifflotante et un défenseur de la salamandre briviste, une espèce de salamandre ressemblant à un rugbyman du sud ouest peut-être, je n’en avais jamais aperçu le moindre exemplaire auparavant. Le créneau s’encombrait significativement.

Le maire de la commune pensant s’attirer les faveurs des amis des animaux nous organisa un espace protection de la vie sauvage à côté de la décharge.
Un mini scandale au sujet d’une invention probable de la salamandre briviste qui ne semblait pas exister suscita une certaine méfiance chez Mme Duchemin qui aimait bien l’idée d’être une maitre loutrière de première catégorie avec ses adoptions de trois familles entières mais qui n‘aimait pas beaucoup l‘idée de se faire entuber. Elle me prévint qu’elle ne paierait plus la cotisation tant que les loutres ne seraient pas visible dans les enclos mis à dispositions par la mairie.

Il fallait s’y mettre. Elle était l’épouse de l’inspecteur des impôts du cru. Je ne tenais pas à connaitre la douloureuse épreuve d’un contrôle fiscal et du redressement de bon aloi que l’on réserve à ceux de mon espèce.

Afin de garantir mes arrières, je décidais de construire un enclos à loutre au plus loin possible du parc. Je m’inspirais du modèle canada qui avait été mis sur le marché par la WWF pour la sauvegarde de l’espèce mais moi je le construisais en carton, l’enclos. Ensuite, je me saisissais d’un chat errant que je commençais par droguer avant de l’affubler d’une toque synthétique retaillée en forme de costume de loutre que je lui collais sur le dos à grand renfort de super glue.

Le lendemain j’annonçais l’arrivage du premier animal de l’association, notamment en téléphonant à Mme Duchemin. « La première de vos protégées est là, elle vous attend« .

Elle n’en croyait pas ses oreilles, elle voulait voir la bête le plus tôt possible. « Pas de hâte laissons la s’acclimater jusqu’à demain et vous pourrez la voir très vite« . Mme Duchemin parvint jusqu’à la décharge sans difficulté mais eut plus de mal pour trouver les installations municipales pour la protection des espèces menacées. Au téléphone  je lui dis "c’est simple, vous voyez le grand tas de pneus sur la gauche, ben on est juste derrière. »

Elle se garait avec précaution et salua avec distance le protecteur des salamandres briviste qui avait été convaincu de mensonges par le prof de biologie du collège Gérard Philippe.

Peu importe, je la saluais avec enthousiasme.

« Et voila notre protégée. »

Je désignais au loin le chat encapuchonnée que j’avais pris soin de fixer avec une corde à un piquet planté dans le sol.

« Elle est loin. On la voit à peine. »
« Ben tiens pardi, c’est une sauvage. Elle vivait dans une zone de déforestation de Slovénie. Vouée à être broyée par les engins des bucherons sans pitié de ces régions. C’est à vous qu’elle doit la vie sauve. »

« On pourrait s’approcher ? « 
« Surement pas, vous imaginez. Elle est toute apeurée pour l’instant. Laissons là s’adapter et bientôt c’est elle qui viendra à vous et vous mangera dans les mains. »

« Vous avez raison. »

« Et puis bientôt le reste de la famille arrivera et tout le monde sera réuni, ça va être un vrai bonheur pour ces bêtes. N’oubliez pas que c’est grâce à vous que cette espèce animale subsistera à notre monde polluée. Au moins vos petits enfants verront une loutre vivante plutôt qu’une créature empaillée dans un musée. Si de généreux bienfaiteurs de votre trempe avaient existé à l’époque préhistorique, peut-être les dinosaures seraient encore parmi nous. »

Le gars des salamandre jalousait ma faconde. Je le soupçonne d’ailleurs d’être le vrai responsable de ce qui était arrivé par la suite. Nous étions en train de discuter de l’adoption d’une quatrième famille, ce qui aurait permis à Mme Duchemin d’accéder au rang de Maitre Loutrière experte lorsque je vis avec horreur le chat loutre détaché de son piquet en promenade en notre direction. J’essayais de cacher l’animal en me mettant dans le champs de vision de Mme Duchemin. Mais elle avait capté le mouvement .

« Regardez, la voila qui s’acclimate. Elle vient vers nous, Mr Borkschnork. Elle a faim peut-être… »

« Faisons attention Mme Duchemin. C’est une bête sauvage tout de même. Elle pourrait nous sauter au visage. »

« Mais il y a le grillage enfin. « 

« Ca a des dents très acérés, surtout les exemplaires slovènes. Ca vous bouffe un barbelé en trois minutes là bas. Je lui ferai limer les dents demain et en attendant reculons nous. »

« C’est ridicule. Je pense même que je vais la caresser pour vous prouver que cette bête a avant tout besoin d’amour »

Mme Duchemin échappa à mon contrôle et se jeta dans la cage à loutre. Je ne pus l’empêcher.

Le chat loutre était particulièrement excité. Il bondit avec une précision diabolique au visage de Mme Duchemin.

« Débarrassez moi de cette créature. Monsieur Borckschnork. Au secours… »

Encore foiré. J’imaginais de là le contrôle fiscal qui m’attendait. Tout allait devenir plus compliqué à présent.

Je regardais le chat hirsute s’échapper par la porte de l’enclos laissé ouverte.

La vieille incrédule, le visage hébété et sanguinolent, tenait dans ses mains une toque en forme de peau de loutre.