Trois

Le 04/06/2010
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par nihil
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Thèmes / Obscur / Autres
Texte sans prétention où un mec lambda semble manquer de courage pour le grand saut. La narration est fluide et flirte parfois avec les clichés du genre, sans que ça soit trop flagrant. Légère frustration tout de même, on s'attend à quelque chose qui ne vient pas, comme de prendre une biture dans un bar roumain sans avoir d'emmerdes. Disons que ça aurait pu finir de manière banale et sympathique si nihil n'avait pas le besoin de donner une dimension mystico-pute à frange à tous ses textes, l'enfoiré.
Il est temps, plus que temps. Toutes les barrières sont tombées, tous les compteurs sont à zéro. Il n'y a plus rien pour me retenir. A trois, je tombe.
Un.
Deux.
Non, pas encore.
J'ai mes ongles dans mes paumes, mais je ne sens rien. Rien d'autre que l'aspiration du vide, et le vent qui m'appelle, qui me réclame. Comme les vivats d'une foule, étouffés par trente enceintes de plomb. Je hurle, ma voix s'étouffe dans ma gorge. Je ne m'entends pas, je ne m'entends plus. Je suis un étranger, à tout, à moi. La nuit est déchirée de gyrophares. Derrière, dans mon dos, des ombres qui s'agitent, des mains se tendent vers moi. Pourquoi. Pourquoi mourir, il reste tant de choses à vivre, à voir, à ressentir. Tout peut recommencer et rien n'est perdu. Pourquoi, pourquoi je ferais ça.
Pourquoi ? On s'en fout : à trois, je tombe.
Un.
Deux.
Rien n'est si simple. Moi je veux, mon corps ne veut pas. Je veux ouvrir mes bras pour embrasser le vent, mes bras restent plaqués contre moi. Je veux basculer, je ne bouge pas. Je suis un bloc inamovible, je ne m'appartiens pas. Des claques de vent nocturne contre le béton, répétées, flux et reflux comme la marée. Encore, encore. Mes ongles mes paumes, je ne sens rien. C'est pas comme si il y avait un ailleurs. Et on m'implore, on me prie, je pourrais être un rédempteur d'un instant. Il me suffirait de me laisser aller, accepter la règle, leur loi. Me retourner vers eux, et hocher la tête. On tomberait à mes genoux, on pleurerait dans mes cheveux. Avant de m'enfermer. Hein, sales putes. Hors de ma vue. Bientôt vous ne pourrez plus rien contre moi. Parce qu'à trois, je me jette.
Un.
Deux.
Jette-toi. Putain mais jette-toi. Qu'est-ce que tu fous. Allez. Ce n'est qu'un pas, un rien. Il suffit d'oublier, une seconde, s'oublier, ne plus exister. Voir défiler les balcons, tous les mêmes, quelques secondes, jouir de l'explosion de l'air contre mes tympans. Laisser entrer la nuit à pleines bouffées dans ma bouche ouverte. Mes mâchoires se serrent, je ne veux rien. Pourquoi pourquoi. Toujours les mêmes questions. Je regarde encore une fois en bas, j'ai le vertige. Mon estomac se tord de peur, indigne machinerie qui refuse de se laisser faire. Sanie organique, bouillie de chair et d'entrailles mêlées, chuintement du sang qui bat à mes tempes. De la merde, de la merde de viande et d'organes, de la vie puante, de la chaleur dégueulasse. Rien d'autre que moi, cette merde.
Derrière, on parlemente, dans un langage que je ne comprends pas. Je ne peux plus comprendre aucun langage, je ne suis déjà plus de ce monde. Tout mon être est cendre. Il suffirait d'un souffle, un rien, pour me disperser, me mêler au vide. Fermer les yeux. Mais non, mes yeux restent grand-ouverts. Quelqu'un crie un nom, mon nom. Ca ne compte pas. A trois, je m'en vais.
Un.
Deux.
Rien à faire. Je suis paralysé, comme débranché, éteint. Je baisse les yeux. Des mains se posent sur moi, me tirent en arrière, me ramène dans la lumière de la cage d'escalier. Et ça sanglote, et ça remercie le bon dieu et tous les putain de saints de ce putain de paradis hermétique. Leur peau tiède contre la mienne, leurs bras autour de moi. Toute cette merde.
Trois.
Je vois. Je vois, les balcons qui défilent. J'ai quitté mon corps, lui est resté là-haut, prisonnier aux mains des pleureuses et leur chaleur pourrie, mon âme s'est jetée. J'ai quitté ce monde. Je me disperse, je me dilue aux quatre vents, je ne fais plus qu'un avec la nuit. Là haut, là-bas, loin, dans le carré de lumière du septième pallier, une nasse de chair agglutinée autour d'un organisme éteint, qui leur appartient, puisqu'il ne m'appartiendra plus jamais. Qu'ils savourent donc leur victoire, moi je disparais.