Un mariage de raison

Le 09/11/2009
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par Nicko
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Le premier texte de Nicko avait laissé une impression mitigée. Celui-ci est mieux. Plus marrant, plus zonard. On reste dans le registre rural, mais l'histoire est plus simple et plus intéressante (quoique peu originale) : celle d'un paysan et de sa femme qui se déchirent. Faut quand même réussir à se frayer un chemin dans le style qui se veut soutenu mais n'est que lourd, entre les phrases à rallonge et le registre de langage mal adapté. C'est un peu le parcours du combattant.
C’était au sein d’une petite bourgade perdue, sise sur la croupe d’une colline où paissaient plus de ruminants qu’il n’y avait d’humains pour les traire, qu’un petit couple de vieux fermiers, depuis plus de quarante ans, avait vécu ensemble sous les liens sacrés du mariage, donné naissance à sept enfants, vu ces enfants, les uns après les autres, les quitter pour « la ville » et n’attendait en fait, avec une certaine impatience, plus que la petite dernière s’en aille, une fois en âge d’aller gagner sa vie toute seule, pour se séparer enfin l’un de l’autre et courir, tant qu’il était temps, chercher un peu de bonheur ailleurs. Sur le chemin de cette nouvelle vie, Josette avait une longueur d’avance sur Marius. Elle s’acoquinait depuis longtemps, parce que son travail le lui permettait après lui avoir fourni l’occasion de le rencontrer, au plaisir de voir Barnabé, tout aussi fermier lui aussi, mais plus jeune, avec un regard qui s’allumait pour elle quand celui de son mari s’était éteint depuis longtemps.
Aussi, malgré leur accord préalable, Josette avait-elle avancé la date butoir et quitté le domicile peu après les treize ans de Julie. A proprement parler, il n’y avait pas eu de scène. Comme Marius n’avait pas à être déçu d’une décision qu’il connaissait déjà (tout au plus était-il surpris de la date de l’annonce), il avait simplement soufflé, plusieurs fois de suite, puis, sans faire de chichi, il avait accepté de régler sa montre pour se mettre à l’heure de sa femme. « Je ne te retiens pas », lui avait-il dit. Et c’était vrai qu’il ne la retenait pas. Josette ce n’était plus ce que c’était. S’il avait été obligé de comparer entre la femme qui voulait s’en aller et celle qui d’abord était venue, qu’aurait-il pu trouver de commun ? La femme dont il avait demandé la main bien jeune et dont les joues et les seins fermes lui avait alors fait tourner la tête n’était plus qu’une vieille peau, une sorte de miroir indécent, dont il préférait détourner ses regards… Sans doute aimait-il toujours Josette quelque part, ainsi qu’on le dit sans en être sûr, mais ce n’était plus qu’une vulgaire affection, une prime à l’ancienneté, et d’ailleurs Marius ne la ressentait plus sinon qu’au concours d’un souvenir heureux, comme ça arrive, de temps en temps. « De toute manière, dit il, on ne s’est plus touché depuis trop longtemps… » Il se grattait la tête comme pour y glaner ce souvenir souhaitant ainsi montrer les défaillances subies par sa mémoire, bien qu’en réalité il s’en souvenait parfaitement. Josette, de son côté, pensait que ça faisait quatorze ans, et l’arrivée de la petite. Marius leva les yeux sur elle et resta sans mot dire. Cette vie platonique en montagne, sa femme n’avait su s’y résoudre. Elle était allée voir ailleurs s’il y avait quelqu’un. « C’était il y a onze ans », lui rappela-t-il. Il dut revenir sur cette nuit-là, comme elle ne s’en souvenait plus, et qu’elle était venue à lui un peu éméchée et joyeuse alors qu’il faisait froid, et comment ils avaient passé le temps, cette nuit d’hiver, à se réchauffer sous les draps.
Evidemment, avant de partir, Josette eut un remords. Il ne lui paraissait pas honnête de cacher chez qui elle allait. Bien que cette idée ne l’ait jamais effleurée pendant que, livrant le lait, elle offrait aussi bien ses miches à Barnabé, maintenant qu’elle partait vivre avec il lui semblait moralement commandé de l’avouer à son mari. « Ah bon, c’est Barnabé ? Mais il n’a pas une femme ? -Il l’a échangée contre une vache parce qu’elle ne lui avait pas donné d’enfants » Secoué par cette nouvelle-là, Marius ne tint pas à en entendre plus. Il fit ses adieux à sa femme et la regarda partir. Josette marcha dans le jardin en direction de Julie. Elle l’embrassa longuement et disparut dans sa voiture, d’une conduite nerveuse et hachée, selon son habitude.
