Je règne sur l'Ossuaire

Le 08/02/2010
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par Josh
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Thèmes / Obscur / Litanie
Oh, de la necro-evil littérature avec des ossements, des damnés en soldes et de la pozézie en prose qui swingue, qu'on dirait des lyrics de black-metal. Et c'est même pas (trop) cliché. Ca a pas l'air de vouloir dire grand-chose, mais suffit de se laisser porter par le flow du MC grimé pour savourer ce moment de détente funèbre. Carrément trop long par contre, pour un texte qui raconte rien. Un texte bon à hurler au fond d'une forêt nocturne norvégienne. Et rajoutez-moi une louche de peinture N&B sur la gueule, bordel.
Et ça rampe.
Et ça s'entrechoque.
Ca s'entremêle.
Ca crisse.
Et grince.
Ca glisse et se brise à la fois.
Des millions de raclements lancinants et simultanés, le coeur d'une seule voix désincarnée.
Du mécanique. Ou du chaotique.
Du cyclique. Ou de l'aléatoire.
Mon trône est une tour blanche au millier d'yeux, qui se dresse dans un océan d'ossements, qui fluent, refluent, s'écrasent en vagues et moussent jusqu'à mes pieds, eau tranchante aux milles reflets d'argent.
Un noeud de serpents, hérissé de clavicules, de phalanges, de cartilages tranchants et luisant d'écailles d'os divers, sous un soleil froid qui ne se couche jamais.
Et ça rampe.
Et ça s'entrechoque.
Ca s'entremêle.
Ca crisse.
Et grince.
Ca glisse et se brise à la fois.
Autour de moi. Unique et complet, seul, souverain et emprisonné à la Surface.
Car je règne sur l'Ossuaire.
J'ai plusieurs fois entrepris de compter mes os pour rompre l'écrasant ennui de ma royale condition, et, à chaque vertèbre, à chaque clavicule et rotule, la sournoise lassitude palpite dans ma poitrine vide. Le bruit sec de mes phalanges raclant sur mes innombrables côtes.
Klak
Klak
Klak

Klak

Klak
Le crâne oscillant légèrement, les orbites qui s'assombrissent toujours plus, consternation laconique, celle qui dépasse depuis des siècles les pensés cyniques, éphémères, et témoignant d'une existence encore trop persistante de tout sens critique, de toute plainte, de toute souffrance.
La mâchoire qui descend et remonte, toujours plus vite, toujours plus brusquement, les dents qui se brisent, puis se reconstituent aussitôt. Car tout renaît de la poussière.
Ma couronne froide qui murmure ses psaumes sifflants, de tout ses joyaux, un pour chaque âme, mais que je n'écoute plus depuis bien longtemps.
Quand je ne fixe pas le soleil, cette orbe bleue qui irradie mes cartilages saillants d'une lumière glacée, je porte un oeil morne aux ondulations de surface, aux variation de sens, aux regroupements majeurs, aux Grands Flux.
Ce Grand Noeud dont je ne vois plus que la Surface, et en son centre, cette spirale de damnés qui s'enfonce en cercles concentriques autour de mon trône.

Le mouvement perpétuel. Dans toutes les directions. Je l'ai observé d'en haut et l'ai vécu d'en dessous.
Tous s'accrochent à d'autres, en croisant leurs côtes, en nouant leurs ligaments, quand il leur en reste.
Ceux qui peuvent se déplacer seuls sont rares. La plupart d'entre eux cherchent à se compléter grâce à d'autres. Ici-bas, ils sont tous mendiants, quêteurs et charlatans, compromis et concessions désespérées. L'on partage un enfer trop palpable pour mieux atteindre un salut bien plus immatériel.
Ceux qui sont pourvus de bras ou de jambes ont le plus de chances de créer des flux, et c'est au dépend de leur nombre que ces flux s'épaississent et s'allongent plus que d'autres.
Certains progressent par deux. L'un fourni une jambe ou un avant-bras, l'autre ses rotules ou ses mains, et ils se faufilent plus rapidement, mais s'usent tout autant. Plus l'on s'enfonce, moins les concepts de vertical et d'horizontal ont de sens, pas plus que la droite et la gauche.
Le mouvement perpétuel. Dans toutes les directions. Dans le chant des Fragments qui s'articulent entre eux, se heurtent et se broient, cantique aigu ou grave, qui grogne et qui grince, avalanche symphonique, humide de sang et de chair, sèche d'os et de cendres.
Se croiser, s'accrocher, s'agrandir, avancer, se laisser trainer.
Ou rester unique et statique, s'enfoncer dans le Fond de l'océan, l'Infini Sédimentaire, rejoindre ceux qui y ont sombré auparavant.


