Capharnaüm

Le 15/03/2011
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par Carc
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Thèmes / Obscur / Introspection
Dans la catégorie des textes sombres, introspectifs et bien souvent, ultra-caricaturaux ou banals qui trainent de temps à autre ici, parfois, on a droit à l'exception, et c'est le cas avec ce texte-ci, bien rageur et qui frappe juste, ne laissant aucune alternative au lecteur.
La chanson est toujours la même. Tous les jours elle se répète, se décline, se remixe jusqu’à n’être plus qu’un capharnaüm assourdissant dans lequel je n’ai plus ma place. La chanson m’enivre, m’élève, et me tue. Elle me réveille le matin pour mieux me broyer le soir même, et tous les jours elle recommence, cycle sans fin, boucle sans intérêt. N’allez pas en prison, ne passez pas par la case départ, ne touchez pas 20.000 francs.
Au départ, ma claustration était voulue, du moins au degré que peuvent l’être l’enfermement volontaire et la mise à l’écart choisie. Elle est vite devenue une catastrophe : trop souvent une nuit sans dormir, trop souvent des idées noires. La recherche de liberté qui m’avait guidé dans mes actes se faisait elle-même enfermement, un autre enfermement, un de ceux dont on perd très vite le contrôle pour en devenir la marionnette. Et me voilà dans ma chambre, à agiter les bras et les jambes comme une vulgaire poupée actionnée par des fils invisibles. Et me voilà toujours en train de danser, en train de faire semblant, avec ma propre personne comme seul public inexistant. Je mime la vie : je m’habille le matin alors que je ne sortirais pas, je me lève alors que je passerais la journée à attendre de me coucher, je bouffe, je chie, je me lave, je cherche du travail pour mieux pouvoir le repousser. Je me donne l’impression que je fais encore partie de la société, en fréquentant les chats, en parlant à des personnes que je n’ai jamais rencontrées de ma vie et ne rencontrerais jamais. Je me donne l’impression d’encore exister en recensant les muscles en train de s’atrophier, les articulations qui me font mal. Je flotte au gré de la chanson, tout en me donnant l’illusion que je la contrôle, que c’est MOI qui la chante, encore et encore. Il ne reste, au final, que la fatigue. Fatigue de faire semblant, fatigue de courir dans une direction changeante sans savoir où on va, fatigue de se mentir. L’envie d’en finir avec le monde, de brûler les fils invisibles qui m’y retiennent comme on brûlerait un cordon ombilical pour faire comprendre à un môme que la seule chose qui importe vraiment sur cette terre c’est d’arriver à oublier les cendres et l’image de l’incendie, se fait fièvre, se calmant le matin pour recommencer de plus belle le soir, tous les soirs. Et le pantin de s’entendre dire « Je ne veux pas mourir, je veux juste ne plus jamais avoir à vivre ».

Le même rituel tous les jours. On s’habille, on se branle, on va chier, on boit un coup, on fume une clope, et on tue le temps en se branlant, chiant, buvant un coup ou fumant une clope. Le même rituel tous les soirs, à la recherche de quelque chose qui saurait anesthésier la douleur et les cauchemars. Le même rituel toutes les nuits. Les mêmes cauchemars, la même sueur, la même odeur de colle et de peur au réveil. Je tourne en rond dans cette boite exigüe, dans cette chanson monocorde qui ne varie que pour alimenter la frousse que j’ai d’en sortir. Je tourne en rond et ne sais plus pourquoi je tourne. J’ai décoré ma boite avec des photos souvenirs pour pouvoir regarder le monde à travers mes yeux et ne pas le regretter. J’ai empesté ma boite avec des vapeurs de clopes et de gaz intestinaux afin d’alimenter mon mal de tête. La migraine qui ne me quitte plus distord encore la chanson, la rendant méconnaissable et différente et me donne l’impression que je suis ailleurs. Je ne me mens pas, mais que Dieu me soit témoin : j’essaye tous les jours.

Un jour je sais que tout sera différent, que j’aurais renoué avec la société en général, et mes voisins directs en particulier. Que je serais de nouveau capable de supporter leur regard, inquisiteur ou non, dans un environnement différent de cette boite dans laquelle je me suis enfermé. Un jour je serais adulte, j’aurais un travail, je serais tout ce que je refuse. Je me serais trahi vingt fois, une fois par année qui sera passée, et j’en jouirais quand on me le fera remarquer. Un jour j’aurais des perspectives d’avenir plus larges que d’arriver à tuer le temps le lendemain. Je sais ça parce qu’on me l’a dit, qu’on m’a dit de ne pas perdre espoir et que tout arrive en attendant assez longtemps. Celui qui m’a dit ça est un con. Il pensait que je n’avais pas choisi mon isolement, que c’était la vie qui m’avait jouée des mauvais tours. Il pensait que je n’étais pas maître de l’extermination totale et définitive de toute destinée qui aurait pu me convenir un jour. Il pensait que je fuyais les gens parce que j’avais besoin de calme. C’était moi qui ai dit ça, un jour. Qui ai dit que j’avais besoin de me reposer dans une boite, une toute petite boite dans laquelle il n’y aurait pas de place pour le monde, juste pour moi, ma boite, la mienne, à moi, mon havre, mon refuge. J’ai été con. Maintenant je ne contrôle plus rien, et la chanson me brise les tympans. Je crie.