Les Bras

Le 26/08/2010
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par Cuddle
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Thèmes / Obscur / Humeur noire
Petite éruption d'humeur sombre et dépressive s'achevant, comme il se doit et comme le titre l'annonce, par une incursion d'objet tranchant dans les bras de la narratrice, voilà qui se laisse lire sans renouveler le genre du texte hystérique et autodestructeur. À lire loin de son sécateur.
Je me réveille comme un lendemain de cuite. Désarçonnée, complètement éreintée par cette nuit de merde que je viens de passer. Les images ne cessent d’exploser en flashback infernaux et petit à petit je deviens aveugle, ivre d’émotions confuses, j’étouffe. Je voudrais déchirer à pleine dents cet épiderme qui empêche mon corps en sueur de respirer. Les yeux hagards, je me dis qu’enfin j’ai tout bousillé. Je n’ai même pas tenu un an. Le monstre qui sommeillait en moi s’est brusquement éveillé et a repris son travail de gangrène.

Assise devant mon café, je reste immobile, la cuillère en l’air. Le sucre se dépose lentement au fond de la tasse. Petit à petit, il se dissout avec la chaleur, exactement comme les restes de mon cerveau sous l’effet de cet échec incommensurable.

Je l’ai trompé.

Je suis paralysée par les retombées de ce désastre qui, comme Tchernobyl, a engendré une mutation malsaine chez moi. Inconsciemment, je voulais voir. Je voulais voir ce que ça faisait de replonger dans le chaos. Durant une nuit, je me suis sentie douloureusement vivante. Les sens en ébullition, les nerfs à fleurs de peau, je me suis écorchée vive volontairement. Que pouvais-je faire d’autre maintenant, à part rentrer chez moi ?

[…]

Ca ne coupe pas. Avec plus d’effort, je m’ouvre les bras comme on égorge un porc, dans les cris les plus assourdissants qu’ils soient. Dans un état second, j’observe cette peau ciselée de part en part que je prends plaisir à tendre pour déchirer un peu plus. L’alcool me monte vite à la tête, tout se brouille, des images me reviennent et pourtant je divague...

La douleur lancinante me réveille, elle me sort de ma torpeur durant quelques minutes. L’affliction qui me touche est emplit d’une culpabilité grossissante et dérangeante. Je n’ai pu me résoudre à interner ces pulsions indomptables. Mon estomac gronde sa rage la plus noire et mon corps, parcourut de spasmes incontrôlables, me susurre que l’heure arrive. Je roule sur moi-même en position fœtale et lève les bras vers le plafond comme dans une dernière prière. Je me vide, dans mon propre lit, le matelas absorbe une partie de moi et bientôt il avalera mon âme. Avec une fascination étrange, je pose mon regard sur ces petites gouttes qui s’extirpent de cette enveloppe charnelle pour croitre en de larges rivières pourpres. Je deviens un gigantesque fleuve rouge, des vagues naissent dans mon sein, engloutissent avidement toute cette haine dont je n’arrive pas à me défaire avec le temps. Ce temps, sec et violent, assèche ma tristesse. En pleine mutation, ma composition devient boueuse...

Lorsqu’il pénètre dans la chambre, il ne comprend pas. Ses yeux s’ouvrent grands comme des soucoupes et sa bouche forme un grand « o ». Petit à petit, son visage se décompose, son regard se terne, il est triste. Il sait que c’est trop tard. Le ventre du matelas est gonflé de sang, il est saoul de ma personne. Et lui ne bouge toujours pas, comme si un être invisible s’était pourvu d’un marteau et avait clouté ses pieds au parquet. Il me fait étrangement penser à un Oran avec ses paumes vers le ciel, et enfin, il tombe à genoux. Le corps branlant, sa tête se balance d’avant en arrière, il est sous le choc.

Des algues s’enroulent autour de mes chevilles et des plantes grimpantes s’arrachent du matelas pour s’agripper à mes bras. "Hystériquement" bipolaire, je suis devenue le Monstre, avide d’alcool et d’hémoglobine qui pue le mal et la colère. Et lorsqu’on écartera mon corps aux quatre coins de la pièce dans un flot de prières, je pourrais, sans me tromper, être le désert que j’ai toujours été.