Texte offert par nos partenaires : La Banque Populaire, Nesquik, la troupe des Enfoirés, et "Zippo" Inc.
Le jerrycan était à sa place, au pied du lit, comme tous les ans.
Je me suis levé, en gros, tel un diable surgit de sa boite, pas à l’aube, ça non, mais bien avant l’heure, réveillé par une sainte odeur de cramé, mes œufs, à coup sur, que ma détestable épouse ne réussissait pas mieux le 10 avril que le reste du temps, je vous prends à témoin, de simples œufs sur le plat, invariablement noirs.
Je ne la cognais décidément pas pour rien.
Assis sur le lit, l’air mauvais, à jouer avec mon Zippo, j’avais du Con sur la planche.
« Femme ! ordonnais-je. Petit déjeuner, point météo, info trafic, indices boursiers et ton cul en vitesse.»
Je ne sais pas ce qui m’a le plus surpris, la voir entrer dans notre chambre avec ses nouveaux seins, ou quatre œufs parfaitement cuits.
« Qu’est-ce qu’y t’arrive ? Tu sais cuisiner maintenant ? Enfin, je veux dire, t’as refait tes nichons ?
- Après dispersion de quelques brouillards matinaux, la journée sera ensoleillée sur la majeure partie du territoire. Prévoyez 18 degrés à Caen, 15 à Cherbourg. La circulation est fluide sur l’A42, attention, des ralentissements ont été observés à l’entrée de Dijon, un véhicule est immobilisé sur la chaussée. L’ouverture à Tokyo s’annonce confiante, l’indice Nikkei cote 9641.18 points. L’Euro recule un peu face au dollar, dans un marché hésitant.
- Ok, ok, t’enflamme pas. Pas encore… Pour commencer, qu’est-ce que c’est que cette poitrine exubérante ?
- Un 95 D. Je pensais te faire plaisir. Est-ce que ça te fait plaisir ?
- Je n’ai pas bandé autant depuis le concours de danse de la petite. C’est fantastique.
- Je sais à quel point cette date est importante pour toi, mon amour.
- Un peu ouais… Attends… Qu’est-ce que tu fabriques ? C’est… ah d’accord. Impeccable.
Elle officiait en sous-marin tandis que je trempais mes mouillettes. Un geste spontané de sa part.
J’avalais mes tartines, et ma femme se débrouillait pas mal non plus avec le reste.
Une fois que nous eûmes terminé nos collations respectives, je lui foutai une beigne, pour le sport, et enfilai quelques fringues. Il n’y avait pas de temps à perdre.
J’allais sortir quand cette odeur de cramé m’a de nouveau pris aux tripes. J’ai compris au moment où j’ai vu la chose carbonisée, clouée sur notre porte d’entrée.
- Qu’est-ce qui est arrivé au chat ?
La voix de ma femme s’est fait entendre depuis la salle de bain :
- Tu n’as jamais aimé Nesquik. En fait, tu avais raison. C’était une sale fouine puante qui nous coutait la peau des fesses. Alors je l’ai cramé. Sur la gazinière. Il a gueulé, je comprends pas comment t’as pu dormir tout ce temps !
- Tu as cramé le chat ?
- Hum hum…
- Sur la gazinière ?
- Voilà, oui.
- Je t’aime, tu sais.
- Bonne saint Con, mon amour.
******
Ça aurait pu commencer plus mal, je vous prends à témoin.
Pourtant, une fois dehors, je pus me rendre compte que l’enthousiasme de ma femme n’était pas partagé par l’ensemble des citoyens de France. La fête ne battait pas son plein.
Le jerrycan venait frapper contre ma cuisse, je marchais d’un bon pas, la rue était désespérément calme, on se planquait, des buchers encore éteints patientaient au pied des lampadaires, pas le moindre départ de feu, temps ensoleillé, donc. Vous vous seriez attendus à quelques scènes de liesse, autour du buché d’un scénariste publicitaire responsable des spots MMA, par exemple ; hommes et femmes dansant nus, frôlant les flammes, chantant « zéro tracas, zéro blabla ».
