Bahamas split – 1. Il n’y a que la maille qui m’aille

Le 27/02/2010
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par Lapinchien
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Rubriques / Bahamas split
Expérience de texte à épisodes. Les deux premiers volets plantent le décor, les chapitres suivants sont sensés être écrits en prenant en compte (ou pas) l'avis du lectorat qui tentera d'infléchir l'issue du récit dans le forum Facebook laboratoire créé pour l'occasion. http://www.facebook.com/pages/Bahamas-split/307447269386
Quand j'ai débarqué à Freeport, Grand Bahama island, imperturbable et droit dans mes baskets, je me sentais fort et puissant. J'avais un plan en tête, un plan bien précis, un plan qui devait m'assurer un avenir radieux. Il suffisait que je ferme les yeux pour me projeter dans le futur, imaginer l'argent couler à flots, ces femmes longiformes et bronzées en tenues légères rivalisant de beauté et d'attentions à mon égard. Au cours de fêtes orgiaques que j'organisais sur mon yacht privé, elles m'offraient leur vertu comme on distribue des prospectus. Il y avait aussi cette belle villa sur la corniche, coté caraïbe, quelques bolides de luxe parqués dans une immense palmeraie, puis cette piscine interminable dans le prolongement de laquelle l'océan bleu azur, à perte de vue, semblait faire corps avec les cieux.
Mon plan était simple et indubitablement naïf. Maintenant avec un peu de recul pour rien au monde, s'il pouvait m'être donné de reconsidérer la chose, je ne mettrais les pieds dans un tel enfer. J'étais jeune, plein de fougue, sans le sous et j'en voulais à la Terre entière. J'avais donc cassé ma tirelire et foutu le camp, dans l'espoir d'aller voir si l'herbe était plus verte ailleurs. Derrière mes piètres intensions bassement matérialistes, j'avais réussi à me convaincre qu'une forme de justice guidait mes pas et cautionnait mes actions. Plus de 400 banques issues de 36 pays différents incluant le Royaume Uni, la Suisse, la France, les Etats Unis, le Canada et le Japon, pouvaient être recensées dans un périmètre à peine plus large que dix pâtés de maison. Parmi elles, la Royal Bank of Canada, le Crédit Suisse, la Bank of Nova Scotia Trust, le FirstCaribbean International Bank, l'Oceanic Bank and Trust, l'Ansbacher Group, la Guaranty Trust Bank Ltd, la BNP Paribas Private Bank, Clariden Leu, la Leadenhall Bank & Trust, SG Hambros, la Finter Bank, la Banque Privée Edmond de Rothschild Limited, Montaque Securities International, la Thorand Bank & Trust Ltd, Lombard Odier Darier Hentsch, le Private Trust Corporation Ltd, toutes à Nassau, toutes à portée de flingue. J'allais les braquer une à une en une demie journée puis me faire la malle ni vu ni connu.

J'avais tout prévu dans le moindre détail, étudié les emplacements sur Google Earth, imaginé des planques, des cachettes, des plans de repli, j'avais repéré les chemins les plus courts d'une banque à la suivante, étudié le réseau des égouts de la ville, isolé les points contrôlés par la police. De plus j'avais passé en revue dans ma tête le séquençage des braquages des milliers de fois. Bardé de centaines de repères, je me sentais en confiance. Par précaution, j'avais quand même revu l'intégrale de la saga des Ocean's 11, 12, 13 de Steven Soderbergh et rejoué toutes les missions de GTA sur ma PSP, pendant toute la durée du vol transatlantique.

