La cour

Le 14/07/2010
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par Chacal
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Thèmes / Obscur / Triste
En ces périodes estivales où l'on a tout le loisir de mater les bonnasses ou les tanks à la fenêtre, certains ascètes restent soucieux de nous rappeler les vraies valeurs de la vie. Ainsi Chacal, qui prend sur lui de décrire rien moins qu'une cour intérieure. C'est un genre d'exercice d'écriture, qui s'efforce de planter un décor, une ambiance de faubourg et d'ennui dégueulasses - mais qui s'efforce dur, hein : sur tout un texte. Hélas, la seule chose sale, c'est cette grosse partouze de poncifs. Le style est largement comestible, mais ça suinte pas, c'est mou du gland, on se fait chier. Ça mène nulle part, forcément ; mais même dans le genre, c'est pas original pour une thune. Raté.
Maussade, les yeux embués de sommeil, il ouvrit la fenêtre qui grinça dans le matin pâle. Un bref regard circulaire sur la cour commune suffit à le convaincre de la banalité glauque de cette journée qui commençait et serait semblable aux précédentes. Des poubelles éventrées par les chats du quartier répandaient leurs couches sales, leurs épluchures de pommes de terre, les boîtes de conserves vides d’où suintait de la sauce tomate ou de l’huile, et mille autres choses encore toutes puantes et graisseuses. Un immonde bric-à-brac de jouets cassés, de sommiers usés, de meubles bancals, de vêtements déchirés, de tous ces objets devenus inutiles composait une montagne de banalité. De simples relents de vie…
De la maison d’en face, derrière les rideaux crasseux, une matrone à la voix rogomme houspillait son fils et l’exhortait à manger son petit-déjeuner préparé avec un amour sincère dans une vaisselle douteuse. Des coups du plat de la main martelant la table ponctuaient son discours aigu. Le môme ne répondait pas, il devait pleurer en silence, de grosses larmes coulant dans son bol de lait refroidi.

La petite vieille d’à-côté poussa la porte de sa maison et, voûtée par la vie, se mit à semer des croûtons de pain à l’intention d’une bande de pigeons hideux déjà prêts à restituer copieusement ce repas sous forme de fientes blanchâtres qui boufferaient les corniches de leur acidité. Elle portait une robe grise trop courte, un châle en laine gris et des charentaises grises, sans doute pour mieux se fondre dans ce décor. Des chaussettes bleues accentuaient cette grisaille. Sur ses mollets amaigris, de belles et grandes varices s’épanouissaient. Elle sourit en voyant ses chers oiseaux se précipiter sur cette quotidienne pitance et rentra chez elle de son pas traînant, raclant le sol d’un chuintement saccadé.

Un chien bâtard, accroupi de façon ridicule, les pattes tremblantes, la queue frémissante, le regard triste, tentait de pousser sa pauvre crotte, l’air de s’excuser. Comme si une merde de plus dans ce bourbier changerait quelque chose à toute cette laideur. Lorsqu’il y parvînt, il la renifla et reparti vaquer à d’autres occupations.

Un poste de radio dégueulait les mérites d’une poudre à lessiver, un nouvel attentat en Irak, le nouveau tube de l’été et le montant de la cagnotte à gagner. La voix enjouée du présentateur en costume, que l’on devinait parfumé, soigneusement coiffé, contrastait avec le décor, le rendant presque anachronique, et ajoutait à l’écoeurement.

Quand il pleuvait de cette coutumière pluie gluante et visqueuse, une sorte de brume fumante émanait de la cour, l’enveloppant dans un brouillard odorant qui s’estompait peu à peu à mesure qu’il s’élevait vers les toits, les franchissait, et allait polluer la rue. Aujourd’hui, par chance, il ne pleuvait pas. Le soleil radieux posait ses rayons délicats sur la lie du monde. Il n’y avait donc que des mouches, des grosses, vertes, qui bourdonnaient leur joie de vivre sur cette fange. Elles volaient, nerveuses, d’une saleté à l’autre, la trompe inquisitrice, les antennes alertes, se délectant de toutes ces saveurs délicates.

Plus loin, pas assez, quelques usines sordides projetaient vers le ciel des fumées brunâtres que le vent rabattrait sur cette cour comme si tout ce que la terre comportait de saletés et de laideurs devait finir ici. Les murs des maisons, anciennement blanchis à la chaux, en portaient les stigmates sous forme de traînées jaunes dégoulinant vers le sol et se mélangeant avec des traces d’éclaboussures diverses. La blancheur d’antan n’était plus qu’un souvenir.

L’égout, à demi bouché, happait avec gourmandise tout ce qui se présentait à lui. De temps en temps, la nuit surtout, un rat venait passer son museau entre les barres métalliques, reniflait longuement, puis s’aventurait au-dehors pour y trouver de quoi se remplir l’estomac. Le jour, le tas de détritus appartenait aux chats et aux pigeons. La nuit, les rats y régnaient. Accord tacite entre ennemis jurés, mais les chats ne faisaient pas le poids face à ces monstres énormes et agressifs.

Il referma la fenêtre, promena un regard presque amusé sur son studio et y vit plus ou moins la même chose qu’au dehors.

L’évier rempli de vaisselle sale débordait d’assiettes maculées de nourriture séchée, de tasses et de verres collants et de casseroles remplies d’eau croupie, grouillante d’une vie invisible. La table bancale était recouverte d’une nappe douteuse où les repas de ces dernières semaines étaient lisibles. La radio murmurait les mêmes conneries que celle du dehors. Les mouches, plaquées au plafond se déplaçaient lentement, repues. Parfois, l’une d’elles allaient s’empêtrer dans une toile d’araignée. L’odeur était insupportable pour quiconque n’y était pas habitué.

Il regarda une nouvelle fois par la fenêtre. Cinq mètres environ, c’était à la fois trop haut et trop bas. C’était un coup à se rater et à finir sa vie dans une chaise roulante, un lange au cul et un bavoir au cou.

Il haussa les épaules et décida sereinement de se recoucher…