Plus simplement vous vous seriez sans doute attendus à des cyclistes embrochant des piétons, des piétons consumant des automobilistes, des automobilistes (armés de lances-flamme et de klaxons) s’en prenant à tout le monde.
Mais il ne se passait rien, je ne pourrais même pas le décrire tant ça me déprime.
Ma mère m’a toujours répété « les autres, c’est essentiellement des cons. »
« Surtout ton père, qui est un genre de champion » ajoutait-elle sans aucune forme de plaisanterie.
Fort de ces encouragements, je ne perdais pas espoir de rencontrer un authentique Con et lui foutre le feu avant la tombée du jour. C’était tout à fait réalisable et cohérent. D’ailleurs je faisais mon entrée à la banque.
J’ai des problèmes d’argent.
Je picole, je joue un peu, ma femme se fait opérer, je n’ai pas travaillé depuis 1987, les chevaux se trainent, je pige que dalle à la bourse, bref…
Le type qui bosse au guichet, le dernier maillon de la longue chaine embrouillée du système bancaire (soit disant populaire), cette petite merde encravatée à l’humour imparable et à la vilaine peau, ma victime, allait d’abord se prendre mon poing dans la gueule, puis l’embout de mon précieux jerrycan dans sons non-moins précieux conduit rectal ; juste avant de crépiter gaiement au milieu d’un hall désert, et de quelques prospectus colorés vantant une saloperie de micro-crédit.
Il était à son poste, ne se rendait pas compte. Il souriait au milieu de son acné pas si juvénile. La conversation fut tout à son initiative :
- Belle journée, n’est-ce pas Monsieur Yves ? Déjà flambé votre Con ?
Je ne m’attendais pas à ça. J’aurais voulu qu’il pisse sur lui. Maintenant, j’étais celui qui n’avait pas encore flambé son Con.
- J’y travaille, figure-toi.
Il farfouillait distraitement dans ses papiers, on sentait bien qu’il n’avait pas la tête à bosser. Il s’est alors penché vers moi, ambiance confidence au-dessus du comptoir :
- Je doute que ça vous intéresse mais j’ai dans mon coffre de voiture un des jurés de Top Chef.
Je mis beaucoup de temps à comprendre ce qu’il me disait. Pourquoi ne brulait-il pas encore ?
- Le moustachu frivole, ajouta-t-il, vous voyez ? L’exaspérant critique gastronomique, toujours à faire des remarques idiotes : « Au niveau de la composition, on se demande évidemment ce que font ces deux crevettes à côté du kiwi en rosace. Ca ne donne pas envie de gouter Françoise, je m’excuse, mais à ce stade de la compétition… » Vous voyez de qui je parle ?
- La tarlouze ?
Mon banquier se mit remuer derrière sa cage, visiblement énervé par la perspective de carboniser une épave télévisuelle.
Qui étais-je pour le priver de ce plaisir, au fond ?
- Si vous voulez on partage, proposa-t-il.
- Oui non mais c’est que.
- Allez… Personne n’aime flamber son Con tout seul dans son coin. Je me trompe ?
- …
- Je me trompe ?
- Ben d’accord mais c’est que je venais surtout pour vous, moi.
- Vous voulez dire que…
- Ben si ça te dérange pas, évidemment.
- Je serais Votre Con…
- C'est-à-dire, au début, j’envisageais plutôt ma femme mais certainement pas avec les seins qu’elle a maintenant.
- Mais vous n’avez pas un meilleur Con sous la main ? Si je peux me permettre, nos relations sont purement commerciales, je suis comme vous…
- Vous ne comprenez rien à la bourse ?
- Si, bien entendu. Mais c’est pas tous les jours qu’on peut incinérer son prochain. Vous avez certainement quelques griefs plus personnels avec un de vos proches : un ami, votre partenaire de badminton… car au fond, que sommes nous l’un pour l’autre ?