Quelques mois avant mon départ, sur le net, je m'étais dégotté quelques complices sur le chat d'un site indépendantiste. Jamais je n'aurais pu abattre un tel travail tout seul, il me fallait une équipe de personnes aussi motivées que moi. Je comptais sur la rancœur d'un peuple opprimé, l'esprit de revanche d'une population réduite aux sales besognes dans ce paradis pour étrangers milliardaires. Mon contact était un certain Bottlenose à qui j'avais exposé mon plan en privé sur MSN. Il avait de suite cru en mon baratin et s'était engagé à recruter des hommes de main fiables et expérimentés. Bien sûr, je n'étais pas ce braqueur de haut vol pour qui je m'étais fait passé, Vargas Keller, une des dix personnes les plus recherchées par Interpol, et les exploits que je m'étais attribués, divers casses place Vendôme, le braquage de toute une rue de bijoutiers à Dubaï, et le pillage de la banque centrale de Madagascar à Antananarivo, étaient issus d'une documentation précise sur les méfaits de Keller que j'avais dégotté à la bibliothèque municipale de Saint Denis et appris par cœur. J'avais romancé le tout pour faire passer la pilule. Bottlenose, enthousiasmé par tous ces détails dont je m'enorgueillissais, n'avait pas flairé l'entourloupe et frétillait à l'idée de serrer la pogne à l'une des plus grandes célébrités internationales dans le milieu du crime organisé, une célébrité dont personne ne connaissait la véritable identité.

Tout allait bien se passer car, j'en étais convaincu, j'allais réparer une injustice flagrante. Ces saloperies de banques offshore servaient de couverture à tous les salauds de la Terre qui ne voulaient pas s'acquitter des taxes et impôts dans leur pays, et bien entendu au blanchiment de l'argent sale, quelque soit l'origine de la crasse. Je haïssais l'humanité, que les choses soient claires, aucune intention altruiste ou humaniste ne m'animait. Savoir la plus part des peuples floués, spoliés, j'en avais rien à branler. Que toutes les mafias du monde se donnent rendez-vous dans la zone pour y établir un stock exchange market de la prostitution, de la drogue, du trafic d'organe et autres contrebandes, je m'en tamponnais grave. Par contre, j'estimais que mes alter egos dans leur intégralité m'étaient redevables d'un pécule conséquent. Qu'ils soient bons ou mauvais, il leur faudrait raquer pour toute cette vie foireuse qu'ils m'avaient directement ou indirectement imposé depuis ma plus tendre enfance, cette vie pitoyable qui m'avait poussé à fuir, larguer les amarres en me délestant de beaux merdiers, de beaux salopards que pour sûr je n'allais pas regretter. J'allais braquer une île, j'allais braquer tout un tas de connards et j'allais de surcroit récupérer tout le pognon que le genre humain me devait.

Freeport était sensé être ma base arrière, mon QG, mais j'allais vite déchanter. A peine débarqué sur le tarmac, un gars, m'alpaguant par le col de ma chemise hawaïenne, m'escortait jusqu'au Port Authority. Peut être que je n'étais pas assez couleur locale avec les biftons qui dépassent de la poche du veston ? Quoi qu'il en soit, je me retrouvai dans le bureau d'un gros mec en sueur avec une sale gueule ravagée de pustules arborant une tenue militaire. Il commença par me délester des quelques affaires que je trainais avec moi, à commencer par mon téléphone portable et ma console. Gregory Richards, petit officier de la commanderie, cherchait un pigeon. Il avait dû faire passer le mot à des rabatteurs de la douane à Nassau. Mon profil devait correspondre au premier coup d'œil à celui du gugusse qu'il recherchait. Après avoir attentivement observé mon passeport, l'officier Richards me fit comprendre que des paumés dans mon genre, il n’en croisait que très rarement :

