Massacre à l'hospice

Le 11/10/2009
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par Traffic
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Thèmes / Débile / Divers
Le sujet est valable : les vieux qui ont dépassé la date de péremption et continuent à vivoter à l'état de légumes jusqu'à extinction. Logiqment, le personnage est un infirmier meurtrier qui décime ses patients de manière plus ou moins amusante. Mais c'est pas creusé, pas très imaginatif. Le texte survole vite fait le problème et nous frustre de scènes outrancières pour se marrer correctement.
50.
Au bas mot.

Le chiffre est rond.

Un franchissement, le début d'une vocation.

50 offices. 50 cercueils sans fioriture aussi, le modèle par défaut proposé par l'établissement. Le bas de gamme au prix fort. Les familles se voient défalqués le prix sur le solde de tout compte comme dans la tradition discrète des transactions bourgeoises.

Je fais marcher un certain commerce, les héritages pleuvent, je m'amuse. Il n'y a que des heureux.

50, donc. Le chiffre est rond, c'est un bon début.

Je suis devenu l'infirmier thérapeutique de la maison médicalisée des Cigales du midi durant le mois de mai 2002, celui de la canicule. C'est un lieu bucolique. Le processus d’extinction y est considérablement avancé.
Je ne suis qu'un maillon accélérateur parmi tant d'autres.

Je fais mon job.
Pour être franc, je ne m'étais jamais connue de prédisposition à m'incarner en tueur en série de service gérontologie. Dans l'ennui d'une région languedocienne pleine de langueur, on ne prétend de toute façon à rien de précis. Le destin m'avait conduit à accepter cette proposition d'un emploi d'infirmier thérapeutique. On m'avait expliqué que c'était un plus un prof de sport pour ce genre de boutique. Un individu dépourvu du moindre talent suffisait amplement à planter deux légumes devant une wii en salle de vie. Moi ça m'allait. 1300 euros net, c'était déja ça.


Amener des vieux à l'effort physique pourrait être hautement comique si ce n’était si déprimant. L’être humain dans sa phase de déliquescence terminale n’est que l’expression de l’impossibilité des choses qui régit tout au long de son existence. On trouve là l’exacte réalité que l’on craignait tout le long, à savoir que nous n’avons rien réussi et que rien n’était vrai.

En cette époque de réforme politicienne, j'aurai trouvé acceptable que l'on nous propose un contre remboursement sur le troisième âge. Un peu comme si l'être humain jouissait d'une consigne, les héritiers se seraient vu proposer les vingt cinq ans de retraite en échange de l'élimination de ses ancêtres désormais inutiles. Près d'un million d’euros par tête en considérant les soins terminaux. Fini la loterie des héritages et les disputes de famille. Chacun prendrait soin de son petit papa jusqu'à sa date de péremption, et oui.

Je n’avais aucun moyen de convaincre l’humanité du bien fondé de ma pensée mais par logique, je m'étais lancé dans l’élimination régulière des vieux humains dont j'avais la responsabilité. Un truc de maison de retraite bien connu est que l’on peut faire mourir un pensionnaire simplement en éloignant son plateau repas de son fauteuil. J’avais poussé l’expérience jusqu'à calculer l’exacte distance qui permettait de vérifier la justesse du propos. C’est en plaçant un plateau repas à plus de trois mètres quatre vingt d’un vieux qu’il renonçait à se nourrir. Jusqu’à deux mètres, il essayait de fournir l’effort. Dans la fourchette de deux à trois quatre vingt, ça dépendait du croulant. A partir de trois mètres cinquante, terminé, plus aucun ne tentait le coup. En quelques semaines, une maladie se déclarait et il mourrait en paix dans son lit.

J’en avais fait dix en six mois comme ça. J’étais content comme on s’égaie d’une technique qu’on commence à maitriser.