- Des inconnus ?
- Deux numéros de RIB qui se tendent de l’argent par-dessus un guichet. Rien de plus. Autant bruler son carnet de chèque, je vous assure. Est-ce que je vous souhaite une bonne journée Monsieur Yves ?
- Ouais, si tu veux.
Il disparut derrière une grille en fer, et je l’imaginai se précipiter vers quelques allumettes dont le paquet aurait porté l’inscription « Banque populaire, toujours à vos côtés. Bonne saint Con 2011 »
Ce serait bientôt pire que la Saint Valentin. La Saint Con s’étalait déjà dans les vitrines trois semaines avant le jour des hostilités. Chalumeaux fantaisie, allume-feux multicolores, faire-part de décès humoristiques, extincteurs de farces et attrapes, saloperies de gadgets nippons. L’esprit n’y était plus.
J’allais devoir taper dans l’underground.
Après quelques coups de fil, j’apprenais que notre professeur d’éducation physique ( 5ème A), Monsieur Kuntz, qui nous insultait tandis que nous évoluions au cheval d’arçon (en slip), était mort dès la première édition de la Saint Con. Un précurseur, en quelque sorte. On l’avait empalé sur un javelot, tout le monde en gardait un joyeux souvenir.
Je songeais un moment à l’immolation pure et simple, auto prescrite pour ainsi dire. Un tel acte aurait une portée intéressante, d’un point de vue philosophique. Une tentative de renversement esthétique. La haine de soi en tant que bourreau. L’individualisation des rites collectifs. Mais je décidais que c’était tout simplement absurde. Surtout, je ne voulais pas cramer sans emmener un maximum de taches avec moi.
Le caissier du « huit à huit », par exemple.
Il y a quelques mois, j’ai renversé une bière dans les allées du magasin. J’étais sincèrement désolé ; toute cette Fisher qui se répandait inutilement sous les rayonnages, ce manque à gagner, le fruit du travail d’hommes passionnés, un savoir-faire inégalable, huit générations de brasseurs alsaciens et deux euros cinquante foutus en l’air. Je n’avais pas vraiment besoin qu’un employé me traite de quiche. Il s’était levé, derrière sa caisse enregistreuse, et avait observé le désastre en ne tenant aucun compte de mon désarroi. Au contraire, il m’avait lancé une serpillère bien coulante, bien dégueulasse, devant tous les clients :
« Alors elle va tout nettoyer la quiche. Et en vitesse. J’étais en train de fermer, moi »
Cette petite fiotte de caissier du « huit à huit », deux mètres dix, un poids à trois chiffres, fraichement sorti de prison, consanguin, analphabète. Je ne sais pas ce qui m’a retenu mais j’ai épongé jusqu’à la dernière goutte. Je tordais la serpillère et je pensais à son cou. Son foutu cou de taureau. Les autres clients n’en perdaient rien.
« Et il va la payer, la casse. Comment ? …encore heureux. Il en reste un peu là… C’est quand même formidable. Allez-y Madame Buch, mettez-y un coup de pied. Il vous fera rien. Voilà. Dans les couilles ! Bien joué Madame Buch, give me five ! ».
Je le tenais, mon Con.
Je me suis dirigé vers la supérette de merde. Dans la rue, ça s’animait un peu. Le juré de Top Chef était servi en brochettes derrière un stand improvisé. Mon banquier portait un tablier à carreaux et invitait les passants à se resservir. Un panel de piétons mâchait en se donnant des airs.
La célébration se généralisait et je ne comptais pas rester en plan.
Je suis entré dans le commerce de proximité et j’ai rempli un panier au hasard, de quelques alibis alimentaires et surtout, d’une bouteille de Fisher posée bien en évidence sur le tapis roulant. Le bouchon de mon jerrycan pendouillait déjà tandis que je faisais la queue pour régler mes achats et son compte à l’autre toquard géant. Les hauts parleurs crachotaient une reprise acoustique d’un morceau de Rage Against The Machine. « Burn, burn, yes you gotta burn » chanté par une artiste islandaise sur un arpège de guitare à se foutre en l’air. Ça devenait pire que la Saint Valentin et Pacques réunis. Bientôt, on arroserait la crèche d’essence à briquet en récitant des cantiques. Ambiance familiale. L’horreur absolue.
