La contradiction entre une société du paraitre et la logique inexorable du poil

Le 30/09/2009
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par Le roi de la grimace
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Une tragédie grecque intense et prenante à base de poils, c'est un truc qui manquait encore, tiens. En plus d'être original, ce texte atteint un très haut degré d'imbecillité. De la rebellion, de la violence, de l'auto-mutilation, des questions existentielles. Et des poils, donc. Je salue l'abnégation de l'auteur. Je lui conseillerais bien d'aller rouler des pelles à des tyrannosaures, ça semble de même niveau dans l'absurde.
    Nous étions au début de l'été et, pour la première fois de l'année, Boris a enfilé un short et s'est nonchalamment étendu sur un transat à l'ombre du frêne. Plongé dans la lecture d'un recueil de nouvelles du roi de la grimace, le fantasque écrivaillon, il se torturait l'esprit avec ces contes mystérieux, peuplés d'êtres biscornus et de sympathiques petites morales.
    Une brise légère soufflait, les oiseaux virevoltaient dans tous les sens, les végétaux semblaient prendre une dernière bouffée d'air avant l'après-midi caniculaire. Commençaient à arriver par légion des milliers d'insectes volants : mouches, moustiques, moucherons, cousins, guêpes qui n'en sont pas, qui viennent se cogner, se poser, s'entrechoquer et bourdonner à l'oreille. Les nuages se retirèrent doucement, le soleil tourna.
    Quand Boris termina la lecture du dernier paragraphe d'une histoire légère et tordue du fameux grimaçant, ses jambes étaient baignées par une magnifique lumière, totalement dénuée de la moindre parcelle d'ombre. Alors il baissa le bras qui tenait le livre et son regard tomba, implacable, sur ses mollets. Le choc fut brutal : une épaisse toison avait poussé sur ses tibias pendant l'hiver, frisant, s'entremêlant, révélant le potentiel dramatiquement non négligeable de sa pilosité. Ne correspondra t'il donc jamais aux canons actuels de la beauté, cet impératif fondamental de réussite sociale et d'équilibre psychologique ?
    Sa première réaction fut la décision irrévocable de mettre fin à ses jours : à quoi bon vivre laid ? Puis, le premier émoi passé, il maudit ses origines, son patrimoine génétique, il cracha sur ces ancêtres, il désira être blond, scandinave, immaculé, il aspira à une peau glabre, une peau de bébé, douce, couverte par un invisible duvet. Dans son délire, il se rêva grand, musclé, en pleine ascension sociale, il s'imagina accéder à des sphères supérieures et regarder avec mépris et dégoût toutes ces créatures simiesques, cette plèbe grouillante, ces ignobles hirsutes. Et il se vit dans cette marée humaine, tentant en vain de ne pas se laisser écraser, étouffant parmi les vilains et les gueux, tous abondamment poilus. Il suait, exhalait d'abominables odeurs, ressemblait à une insignifiante boule de graisse, croulant sous le poids des impôts et des dettes, rongé par une montagne de regrets et de haine. Alors, il refusa tout ça en bloc : il nia l'inexorable logique du poil.
    Au comble du désespoir, il partit en courant s'enfermer dans la salle de bain, prit des ciseaux et coupa, s'écorchant la peau à certains endroits. Il coupa jusqu'à laisser tout ça en friche : le sang coulait, séchait et formait d'immondes croutes sur les poils raccourcis et sur ceux qui s'aggloméraient pour former de petits tas en vrac, tenant grâce aux humeurs suintant des plaies. Rapidement, il se rendit compte que jamais il ne parviendrait à une perfection même partielle en agissant de la sorte. Au fond de lui, il désirait atteindre le même niveau d'artifice que les mannequins des magazines de mode, il n'avait jamais eu aucun autre projet. Toute sa vie avait été construite sur le postulat qu'il était parfait physiquement, le reste de sa personne : cerveau, cœur, âme, ne l'avait jamais préoccupé, or son aspect le protégeait de son vide intérieur. Ébranlé dans ses certitudes, il devait, pour la première fois de son existence, se confronter à ces démons. L'obsession d'être beau s'empara de toute sa résolution. Il se précipita dans la cuisine, chercher un de ces gros couteaux dont maman se servait pour dépecer la viande.
    Il se barricada à nouveau dans la salle de bain et commença un rituel mystique d'auto-flagellation. Il partit de la base du genou et éplucha une fine bandelette d'épiderme jusqu'au pied. Il hurla de douleur mais continua, possédé par une ivresse quasi-religieuse. Il se charcuta ainsi tout le tour du mollet, puis l'autre et le sang coulait et les bandes de peau s'amoncelaient. C'était un extrémiste, à la recherche de l'esthétique parfaite, alors il poursuivit son horrible besogne, toujours beuglant de souffrance, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un coin de peau sur tout son corps.
    Arrivé au niveau du cou, il dérapa et trancha la carotide. Une violente hémorragie noya toute cette souffrance.