Un jour j'avais décidé qu'un des pauvre vieux méritait plus qu'un autre de passer de vie végétale à trépas. Cette fois, nulle méthode incantatoire mais du neuf. Un peu de créativité que diable. Sa qualité de nuisible, ma proie la devait à son faciès qui me rappelait un peu trop celui d'un sale prof d’Anglais que j'avais subi au collège. La même face en couteau, les mêmes postures avec les bras toujours le long du corps. La même expression de dégoût quand je m’adressais à lui en souriant. Le petit plus était qu'à présent il faisait des micro mouvements de sa bouche mille fois par heure et que ça lui faisait déglutir bruyamment sa salive et que c’était insupportable en fait. J’avais choisi de lui faire vivre une petite expérience. Après qu’il se soit endormi, à l’aide de ses pilules, je l’avais transporté précautionneusement au deuxième étage de l’établissement. C’était pleine nuit, trois heures du matin. Tandis que je l’observais depuis un renfoncement sombre, il s’était réveillé hagard et ne comprenant rien du tout, il avait commencé à se diriger vers l’escalier d’un pas tremblottant. Comme iil essayait de progresser, je l‘avais poussé d‘un geste sec et je l‘avais regardé chuter. Cloué au sol dans une position impossible de cafard renversé, cassé en quatre ou cinq segments, il chouinait faiblement, consacrant plutôt ses efforts à prendre un semblant de respiration. Malgré le spectacle jubilatoire, il était temps de s'éloigner en sachant que son cœur ne tiendrait pas jusqu’à ce qu’on vienne le secourir.

Le lendemain c’était l’effervescence. Mr Julien avait succombé à une crise de somnambulisme. Il avait du grimpé les escaliers avant de faire une mauvaise chute. De l'avis général, les croulants, fallait les attacher. Certains infirmiers ne se gênaient pas et d’autres n’osaient pas. Moi, j’avais filmé toute la scène avec une caméra nocturne. J’étais à moitié satisfait du résultat, la chute était désagréablement brouillée mais par contre le plan fixe sur le regard vide et effrayé du pépé était réussi.

La seconde fois, je m'étais occupé d'une dame très gentille. Les gens l'appréciaient bien qu’elle ne se rappelât jamais de son nom, ni de rien du tout. En fait, Madeleine avait eu une vie extraordinaire, très enviable, son premier mari avait été un artiste à la renommée internationale. Après qu’elle fut devenue sa veuve, elle était devenue la maitresse d’un riche industriel italien qui lui avait transmis une belle somme avant de se faire happer par un entourage de rapace.

Aujourd’hui, la seule passion qui restait à Madeleine était celle des chats.

Elle les pourchassait du regard dans le petit parc. Ses mouvements ne lui permettaient pas d’en toucher mais on sentait qu'au fond d'elle, elle en gardait le rêve.

Un matin, j’étais venu la chercher dans sa chambre afin de la conduire au petit lac derrière le bâtiment. Il n’y avait pas à dire, on les tenait clos dans des lieux splendides. Le décor justifiait le prix scandaleux que l’on soutirait à leur famille. Pour réaliser mon coup, j’avais pris soin d'enfermer six gros chats sauvages depuis trois jours dans un petit réduit de jardinage. Ils étaient comme des fous. Je l’avais fait juste pour elle puisque son désir était de les approcher au plus près.

« Venez Mamie; Venez voir il y a des chats dans ce petit abri, on les voit bien, regardez. »

Ca puait la merde et l’urine mais les vieux ont l'habitude de cette senteur si familière. Elle s’approchait du petit cabanon sans trop comprendre, se fiant à moi. Elle allait bientôt voir son vœu exaucé. Six beaux matous juste pour elle. J’ouvrais très rapidement la porte et je la poussais à l'intérieur. L’attaque fut vive et féroce. L’intrusion de la mamie, ça faisait comme quand on pose une assiette de tapas à l’apéro. En moins raffinée, en plus tendu.


Je laissai la petite compagnie en l'état. Le jardinier la retrouverait un peu plus tard. Elle ne se souviendrait pas comment elle était arrivé là mais ce qui était sur c’est qu’elle n’en aurait plus pour longtemps. Griffée, mordue, stigmatisée au delà du raisonnable. Il n’y avait plus rien à faire, on n'opérait plus à cet âge. Deux jours, une semaine lui suffiraient pour nous quitter.

