Le Lunes

Le 14/10/2010
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par Omega-17
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Thèmes / Fight / Autofight
Un court texte en forme de définition Wikipédia dans lequel nous faisons la connaissance d'un navire factice nommé Le Lunes et de la légende qui plane autour. YOUPI, JOIE.
On murmurait son nom à toute heure du jour et de la nuit dans les tavernes portuaires. Au fil du temps et des témoignages avinés, il était devenu pour les marins d'expérience le premier responsable évident de nombre de disparitions ; craint pour sa légendaire invulnérabilité en haute mer que l'on imputait, c'était selon, à de nouvelles armes et techniques de fabrication jalousement gardées par les espagnols ou encore à un phénomène mystique qui rendait toute riposte impossible, le Lunes était parvenu à devenir dans l'esprit de tous une idée, et son symbole.
Certains considéraient classiquement le Lunes comme un navire-fantôme, peut-être même le premier navire de la Création : la main flottante de Dieu, impitoyable, par laquelle s'abattait son effroyable courroux, et rien de moins. Pour d'autres, il s'agissait du fleuron des chantiers navals royaux, conçu dans des proportions gigantesques dans le but de semer la terreur sans discernement. Bien qu'elle ignorât jusqu'à l'existence de ce navire comme du mythe qu'il inspirait, la Couronne espagnole ne démentit jamais et laissa flotter le doute.

Pour illustrer la situation telle qu'elle se présentait à l'époque, on pourra citer l'exemple du Dilettante, bâtiment français de retour des colonies, qui n'honora point sa livraison sur les quais du Havre, pas plus que les jours qui suivirent. Ce ne fut qu'un bon mois plus tard qu'on put entendre les hurlements fanatiques d'un misérable, visiblement dérangé, errant sur les docks en guenilles et agressant ceux qu'il croisait de sa dague rouillée : « Tu vas trimer, mon gaillard, ça oui, tu vas trimer ! Vingt ans dans une mine de sel ! Et tu vas payer, ça oui, tu vas payer ! »
Rapidement pris en charge, on ne sut par quels moyens il avait rallié le port et ce, malgré l'insistance des autorités ; en revanche, il finit par lâcher entre incantations et pamphlets apocalyptiques le nom du Dilettante. La suite de l'interrogatoire ne mena à rien, indépendamment de l'intensité des coups portés, et la version des faits, s'il fallait tenir compte des déclarations du témoin-suspect-victime, était que le navire avait rencontré le Père dans toute sa terrifiante splendeur et que l'équipage avait alors finalement « compris ».
Qu'il eut été dérobé, sabordé ou coulé par des hostiles, il semblait que les chances de revoir le Dilettante amarré à son point d'origine étaient minces. Quant aux dix-huit autres marins indiqués dans le registre du port, leur sort étant généralement lié à celui de l'embarcation, il fallait conserver un espoir modéré.

Le Lunes, comme on l'apprit suite à sa capture, était en réalité un vaisseau d'esclavagistes indépendants, authentiques dans le sens où ils se distinguaient des négriers par l'absence de transaction et n'agissant qu'en haute mer, ayant mis leurs ressources en commun pour financer sa construction et son armement, ne répondant à aucun gouvernement et agissant de leur propre chef sur tout type de navires suffisamment pourvus en hommes d'âge mûr qui étaient ensuite stockés à bord jusqu'à destination puis revendus à l'autre bout du monde, essentiellement en tant que mineurs.
Afin de brouiller les pistes, une poignée de prêtres factices et de tortionnaires prenaient en charge leur conditionnement durant un trajet souvent extrêmement long et pénible dans des conditions innommables, ce qui en faisait la plupart du temps, une fois arrivés, de parfaits illuminés.

Par déformation logique au cours des siècles, la légende s'est extraite d'elle-même de son contexte maritime devenu peu à peu obsolète, et c'est ainsi que l'on peut encore constater l'accablement historique qui prend aux tripes nos contemporains chaque dimanche soir, alors que s'approche le pétrifiant Lunes, spectre insaisissable brisant les flots de la torpeur et bourreau intime des tire-au-flanc. Ces derniers rejoignent parfois une secte religieuse marginale, appelée « La Sedique », composée de sages reclus et prophétisant la naissance prochaine d'un héros immortel qui abolira le lundi et rendra la liberté à son peuple.
Nous citerons ici pour conclure les paroles de l'éclairé Bastien de Sainte-Branle, membre fondateur culminant de « La Sedique », dans son évangile de l'Avènement :
« C'est depuis la pénombre laborieuse, gangrène de notre Imagination, que j'en ai appelé au Héros.
Et il m'est apparu dans le plus simple appareil en me confiant ces mots :
'Je connais ta souffrance. Je connais ta détresse. Je suis l'Ennemi que les Lundi doivent craindre. Je suis le Héros qui viendra en ton monde rétablir les week-ends infinis.
Et tu seras le premier Bastien sur lequel je bâtirai mon culte.'
Puis il disparut.»