"Ecoute moi bien mon petit gars, alors comme ça tu ne sais pas si tu viens ici pour te détendre ou pour faire des affaires ? Tu as à peine 25$ en poche, jeune écervelé, et j'imagine que tu as claqué toutes tes thunes pour te payer le voyage... Tu penses trouver du travail ici ?" J'acquiesçai bêtement pensant en fait détourner l'attention de l'officier sur mes réelles intensions. "Et bien si tu souhaites bosser ici, il va te falloir créer ta propre société car jamais tu n'obtiendras de permis de travail. Les choses sont simples : il te faut poser un million de dollars sur la table, c'est le capital minimal autorisé dans la zone franche mais je doute fort que tu ne disposes d'une telle somme. Par ailleurs, toute société créée sur notre territoire doit être détenue au moins à 51% par un bahaméen alors de deux choses l'une : soit tu te trouves un homme de paille, un local, que tu arroseras comme il se doit, soit tu te dégottes une belle indigène et tu lui passes la bague au doigt afin d'obtenir la nationalité." Toutes ces considérations semblaient bien éloignées de mes priorités. Son discours commençait à m'agacer et je n'avais qu'une seule hâte, qu'il me laisse quitter les lieux pour qu'enfin je puisse mettre en œuvre mon putain de plan. Je tentai un vague "Ok, c'est bon, c'est le Commonwealth ici, pas besoin de visa. Enfin pour la carte bleue je dis pas, mais tant que je reste moins de 3 mois, je ne vois pas en quoi ça dérange... Je fais juste un peu de tourisme." C'est alors que l'officier Richards haussa le ton. "Tu vois gamin, je tiens en mains tous tes documents. Sans eux tu n'existes pas. Je suis un fin psychologue, tu sais ? A voir ta gueule et ton accoutrement, je pense que t'es un de ces gars qui a quelque chose à se reprocher, qui a fuit son pays d'origine sur la pointe des pieds et qui essaie de refaire sa vie ailleurs au soleil, le genre de mec qui n'ira pas se plaindre à la police locale et qui ne se réfugiera pas dans l'ambassade de son pays. Je vais garder tous tes papiers et, si tu fais ce que je te dis, je te les rendrais, et t'auras même un peu de blé en prime."

Je n'avais pas vraiment le choix aussi j'acceptai son offre à contrecœur. La mission ne semblait pas très compliquée cependant et l’officier m'avait promis 100 dollars bahaméens en échange de mes bons services. J'avais un peu de temps à tuer car Bottlenose ne m'avait donné rendez-vous que le lendemain matin dans un Donkun'Donut de Port Lucaya, un endroit très touristique, très fréquenté où nous passerions inaperçus pour élaborer une première ébauche de notre stratagème dans l’arrière boutique. L'officier Richards me confia les clefs d'un pick-up complètement délabré, une véritable épave ambulante, un tas de boue qui ne valait même pas le quart de la piètre récompense qu’il me promettait. Il y avait un plan dans la boite à gant, un de ces documents colorés qu'on vous remet à l'office de tourisme. Il comportait cette mascotte ridicule, une sorte de soleil débile arborant un sourire complaisant. Il y avait un entête aussi « Welcome to Gran Bahama Island. May all your wishes come true.» qui ne manquait pas d’ironie aux vues des circonstances. Une croix avait été marquée au stylo bille sur le plan, elle indiquait un coin reclus au sortir de la ville. Je devais m’y rendre au plus vite car un type avait une cargaison à me refourguer. Il m'indiquerait ensuite où déposer le colis."Et n'oublie pas", me secoua Richards,"si je n'ai pas de nouvelles de toi dans 2 heures. Je lance un avis de recherche." Je démarrais en trombe tout en le scrutant dans le rétroviseur. Il faisait de grands gestes en secouant mon passeport comme pour bien me faire comprendre qu'il me tenait par les couilles.

En route, je pris un soin tout particulier à respecter les limitations de vitesse, à ne pas faire la moindre incartade au code de la route, car la conduite à droite, héritage Britannique, faussait tous mes repères et j’avais peur de me faire alpaguer par les flics. Il y avait de grandes avenues qui s’intersectaient à angle droit. Elles semblaient bordées de palmiers en plastique. Un sentiment oppressant me gagnait petit à petit. Je m’étais fais une toute autre idée de ce à quoi pouvaient bien ressembler les Bahamas. Tout avait l’air contrefait, en carton-pâte, comme si derrière l’apparat des façades des banques et des riches condominiums, il n’y avait rien eu d’autre à part du creux, d’immenses entrepôts désaffectés et vides. Pas grand monde sur les trottoirs, non plus, juste quelques touristes rougeauds et gras du bide en T-shirt, shorts et en tongs, aussi cette étrange impression d’errer au milieu d’un immense studio de cinéma redoubla-t-elle d’intensité au point de s’imposer comme une quasi-évidence. Je tombais des nues, Freeport n’était en réalité qu’un parc d’attraction aseptisé dédié à la vacuité de nos âmes, une ville fantôme où même les spectres s’étaient fait la malle. Je ne croisai que 3 ou 4 véhicules en chemin. Les conducteurs, des locaux, semblaient gagnés par la neurasthénie.