Ce n’était pas par sadisme que je les faisais disparaitre mais dans le simple objectif d’interrompre ce qui n’avait plus aucun sens. Comme on éteint la télé quand le programme est fini.

Dans certaines tribus africaines, les ancêtres étaient sacrifiés pour la survie des jeunes. Il n’y avait pas à manger pour tous. Les vieux permettaient à certains virus de s’installer également. Leurs corps étaient brulés selon de chouettes rituels.

Trois mots permettaient de donner un peu d’intérêt à l’existence. Liberté, espoir et plaisir. Aucun ne s’accordait avec grabataire. Parmi mes victimes la plupart avait dit en leur temps « si je deviens comme ça, tuez moi » avant d’éclater d’un rire carnassier. Je les avais toujours trouvé contradictoires, les gens.



La journée du dimanche s'était bien passée et j’avais prévu en guise d'apothéose de mon projet de faire descendre Augustine et Albert dans la salle de loisirs. Ces deux cochons là allaient s'en payer une belle tranche. J'avais substitué aux médicament pour le coeur d'Albert une bonne poignée de Viagra. C'était une expérience à l'issue intéressante : crise cardiaque ? érection ? J’espérais pour le spectacle qu’il se lancerait à l'assaut d'Augustine comme un fou furieux. En vidéaste averti, j'escomptais filmer une version de Roméo et Juliette qui ne dépareillerait pas l’originale. Augustine était une mamie super frêle. C’était une de ces vieilles branches desséchées comme on en voit parfois dans les marchés ou les bus. Elle parlait toute seule. Elle avait perdu son esprit dix ans en arrière. C'était le cobaye parfait.

Il s’agissait là d’un de mes merveilleux concepts. Comme si maintenant, je commençai vraiment à atteindre l’excellence. Je montrais de l’audace. Ca confinait probablement à l'artistique.

Je m'apprêtais dès lors à jouer les Spielberg caméra à la main lorsque j’aperçus la directrice dans l’entrebaillement de la porte.

Elle était interloquée. J’imaginai le tableau : moi avec la caméra, Albert, tout rouge, qui commençait à essayer de monter sans érection une Augustine qui ne comprenait rien.

« J’ai appelé la police. »

Ces mots on signé ma reddition. J’ai abandonné presque aussitôt, c’était trop tard. Tant pis, mes petits pensionnaires n’auraient pas leur dernier plaisir. La directrice continuait de me darder d’un regard qui n‘arrivait pas à y croire.

« Mais pourquoi faites vous ça ? C’est juste horrible… »

« Absolument pas. »

Je me sentais différent, j’avais une lueur au fond des yeux. J’avais encore la force d’essayer de tout expliquer. Je craignais que cela ne dure pas très longtemps. Je n’avais jamais été très adapté aux joutes oratoires.

« Absolument pas, au contraire. Ca prouve qu’il faut un but dans la vie. Même pour eux. Vous aimeriez qu’il ne vous arrive plus rien dans votre vie ? Qu’à compter de ce jour vous n’ayez plus qu’à occuper un espace vide. Vous aimeriez ? «

Elle ne semblait pas vouloir me répondre. Je me sentais déjà flancher.

« Remarquez peut-être que pour les gens apaisés, c’était une bonne chose ces années qui défilent dans le vide et l’absence. »

Je pris conscience que j’étais peut-être un monstre, que ce que j’avais accompli par jeu et que je n’aurai jamais pu effectuer sur quelqu’un de viable était peut-être grave. Je n’en étais pas du tout sûr, attention. Je ne savais pas.

La sirène résonnait à l’extérieur. Je ne finirai pas comme ces pauvres gens. Sans doute qu'un caïd de zonzon viendrait s'occuper de mon cas. Tout ça sentait le moisi.

J'ai jeté un dernier coup d'oeil à mon univers et je constatais avec perplexité qu'Albert s'était mis à bander.