Les jours et les semaines passèrent ainsi, et Marius n’avait pas trop l’occasion de regretter Josette. En ce qui concernait les tâches ménagères, sa charge n’avait pas augmenté puisque Julie avait pris le relais de sa mère ; au sujet de la cuisine, elle était un vrai cordon bleu ; la nuit, il pouvait enfin s’étaler vraiment dans un lit qu’il ne partageait plus ; enfin, à cet âge où tout change, pousse puis se développe, personne ne lui tirait plus son oreille quand il regardait la petite, avec plus d’attention, d’amour, qu’il ne faudrait. « Tu veux que je te fasse un massage dans le dos, papa ? », lui demandait-elle quand il rentrait des champs. Et ses dix petits doigts qui lui courraient dans le dos, forçaient, s’enfonçaient, malaxaient, et il les accueillait favorablement comme certains amis lui rendant visite, et qu’il savait ne jamais venir les mains vides.
D’infortune, Marius, un jour qu’il avait perdu deux bêtes d’un mal inconnu, avait trouvé une lettre des avocats de sa femme juste en rentrant chez lui. Julie, brave petite fille, la lui avait placée en évidence sans l’avoir décachetée. Il ouvrit l’enveloppe et lut toute la missive. « Les merdes, quand elles arrivent, se tiennent toujours en escadrille. » Par l’intermédiaire de son avocat, sa femme réclamait, selon l’usage, la moitié des biens du couple. Mais, ce qui lui fit perdre la tête, c’était qu’elle demandait aussi à récupérer la moitié de ses outils agricoles.
Marius alla alors dans son garage, sortit une scie d’un de ses tiroirs, prit de la corde et revint dans le salon. Il appela plus tard Josette pour qu’elle vienne prendre ce qu’elle avait souhaité gagner au jeu du divorce à venir, et qui lui revenait de droit. Quand celle-ci arriva, elle fut prise d’un effroi fatal. Marius avait en effet tout scié en deux. La table de la cuisine comme chaque chaise et les livres, en passant par les lampes de chevet et tous les meubles de la maison, tout était scié en deux. Marius, dans la cuisine, était en train de préparer des toasts.
-Mais qu’est-ce que tu as fait ? se mit à crier Josette, hystérique.
-Ne le prends pas comme ça, lui répondit Marius. Je t’ai préparé ta moitié, comme tu me l’as demandé. Tiens, j’ai fait quelques toasts pour fêter le divorce. C’est du foie gras.
Josette, interloquée, mais qui avait toujours du goût pour les bonnes choses, s’empressa d’en attraper un et l’avala sans plus de façon.
-Il a un goût bizarre, dit-elle.
-Oui mais tu trouves ça bon ?
Après en avoir mangé un deuxième, pour ne pas s’avancer à dire n’importe quoi, Josette admit que ce foie gras, malgré cette variante de saveur jusqu’alors inconnue pour elle, était tout de même très bon.
-C’est du foie gras de Julie.
D’une vive remontée mécanique, Josette cracha par terre ce qui était la chair de sa chair, pendant que Marius lui expliquait comment certaines parties du corps ne s’y pouvaient trouver en double et qu’il convenait donc de les partager de la sorte. « Elle n’était pas grasse la petite, mais ça a quand même un peu de goût. » Josette continuait de cracher, lâchant quand elle y parvenait, entre deux filets de bave, les injures les plus dégueulasses. Enfin, une fois son malaise terminé, elle se jeta sur son mari pour le rouer de coups. Celui-ci encaissa, sans broncher pendant quelques temps, puis l’envoya valser au sol d’un revers brusque de la main droite.
Josette, un peu tremblante, rampait, sous le regard de Marius, vers la porte de sortie. Il avala un dernier toast puis, prenant son fusil de chasse, la rejoignit dehors. Josette s’était relevée et, après s’être brièvement retournée, commença à courir vers sa voiture. A ce moment-là, Marius la mit en joue et lui tira dans le dos. Un voisin qui passait, surpris par la détonation, demanda ce qui se tramait là en voyant Josette agonir au sol. « C’est ma femme », dit Marius. Cette parole faisait autorité. D’ailleurs quand d’autres personnes arrivèrent, ce voisin les calma en expliquant que c’était « sa femme » et que tout cela ne les regardait donc pas.
Marius traîna sa femme dans sa maison, puis après l’avoir découpée, la mit dans la cheminée et la fit brûler au côté de sa fille, morceau après morceau. Une fois qu’elles furent toutes deux en cendres, Marius se servit une rasade d’eau de vie. Il se souvint qu’ils l’avaient faite il y a déjà longtemps, sa femme et lui, et quelle réussite ça avait donné. Alors, prêt à tout affronter tout seul, il se trancha la gorge à l’aide de sa scie à métaux et s’écroula pour mourir une minute plus tard, tandis que les sirènes de police retentissaient au loin.