- Bonne Saint Con, ma quiche, m’accueillis le colosse encaisseur.
D’instinct, je savais ce que j’avais à faire. Tenir fermement le jerrycan, lui balancer mon mélange maison à la gueule, bien arroser, laisser tremper une demi-seconde, dégainer le Zippo, exercer une pression du pouce sur la roulette, jeter négligemment l’objet sur ma cible puis foutre le camp aussi vite que possible.
Alors que j’amorçais à peine le premier mouvement - O bordel de tous les Dieux - mon coude fit basculer un pot de confiture qui se brisa à mes pieds. La gelée aux fraises s’étalait sur un périmètre conséquent. Le caissier me regarda comme si je venais de pisser dans la bouche à sa mère. Du coup, je paniquai et, oubliant les autres phases de mon plan, piquai un sprint jusqu’à chez moi, dans un temps record.
Le feu au cul, pour ainsi dire.
La queue entre la jambe, dégoûté de ma personne, je me suis écroulé sur mon canapé. Tout ce que j’allumerais ce jour là, c’était la télévision. Ma femme et ses implants à crédit n’ont pas tardé à me rejoindre.
- Ça n’a pas marché comme tu voulais, cette année encore ?
Je n’ai même pas eu le cœur de lui péter un bras. Au contraire, je me suis penché contre ses exubérances mammaires factices et me suis mis à chialer comme une fillette.
Sur l’écran, Raymond Domenech, Steevy et Rachida Dati étaient attachés à des piloris disposés sur la place de l’Etoile. Johnny Halliday offrait une version pathétique d’un de ses plus grands tubes, accompagné par les Enfoirés, qui en profitaient pour récolter des fonds destinés à soigner le rhume des foins. L’allumage des buchers relevait davantage de la prouesse pyrotechnique de gauche, que du barbecue bon enfant. Une marée de téléphones portables filmait la scène. Tout cela était dégueulasse ; la fête bel et bien finie.
J’ai donc coupé le poste.
Nesquik est venu sauter sur mes genoux, exhibant son trou du cul tout ce qu’il y a d’éteint. Je levais les yeux vers ma femme, avec une moue désespérée :
- Qu’est-ce qui était cloué sur la porte ?
- Le chat de la voisine du troisième.
- Mais tu l’as brulé vif, pas vrai ?
- En fait, j’ai plus ou moins roulé dessus avec la bagnole. Mais ensuite, je l’ai cramé. Ça oui. Sur la gazinière.
- C’est la pire Saint Con depuis…
- Mon amour, j’adore Nesquik. Je voulais juste que tu passes une bonne journée.
- Brule en enfer, connasse.
J’agitai un moment mon Zippo sous son nez puis partis m’allonger, content d’être débarrassé de cette triste connerie jusqu’à l’an prochain.
Je me suis levé, en gros, tel un diable surgit de sa boite, pas à l’aube, ça non, mais bien avant l’heure, réveillé par une sainte odeur de cramé, mes œufs, à coup sur, que ma détestable épouse ne réussissait pas mieux le 10 avril que le reste du temps, je vous prends à témoin, de simples œufs sur le plat, invariablement noirs.
Je ne la cognais décidément pas pour rien.
Assis sur le lit, l’air mauvais, à jouer avec mon Zippo, j’avais du Con sur la planche.
« Femme ! ordonnais-je. Petit déjeuner, point météo, info trafic, indices boursiers et ton cul en vitesse.»
Je ne sais pas ce qui m’a le plus surpris, la voir entrer dans notre chambre avec ses nouveaux seins, ou quatre œufs parfaitement cuits.
