Indus martial n°2

Le 25/08/2009
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par Glaüx-le-Chouette
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Thèmes / Obscur / Litanie
Ca faisait longtemps que personne n'avait osé proposer de la vraie poésie en prose, du genre qui joue sur les sonorités et les rythmes et nie toute intrigue ou psychologie. Ce coup-ci, c'est une réussite, à ceci près que c'est sans doute un peu trop long, on finit saoûlé. Sinon : rythme écrasant, répétitions obsessionnelles d'images meurtrières, ambiance cataclysmique. On suit, fasciné, le parcours d'une machine de guerre humaine qui ne sait plus qu'écraser, détruire, supprimer. Intense et fatigant.
Ecraser les carcasses éclatées dans les trous, il faut
Ecraser l’ennemi le tasser dans les trous
Creuser les trous d’obus pour y trouver les os
Ecraser les carcasses écraser chaque crâne
Au talon de la crosse et des bottes écraser
Les carcasses
La carcasse qui craque contre le talon ferré, l’humérus en éclats sous mes pas. Les crocs des mâchoires brisés qui s’enfoncent dans la chair des bottes, le bruit des fibres des muscles qui s’écrasent enrobé par les peaux mortes. Ecraser l’ennemi pour creuser la victoire. Retourner à la nuit ramasser les cadavres à la trêve obligée, écraser l’ennemi sous mes talons d’acier, creuser les trous d’obus pour y trouver les corps et marcher sur des crânes, écraser l’ennemi. Le bruit froid des humeurs qui giclent dans la boue, les ventres qui se vident quand on saisit les corps. Ecraser l’ennemi comme on presse un fruit crevé, l’écraser comme une outre une vessie un sac mort de bile et de sang et de glaire et de merde et regarder en face. Goûter du bout des pieds. Ecraser l’ennemi.

Je m’écarte des autres et je fouille au profond des trous d’obus trop pleins. Je m’éloigne et j’oublie qu’il faut rapporter les corps, j’oublie les ordres et je continue à battre, à combattre, à parfaire encore la victoire. Ecraser du talon un crâne qui dépasse et l’oublier ici, ne pas prendre les corps et les fondre en la terre, écraser l’ennemi comme on pétrit la glaise, mêler les morts aux morts, les rendre à la poussière, calcaire et glaire en pâte. Pétrir et fracasser, le crâne qui résiste, la nuque qui craque avant et la tête qui pend. Du bord du talon noir faire éclater la tempe et m’arrêter, le talon dans les os défoncés. Ecraser l’ennemi et le regarder mort. Puis reprendre les coups et pétrir. Ecraser l’ennemi.

Le soubresaut des cartouches dans le chargeur de l’arme, le sursaut de l’arme noire et argent en bandoulière à l’épaule. Le claquement des métaux graissés, le claquement des os entre terre et talon. Briser des avant-bras tandis que le fusil craque à l’épaule. Ecraser l’ennemi. Le cuir raide des bottes qui craque à chaque pas, et les dents qui se frappent, à chaque coup donné. Faire exploser les os comme on écrase un bréchet, un oiseau, la nichée tout entière, célébrer la victoire en brisant l’ennemi. La pointe de la botte qui frappe en plein nez, la mâchoire éclatée, la main désarticulée. Ecraser l'ennemi.

Du canon du fusil crever les yeux révulsés. Ecraser l’ennemi jusqu’au creux des prunelles, poursuivre dans sa fuite son regard de cadavre. Pousser le canon gris jusqu’à ce que l’œil cède, jusqu’à ce que l’os cède, regarder gicler l’humeur aqueuse repeindre le masque de mort en coulées de jus d’yeux et de sang, parfaire la victoire. Empêcher toute fuite, tout regard qui s’échappe, les yeux qui se referment, les yeux qui se révulsent, les regards retournés vers l’intérieur paisible, vers la mort, célébrer la défaite, interdire la fuite. Ouvrir les yeux des morts en crevant, du fusil. Puis écraser les crânes.

Bourrer les bouches de cailloux, de schrapnels, de balles et de bouts d’os. Fermer les bouches des cadavres. Ecraser les mâchoires d’un coup de pied placé sous le menton, le plus fort que l’on peut, en criant la victoire, plusieurs fois, plus fort, écraser les cailloux, les schrapnels, les balles et les bouts d’os jusqu’à faire pénétrer les symboles de la mort jusque dans le crâne brisé. Ecraser l’ennemi par l’intérieur des bouches.

Déterrer l’ennemi enterré sous les décombres tièdes. Allonger l’ennemi face au ciel gris de cendre. Ecraser l’ennemi sous les parpaings brisés, sous les barres de fer tordues, sous les talons ferrés. Hurler et faire exploser les hanches au claquement soudain, profond et solennel. Faire éclater les côtes aux craquements mauvais, revanchards et multiples. Retourner les genoux aux glissements brisés, aux claquements sourds, aux bruits d’os qui avale. Ecraser l’ennemi dans la poussière et les cendres des vaincus.

Rassembler l’ennemi quand on trouve un cadavre déchiré en lambeaux. Rassembler l’ennemi, le bras séparé du corps enfoncé dans la plaie du suivant, la main morte qui pétrit dans les tripes froidies déchiquetées sans pouvoir les saisir, le talon qui écrase. Pétrir l’ennemi qui pétrit l’ennemi, rassembler l’ennemi en pâte à faire les morts. Terminer la victoire, supprimer l’ennemi. Presser chair contre chair, pétrir sang coagulé dans sang coagulé, écraser l’ennemi des paumes et du poids de tout mon corps, toute la victoire, toute mon armée. Rassembler l’ennemi, les entrailles vidées ramassées et poussées au fond d’une autre gorge, d’une tête sans mâchoire, et pousser du canon du fusil jusqu’au fond des trachées. Et bourrer l’ennemi d’ennemi puis pétrir, écraser l’ennemi.

Qu’ils fassent trêve s’ils veulent.