J'aurais voulu être un chien

Le 23/03/2010
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par Agapè
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Thèmes / Débile / Sarcastique
Voici un réquisitoire contre la race humaine, qui plaide en parallèle la supériorité des chiens sur les hommes. Ce n'est ni neuf, ni drôle, ni chiant. Mais si aucun des arguments exposés ne risque de vous convaincre à la suprématie canine, le fait de savoir que les teckels n'écrivent pas ce genre de textes pourrait en revanche y suffire.
Un chien ! J’aurais voulu être un chien. Ce n’est pas grand-chose de demander d’être un chien quand tant d’autres veulent être immortels, riches et plus fréquemment ne jamais rien avoir été. Je ne fais pas insulte à la vie et pourtant elle n’a jamais rien voulu savoir, rien n’y a fait ! Je suis né homme et je reste homme ; une paire de testicule, une verge, une touffe de cheveux éparses, quelques poils répartis sur un corps frêle à la peau rosée. Et surtout, plus que tout, une conscience, un héritage idéologique gangréné de peur et de perversion, une nature sociale mouchetée de violence, d’égoïsme, de frustration et d’ambition.
Un chien c’est beau ! Un chien ça court dans les plaines la queue dressée, les babines dégoulinantes au vent, frissonnantes des vibrations d’un corps aux muscles tendus, de l’impact des coussinets qui rebondissent sur la terre molle, l’herbe grasse, le bitume acide, la langue pendante pour capter l’ivresse, pour ne laisser échapper aucune des effluves grisantes de l’existence. Un chien, quand ça chie, ça ne laisse aucune boulette de merde collée à ses poils, pas comme tous ces hommes qui les étalent d’un bout de papier rosé le long de leur anus. Un chien, ça aime ! Ca aime son maître d’un amour insoluble, inextinguible, bien plus pur que les trois mots « je t’aime » que ma femme me prononce chaque jour, qui n’ont de valeur que les trois postillons fétides qui cinglent mes lèvres et dont l’acidité me rappelle que je vis, que l’espoir m’est encore permis. Un chien, ça aime son maître, même le plus ignoble, même le plus laid, même le plus menteur. Un chien, ça aime les hommes parce que les hommes le nourrissent. Un chien, ça aime parce que c’est reconnaissant.
    Moi, je hais être un homme car un homme ignore son maître, car un homme n’est pas reconnaissant. Il mord la main de celui qui le nourrit. Il tue son maître autant qu’il tue sa mère. Il n’aime que pour être aimé, égoïstement comme un acteur ringard, comme un proxénète cajole ses filles.
    Et ma femme, si douce, si gentille, que je suis dans l’incapacité d’aimer ! Ma femme qui s’est persuadée que nous sommes des âmes sœurs mais que je brûlerais sans hésitation pour consumer ma propre vie. D’ailleurs, je brûlerais toute ma famille, sacrifice pour entrer dans celle que je désire, celle des canidés.
    Et mon fils, aussi laid que moi, pur comme les yeux ronds d’un cocker rassasié, qui dès qu’il a su parler a su exprimer toute l’ignominie de sa nature, toute l’ignominie de l’humanité : « je t’aime papa ». Avec ces mots, il avait compressé mon cerveau comme dans un étau, il avait fait courir sous ma peau des millions d’aiguilles acérées aux reflets des larmes qui rampaient sur mon visage cratérisé. S’il m’avait dit « je te hais », s’il m’avait insulté, je l’aurais enlacé tendrement, embrassé de mon affection la plus primitive, remercié d’être un être à part, un homme mais un homme lucide, un homme haineux qui l’assume, un homme heureux.
    Et ma mère ! Elle était si jeune quand elle m’a donné la vie, quand elle a poussé si fort sa colique de neuf mois. Le corps bouffi, suintant la sueur de tous les pores de sa peau distendue, expulsant ses tripes des plus infimes orifices de son corps dans l’espoir qu’un jour je puisse me servir des miennes, dans l’espoir qu’un jour je puisse connaître la jouissance d’un transit intestinal. Et elle le fit si bien, que je la laissais, sur la table d’opération souillée d’immondices corporels et de ma propre existence, asphyxiée par l’accumulation de ses organes internes, morte, dure comme un cœur d’évêque. Jamais, je n’ai ressenti une quelconque gratitude envers elle. Jamais je n’avais demandé à vivre.
    Et mon père, simple et brave homme qui m’a élevé tout seul sans jamais que je manque de rien. A la fin de sa vie, il était comme un abricot sec, la saveur en moins. A vingt ans, j’avais coupé tous les ponts, je lui reprochais sa médiocrité et sa faiblesse. Quand le cancer, comme un ver solitaire, s’est immiscé en lui, a grandi en lui, s’est nourri de lui jusqu’à l’affamer, je les oublié. Quand il avait choisi de vivre il avait aussi choisi de mourir. Moi, je l’ai simplement abandonné face à ses responsabilités.
    J’aurais voulu être un chien. Un chien, c’est beau ! Ca aime ses maîtres, c’est reconnaissant. J’aurai voulu être un chien pour ne pas être un homme, pour ne pas être inhumain.