J’arrivai donc prudemment au point de rencontre, il s’agissait d’une caserne de pompiers. Je fis deux, trois tours du bloc avant de remarquer un gars qui m’invitait à me garer discrètement dans une des ruelles jouxtant le bâtiment. Il y eu comme un bruit sourd qui fit tanguer le véhicule et je crus un instant qu’il allait se disloquer. Le type, un rastafari enturbanné, assez baraqué, caché derrière de grosses lunettes noires, venait de charger une caisse à l’arrière du pick-up. Le disciple d’Hailé Sélassier Ier s’adossa alors à la fenêtre du véhicule, m’arracha le dépliant des mains, griffonna rapidement quelque chose dessus, tout en jetant de temps à autres des regards furtifs aux alentours. Sans mot dire, il balança le plan sur le tableau de bord puis me fit signe de m’arracher fissa. Comme je ne fus pas assez prompt à son goût, au bout de quelques secondes il sortit un Glock 9mm et il me braqua avec insistance. Il y eu juste un vide, un blanc d’une bonne minute pendant laquelle rien ne se produisit. Le gars secouait son arme pour me faire déguerpir mais j’étais juste tétanisé.

Il y a deux catégories de bestioles en ce bas monde, les prédateurs et les proies. Les moindres détails anatomiques des individus de chacune de ces deux catégories sont à ce point pertinents qu’ils semblent émaner de l’esprit d’un grand ingénieur qui les aurait prémédités. Les prédateurs ont des yeux placés au milieu de leur tête, exactement à l’emplacement idoine pour leur permettre de figer leurs cibles, de les verrouiller du regard et ne plus les lâcher jusqu’à ce qu’elles se fassent chopper. Les proies, en revanche, ont les yeux de chaque coté de la tête. Ça leur permet d’avoir un angle de vue plus large et le temps de voir venir les prédateurs pour réagir. La sélection naturelle et la théorie de la survie des espèces suffisent contre toute attente à en expliquer les raisons. Trois réactions sont possibles alors face à l’attaque d’un prédateur. La première est la fuite, la seconde plus rare est l’attaque, la dernière très méconnue est la tétanisation. En effet, lorsqu’une proie ne bouge plus, certains prédateurs ne la détectent plus et du coup elle ne se fait pas dévorer. Aussi ce mécanisme de défense par automatisme s’est-il mis en place chez certains spécimens qui ont survécu un peu par hasard de fait. Tout cela est resté gravé au fin fond de nos gènes par atavisme. Je suis le descendant d’un de ces petits mammifères qui n’a dû sa survie face à de grands reptiliens qu’à son absence d’initiative.

Le rastafari, impatient, finit par donner un coup violent sur la portière. J’appuyai par réflexe sur l’accélérateur en embarquant poubelles et autres cartons qui garnissaient la ruelle. Ma course folle fut assez brève. Au sortir de la contre-allée, j’emboutis assez violemment une sorte de clodo que je n’avais même pas remarqué. Mon sang ne fit qu’un tour alors que je pilais brusquement. Je vis le gars voltiger et tournebouler jusqu’au trottoir d’en face dans un boucan monstre. Dans le retro, j’aperçu le rasta détaler comme un lapin. Il craignait probablement que du monde ne rapplique mais ce ne fût pas le cas. Un bref instant je fus regagné par ce sentiment de vacuité profonde que les rues de Freeport m’avaient inspiré tantôt. Il y eut de nouveau un blanc. J’étais tétanisé par ce qu’il venait de se produire, abattu par l’éventualité d’avoir refroidi involontairement ce pauvre vagabond. Soudain, plusieurs petits coups secs vinrent me soustraire de la catatonie et le voile flou qui couvrait ma vue se dissipa. Le clochard que j’avais catapulté quelques minutes plus tôt tambourinait apparemment en pleine forme sur mon pare-brise en beuglant des insanités. J’eus du mal à les identifier au début. Petit à petit, le charabia incompréhensible qu’il postillonnait se mit à prendre un sens familier. Le gars maugréait des insultes en français avec un fort accent québécois.