« Qu’est-ce qu’y t’arrive ? Tu sais cuisiner maintenant ? Enfin, je veux dire, t’as refait tes nichons ?
- Après dispersion de quelques brouillards matinaux, la journée sera ensoleillée sur la majeure partie du territoire. Prévoyez 18 degrés à Caen, 15 à Cherbourg. La circulation est fluide sur l’A42, attention, des ralentissements ont été observés à l’entrée de Dijon, un véhicule est immobilisé sur la chaussée. L’ouverture à Tokyo s’annonce confiante, l’indice Nikkei cote 9641.18 points. L’Euro recule un peu face au dollar, dans un marché hésitant.
- Ok, ok, t’enflamme pas. Pas encore… Pour commencer, qu’est-ce que c’est que cette poitrine exubérante ?
- Un 95 D. Je pensais te faire plaisir. Est-ce que ça te fait plaisir ?
- Je n’ai pas bandé autant depuis le concours de danse de la petite. C’est fantastique.
- Je sais à quel point cette date est importante pour toi, mon amour.
- Un peu ouais… Attends… Qu’est-ce que tu fabriques ? C’est… ah d’accord. Impeccable.
Elle officiait en sous-marin tandis que je trempais mes mouillettes. Un geste spontané de sa part.
J’avalais mes tartines, et ma femme se débrouillait pas mal non plus avec le reste.
Une fois que nous eûmes terminé nos collations respectives, je lui foutai une beigne, pour le sport, et enfilai quelques fringues. Il n’y avait pas de temps à perdre.
J’allais sortir quand cette odeur de cramé m’a de nouveau pris aux tripes. J’ai compris au moment où j’ai vu la chose carbonisée, clouée sur notre porte d’entrée.
- Qu’est-ce qui est arrivé au chat ?
La voix de ma femme s’est fait entendre depuis la salle de bain :
- Tu n’as jamais aimé Nesquik. En fait, tu avais raison. C’était une sale fouine puante qui nous coutait la peau des fesses. Alors je l’ai cramé. Sur la gazinière. Il a gueulé, je comprends pas comment t’as pu dormir tout ce temps !
- Tu as cramé le chat ?
- Hum hum…
- Sur la gazinière ?
- Voilà, oui.
- Je t’aime, tu sais.
- Bonne saint Con, mon amour.
******
Ça aurait pu commencer plus mal, je vous prends à témoin.
Pourtant, une fois dehors, je pus me rendre compte que l’enthousiasme de ma femme n’était pas partagé par l’ensemble des citoyens de France. La fête ne battait pas son plein.
Le jerrycan venait frapper contre ma cuisse, je marchais d’un bon pas, la rue était désespérément calme, on se planquait, des buchers encore éteints patientaient au pied des lampadaires, pas le moindre départ de feu, temps ensoleillé, donc. Vous vous seriez attendus à quelques scènes de liesse, autour du buché d’un scénariste publicitaire responsable des spots MMA, par exemple ; hommes et femmes dansant nus, frôlant les flammes, chantant « zéro tracas, zéro blabla ».
Plus simplement vous vous seriez sans doute attendus à des cyclistes embrochant des piétons, des piétons consumant des automobilistes, des automobilistes (armés de lances-flamme et de klaxons) s’en prenant à tout le monde.
Mais il ne se passait rien, je ne pourrais même pas le décrire tant ça me déprime.
Ma mère m’a toujours répété « les autres, c’est essentiellement des cons. »
« Surtout ton père, qui est un genre de champion » ajoutait-elle sans aucune forme de plaisanterie.
Fort de ces encouragements, je ne perdais pas espoir de rencontrer un authentique Con et lui foutre le feu avant la tombée du jour. C’était tout à fait réalisable et cohérent. D’ailleurs je faisais mon entrée à la banque.
J’ai des problèmes d’argent.
