Le chien vert

Le 30/11/2009
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par Erreur
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Thèmes / Obscur / Psychopathologique
On avait pas encore pu voir ce dont Erreur est capable en termes de fiction : c'est chose faite avec ce bad-trip inquiétant, et ça vaut le coup. C'est un genre de Fantasia de camé, avec des bouts d'hallucinations incongrues qui déboulent de partout, comme si de rien n'était. Le narrateur ne maîtrise plus grand-chose : pulsions irrationnelles, élans de panique, réactions inappropriées... Derrière les hallus plutôt amusantes se cache la description d'une perte de contrôle d'un mec sur son univers et sur lui-même. Quelque chose que connaissent les utilisateurs d'hallucinogènes.
J'étais tranquille, peinard avec mon Jack, quand le chien vert est entré dans la pièce et a commencé à s'installer comme ça, là, pépère, rien à foutre, vas-y que j'te fous les pieds sur la table basse et compagnie. Bon, moi, je sais qu'on me reproche souvent de pas être cool, d'être le pisse-froid de service, le mec un peu chiant qui casse les délires sociaux, donc je décide de faire un effort et je lui propose une bière. Sur ce, le clebs me demande si ça me branche de taper une trace, mais il a déjà commencé à préparer les lignes sans attendre ma réponse. Je dis que ouais, à contrecœur, comme d'habitude. Pas du fait que le chien soit vert, mais j'ai beau avoir trente ans, je suis resté marqué par cette croyance Walt Disnesque que le bonheur est possible sans drogue. Cela dit, pour l'heure, je n'étais ni défoncé, ni heureux.
On a donc tapé les traces. J'ai rapidement senti une amélioration générale de mon humeur, tout en ignorant ou est ce que mon plaisir plongeait ses racines. J'suis pas assez habitué à ce genre de truc pour comprendre exactement pourquoi je me sentais bien, surement une histoire de réglage de la motivation, quelque chose dans le genre. Quoiqu'il en soit, le chien, ça n'avait pas l'air de l'avoir changé, et il s'est levé et il a ouvert le frigo pour prendre d'autres bières. Seulement voilà, la porte grande ouverte, il a commencé à se masturber dans la lumière et le froid. J'ai rigolé. Il m'a dit amène toi. Là, j'ai hésité. Il m'a répété : amène toi j'te dis. J'me suis levé et j'ai regardé dans le frigo. Il y avait des biyatchs, des asiatiques à gros nichons. Le chien a recommencé à s'astiquer, moi je regardais les chonkes, bon, j'étais surpris et ça m'excitait. J'ai commencé à me tripoter la nouille mais elle était petite comme un macaroni flétri, genre, l'inverse d'une érection. Finalement je suis retourné m'assoir dans le canapé, j'ai pris un fond de bière que j'ai fait mine de boire mais elle était vide. Le chien est revenu s'assoir en face de moi, il s'est massé les tempes et puis d'un coup il m'a regardé d'un air agressif. "T'es une merde", il a dit. J'lui demande : "quoi ?". Il répète : "t'es une merde". Il s'allume une cigarette. Je sentais un genre de panique emballer mon cœur comme un bout de cellophane tout serré, avec quelqu'un qui tirait dessus, et mon coeur, pour se défendre, il battait fort, fort, de plus en plus fort, mais pas plus rapidement, juste plus fort, comme s'il allait gonfler et exploser sous ma poitrine. Je me suis levé et j'ai pris mon téléphone portable, il fallait que j'appelle quelqu'un, quelqu'un de rassurant. J'ai fait défiler les noms de mon répertoire , mais entre les ex que j'avais perdu de vue et les potes que j'imaginais sagement dans leur lit avec bobonne, je n'avais confiance en personne à qui témoigner ma détresse.

Le chien vert était toujours dans le canapé, mais à présent il avait le torse criblé de balles, et un filet de sang coulait de sa gueule. Je n'avais pas entendu de coups de feu, d'ailleurs, il n'y avait jamais eu personne d'autre que nous deux. Il ne bougeait plus, cependant il n'était pas mort : son cœur battait toujours. Une subite envie de l'embrasser me saisit et je n'y résistai pas. J'ai senti ses dents dégueulasses de chien vert, avec leur forme pointue, inhumaine, et son haleine puante, sa longue langue gluante et tiède. Une sensation de dégout parvint à percer mon insensibilité notoire: afin de reprendre un peu la main sur mes émotions, je décidai de lui crever les yeux avec l'index et le majeur de ma main droite, chaque doigt pressant respectivement l'intérieur de chaque globe oculaire jusqu'à ce que les yeux éclatent dans un blanc d'œuf surréaliste. J'en avais un peu sur les mains. A présent, il avait l'air mort. Son cadavre ne valait plus rien, c'était juste un clebs crevé dans mon canapé. Je me suis demandé si je comprenais quelque chose à la vie, la mort, au monde moderne ou passé. Je me suis mis à chercher le flingue négligemment, sous les coussins du canapé, sur la table basse, des fois que je pourrais m'en coller une petite au milieu du crâne avant d'aller dormir.