« Ostie câlice de tabarnac’ de crisse ! Tu m’écoutes-tu ? Chu mal pris là. Tu m’as emboutis le plexus, moron-là, avec ton char tout rouillé. L’niaiseux, t’vas m’prendre avec ton citron et m’emmener à l’hôpital tout de suite, veux-tu ? J’ai besoin d’un plaster avant que j’crève du tétanos. J’men va t’péter le windshield , nono, s’tu m’ouvres pas la portière. J’va quand même pas faire du pouce aux ambulances ? »

Tout me revînt alors dans un long flashback. Je me souvins à ce moment précis de toutes les recherches sur le net que j’avais effectuées. Grand Bahama, l'une des îles les plus au nord des Bahamas à environ 90 km de la côte de Floride, est la quatrième île de l'archipel par sa taille. Les premières peuplades de l'île étaient les indiens Siboney à l'âge de pierre. Les indiens Taïnos-Arawaks qui colonisèrent les Antilles depuis l'Amérique du Sud avec leurs pirogues vinrent les en déloger, spoliant leurs biens, violant leurs femmes, tuant leurs enfants. Ce n’était là qu’un prélude aux vagues incessantes de tueries qui allaient déferler sur les côtes de cette parcelle de paradis pendant des siècles. Ce fût au tour des Lucayas de régner sur l'île avec leur système social et leur politique bien organisée. Les premiers Espagnols débarquèrent en 1492. Les Lucayas furent décimés, conséquence des maladies, des combats ou de leur déportation en tant qu'esclaves dans les mines d'or de Cuba ou à la Trinité. Les Espagnols appelèrent l'île Gran Bajamar et c'est sans doute de cette appellation que les îles Bahamas tirent leur nom. Les eaux peu profondes entourant l'île posaient de vrais problèmes de navigation. Les Ibères laissèrent Gran Bahama à l'abandon, considérant qu'il s'agissait d'un piètre point de ravitaillement difficile à défendre. Les pirates, investirent alors les lieux et prirent un malin plaisir à leurrer les caravelles et autres bateaux de marchandises afin de les faire s'échouer sur les récifs coralliens et de les piller. Gran Bahama fut annexée par la Grande-Bretagne en 1670 mais il fallut un demi-siècle aux britanniques pour venir à bout de la piraterie. L’endroit devait rester relativement tranquille jusqu’à la moitié du XIXe siècle. En 1834, d’anciens serfs bâtirent les premières villes suite à l'abolition de l'esclavage dans l'empire britannique. L'île ne connut un essor économique qu'au moment de la guerre de sécession grâce à la contrebande avec les États confédérés d'Amérique (surtout les armes, le sucre et le coton). Un deuxième essor eut lieu avec la contrebande, pendant la prohibition. L'île fut ensuite investie par les banquiers et les cols blancs. Les derniers colons en date furent les retraités de Floride et du Québec, les premiers pour cause de proximité de leur résidence principale, les seconds appâtés par des avantages fiscaux immobiliers liés à des accords du Commonwealth. L’île était devenue un immense asile de vieux mais ça n’était qu’une couverture. Jamais vraiment les pirates n’en avaient été expulsés, au contraire, tous les corsaires, flibustiers, forbans, boucaniers des temps modernes y tenaient plus que jamais leur planque et y entassaient leurs butins.

Je pris le clodo sous mon aile, pour l’emmener à l’hôpital le plus proche afin qu’il puisse être examiné même s’il semblait plutôt bien avoir encaissé le choc. Jean Charpentier faisait partie de cette dernière vague d’immigrants, cependant ses penchants pour les casinos et le Texas Hold’em poker no limit en particulier lui avaient couté son condominium et tous ses deniers personnels. Abandonné par ses proches, il s’était mis à errer aux 4 coins de l’île. Je crus d’abord que l’accident lui avait provoqué une grave commotion cérébrale. Je compris rapidement qu’en réalité, il divaguait déjà depuis de longues années. Il prit place à ma gauche sans sembler me porter une quelconque rancune. Il engagea même la conversation comme si nous avions été des amis de longue date.