Je picole, je joue un peu, ma femme se fait opérer, je n’ai pas travaillé depuis 1987, les chevaux se trainent, je pige que dalle à la bourse, bref…
Le type qui bosse au guichet, le dernier maillon de la longue chaine embrouillée du système bancaire (soit disant populaire), cette petite merde encravatée à l’humour imparable et à la vilaine peau, ma victime, allait d’abord se prendre mon poing dans la gueule, puis l’embout de mon précieux jerrycan dans sons non-moins précieux conduit rectal ; juste avant de crépiter gaiement au milieu d’un hall désert, et de quelques prospectus colorés vantant une saloperie de micro-crédit.
Il était à son poste, ne se rendait pas compte. Il souriait au milieu de son acné pas si juvénile. La conversation fut tout à son initiative :
- Belle journée, n’est-ce pas Monsieur Yves ? Déjà flambé votre Con ?
Je ne m’attendais pas à ça. J’aurais voulu qu’il pisse sur lui. Maintenant, j’étais celui qui n’avait pas encore flambé son Con.
- J’y travaille, figure-toi.
Il farfouillait distraitement dans ses papiers, on sentait bien qu’il n’avait pas la tête à bosser. Il s’est alors penché vers moi, ambiance confidence au-dessus du comptoir :
- Je doute que ça vous intéresse mais j’ai dans mon coffre de voiture un des jurés de Top Chef.
Je mis beaucoup de temps à comprendre ce qu’il me disait. Pourquoi ne brulait-il pas encore ?
- Le moustachu frivole, ajouta-t-il, vous voyez ? L’exaspérant critique gastronomique, toujours à faire des remarques idiotes : « Au niveau de la composition, on se demande évidemment ce que font ces deux crevettes à côté du kiwi en rosace. Ca ne donne pas envie de gouter Françoise, je m’excuse, mais à ce stade de la compétition… » Vous voyez de qui je parle ?
- La tarlouze ?
Mon banquier se mit remuer derrière sa cage, visiblement énervé par la perspective de carboniser une épave télévisuelle.
Qui étais-je pour le priver de ce plaisir, au fond ?
- Si vous voulez on partage, proposa-t-il.
- Oui non mais c’est que.
- Allez… Personne n’aime flamber son Con tout seul dans son coin. Je me trompe ?
- …
- Je me trompe ?
- Ben d’accord mais c’est que je venais surtout pour vous, moi.
- Vous voulez dire que…
- Ben si ça te dérange pas, évidemment.
- Je serais Votre Con…
- C'est-à-dire, au début, j’envisageais plutôt ma femme mais certainement pas avec les seins qu’elle a maintenant.
- Mais vous n’avez pas un meilleur Con sous la main ? Si je peux me permettre, nos relations sont purement commerciales, je suis comme vous…
- Vous ne comprenez rien à la bourse ?
- Si, bien entendu. Mais c’est pas tous les jours qu’on peut incinérer son prochain. Vous avez certainement quelques griefs plus personnels avec un de vos proches : un ami, votre partenaire de badminton… car au fond, que sommes nous l’un pour l’autre ?
- Des inconnus ?
- Deux numéros de RIB qui se tendent de l’argent par-dessus un guichet. Rien de plus. Autant bruler son carnet de chèque, je vous assure. Est-ce que je vous souhaite une bonne journée Monsieur Yves ?
- Ouais, si tu veux.
Il disparut derrière une grille en fer, et je l’imaginai se précipiter vers quelques allumettes dont le paquet aurait porté l’inscription « Banque populaire, toujours à vos côtés. Bonne saint Con 2011 »
Ce serait bientôt pire que la Saint Valentin. La Saint Con s’étalait déjà dans les vitrines trois semaines avant le jour des hostilités. Chalumeaux fantaisie, allume-feux multicolores, faire-part de décès humoristiques, extincteurs de farces et attrapes, saloperies de gadgets nippons. L’esprit n’y était plus.
J’allais devoir taper dans l’underground.