En premier, il y a eu un éveil. Puis un désir. S'arracher du charnier. Ramper, non pas pour continuer à exister, et ainsi mieux se dissoudre, comme tant d'autres. Mais ramper vers la lumière, pour se libérer des profondeurs.
En sortir, mort et à vif.
Un but, un désir. Un désir, alors qu'ici tout n'est qu'obstination, que désespoir.
Celui d'un grain qui se moud lui-même. Encore et encore, dans un long cercle, dont les profondeur hurlent jusqu'à la surface.
Aux premiers âges de ma conscience, je frôlais le Fond Infini. Là où tout est sombre, où l'on est écrasé par les mouvements des niveaux supérieurs, là où ruissèle la poussière de kilomètres d'os qui s'effritent les uns contre les autres, leurs particules ensevelissant les niveaux inférieurs.
Là d'où chacun veut partir et où personne ne veut retourner.
Nouveau Né. Tu émerge de L'Infini Sédimentaire. Immaculé. Parfait.
Eveil. Il fait froid. Tes yeux sont clos, mais tu les sens, tu les vois, ces milliers de lames croisées dans ton dos, sur ta poitrine, qui griffent tes membres et les enserre dans un étau lacérant. Ces milliards d'aiguilles prêtes à te percer de toute part. Tu ouvre les yeux. Ils sont aussitôt crevés.
Le fond est immobile, mais se tasse de plus en plus. Tu va finir noyé dans la poussière, tu le sais, cette vérité à déjà pénétré tes narines, ta gorge, tes poumons et te ronge l'estomac. Elle HURLE dans tes viscères. Tu dois bouger.
Si tu bouge, la peau de ton ventre, tendue comme un fruit gorgé de jus, se déchire sur les épines, et déballe tes intérieurs encore neufs. Si tu reste immobile, tu sombre.
Si tu bouge, tu est épluché, couche par couche, jusqu'à ce que tu devienne Sédiment.
Valse, valse, les muscles écorchés, la peau en lambeaux.
Dans cette danse macabre, l'on finit vite nu.
Jusqu'à l'os.
Les chairs s'arrachent, se mêlent, pourrissent en choeur, putrides et miasmiques émanations qu'elles exhalent jusqu'à la surface. Ce sable poisseux qui s'infiltre partout, qui remplit les orbites creuses et les aspérités poreuses, qui fait glisser les Fragments, les noie et les use, l'aura organique des Grands Flux, l'huile de la mécanique.

Parfois, lorsque l'océan se calme, et cesse d'onduler, lorsque les profondeurs respirent, et cessent de concasser, parfois, l'Ossuaire discute. Les murmures incessants, les dents qui claquent frénétiquement, les fémurs qui s'heurtent en rythme.
Ecoute.
La voix des côtes, le chant des vertèbres,
qui grincent et cèdent,
l'une
après
l'autre.
Dans le tonnerre permanent des fractures, on chuchote parfois que tout vient d'en haut, au delà de la surface, où que tout vient d'en bas, au delà du Fond Infini, du Sédiment d'Êtres. L'on viendrait de là où l'on disparait ensuite. D'où l'on renaîtrait à nouveau, encore et encore.

Mes facultés de contrôle et de coordination m'ont permis de d'appâter d'autres Fragments d'Êtres. De leur promettre de gagner la Surface, puis d'écraser leur volonté résiduelle et m'emparer de ce qu'ils sont, des pièces détachées. Même à la cour des cadavres, la séduction obséquieuse et l'intrigue mesquine sont de rigueur. J'ai progressé puis chuté des siècles durant, des millénaires peut-être. J'ai parasité les Flux Mineurs puis Majeurs, me suis nourrit d'eux, de strate en strate, de colonne en colonne, de niveau en niveau. Une masse cancérigène à géométrie variable. Et mon chant a couvert tout les autres, du Fond jusqu'à la Surface.
Ma croissance est devenue rapide, sure, implacable. Mes dizaines, puis mes centaines et enfin mes milliers de bras et jambes, guidés par mes innombrables crânes aux orbites vides et froides, ont brassé le Grand Noeud, et en ont longtemps cherché la Surface, mes vertèbres s'étendant et s'enroulant sans fin. Une faim tentaculaire.
J'assimilais des volontés résiduelles, j'accumulais leurs souvenirs.
Des impressions, des ressentis quelque peu différents, de négligeables variations de parcours. Le sentiment lointain d'avoir cherché à progresser ailleurs.
D'en avoir chuté, de s'être dissous et reconstitué quelque parts, quelque temps, et d'être remonté ici, dans le Grand Noeud. Un ailleurs horriblement semblable au Grand Noeud. Deux ossuaires, tout deux surmontés d'un ciel de verre, et un compost de transition au milieu.

Un Sablier Cosmique, dont le contenu, la poussière du possible, celle qui vient de la fin de tout et qui donnera naissance à tout, filtre du haut vers le bas, comme du bas vers le haut. La grande blague sinistre, celle du cycle infini, du Grand Vide au Grand Tout, qui s'avalent et se crachent mutuellement.

Par ennui, j'ai une fois séparé mon peuple en deux armées, et les ai envoyés s'affronter dans une collision stridente de millions de presqu'Êtres s'écrasant les uns contres les autres. Les profondeurs en ont gémit. Et le ciel s'en est déchiré.
Et je l'ai vu. Son Oeil. Derrière la voûte funeste, froissée et brisée. Son Oeil amusé. Rieur. Moqueur. Dans l'Empire éthéré qui nous écrase de ses vapeurs immatérielles. Bien trop subtil, bien trop supérieur, au point que ma couronne vacille à chacun de ses sourires, à chacune des ses grimaces.
N'ai-je pas été suffisamment puni pour m'être extirpé des chairs déchirés, de leurs épines blanches et saillantes?
N'ai-je pas été suffisamment puni pour avoir arraché quelques unes de vos étoiles à ce ciel factice et impassible, promesse inaccessible d'un au-delà moins cruel?
A ma pauvre prière, l'Oeil fut amusé, rieur et moqueur qu'il est.
Le ciel a cicatrisé aussitôt, l'ossuaire s'est remit à grouiller, à se disloquer et à se contracter, car tout renaît de la poussière.
Et ça rampe.
Et ça s'entrechoque.
Ca s'entremêle.
Ca crisse.
Et grince.
Ca glisse et se brise à la fois.
Autour de moi.
Ces flux qui charrient mon être.
Unique et complet, seul, souverain et emprisonné à la Surface.
Car je règne sur l'Ossuaire.

Car je suis le rouage dominant d'une mécanique aléatoire et pourtant cyclique.
Car je suis un grain de poussière, dans un Univers Sablier.
Un Univers Sablier, qu'une Main capricieuse retourne à sa guise.
Encore.
Et encore.