Après quelques coups de fil, j’apprenais que notre professeur d’éducation physique ( 5ème A), Monsieur Kuntz, qui nous insultait tandis que nous évoluions au cheval d’arçon (en slip), était mort dès la première édition de la Saint Con. Un précurseur, en quelque sorte. On l’avait empalé sur un javelot, tout le monde en gardait un joyeux souvenir.
Je songeais un moment à l’immolation pure et simple, auto prescrite pour ainsi dire. Un tel acte aurait une portée intéressante, d’un point de vue philosophique. Une tentative de renversement esthétique. La haine de soi en tant que bourreau. L’individualisation des rites collectifs. Mais je décidais que c’était tout simplement absurde. Surtout, je ne voulais pas cramer sans emmener un maximum de taches avec moi.
Le caissier du « huit à huit », par exemple.
Il y a quelques mois, j’ai renversé une bière dans les allées du magasin. J’étais sincèrement désolé ; toute cette Fisher qui se répandait inutilement sous les rayonnages, ce manque à gagner, le fruit du travail d’hommes passionnés, un savoir-faire inégalable, huit générations de brasseurs alsaciens et deux euros cinquante foutus en l’air. Je n’avais pas vraiment besoin qu’un employé me traite de quiche. Il s’était levé, derrière sa caisse enregistreuse, et avait observé le désastre en ne tenant aucun compte de mon désarroi. Au contraire, il m’avait lancé une serpillère bien coulante, bien dégueulasse, devant tous les clients :
« Alors elle va tout nettoyer la quiche. Et en vitesse. J’étais en train de fermer, moi »
Cette petite fiotte de caissier du « huit à huit », deux mètres dix, un poids à trois chiffres, fraichement sorti de prison, consanguin, analphabète. Je ne sais pas ce qui m’a retenu mais j’ai épongé jusqu’à la dernière goutte. Je tordais la serpillère et je pensais à son cou. Son foutu cou de taureau. Les autres clients n’en perdaient rien.
« Et il va la payer, la casse. Comment ? …encore heureux. Il en reste un peu là… C’est quand même formidable. Allez-y Madame Buch, mettez-y un coup de pied. Il vous fera rien. Voilà. Dans les couilles ! Bien joué Madame Buch, give me five ! ».
Je le tenais, mon Con.
Je me suis dirigé vers la supérette de merde. Dans la rue, ça s’animait un peu. Le juré de Top Chef était servi en brochettes derrière un stand improvisé. Mon banquier portait un tablier à carreaux et invitait les passants à se resservir. Un panel de piétons mâchait en se donnant des airs.
La célébration se généralisait et je ne comptais pas rester en plan.
Je suis entré dans le commerce de proximité et j’ai rempli un panier au hasard, de quelques alibis alimentaires et surtout, d’une bouteille de Fisher posée bien en évidence sur le tapis roulant. Le bouchon de mon jerrycan pendouillait déjà tandis que je faisais la queue pour régler mes achats et son compte à l’autre toquard géant. Les hauts parleurs crachotaient une reprise acoustique d’un morceau de Rage Against The Machine. « Burn, burn, yes you gotta burn » chanté par une artiste islandaise sur un arpège de guitare à se foutre en l’air. Ça devenait pire que la Saint Valentin et Pacques réunis. Bientôt, on arroserait la crèche d’essence à briquet en récitant des cantiques. Ambiance familiale. L’horreur absolue.
- Bonne Saint Con, ma quiche, m’accueillis le colosse encaisseur.
D’instinct, je savais ce que j’avais à faire. Tenir fermement le jerrycan, lui balancer mon mélange maison à la gueule, bien arroser, laisser tremper une demi-seconde, dégainer le Zippo, exercer une pression du pouce sur la roulette, jeter négligemment l’objet sur ma cible puis foutre le camp aussi vite que possible.
Alors que j’amorçais à peine le premier mouvement - O bordel de tous les Dieux - mon coude fit basculer un pot de confiture qui se brisa à mes pieds. La gelée aux fraises s’étalait sur un périmètre conséquent. Le caissier me regarda comme si je venais de pisser dans la bouche à sa mère. Du coup, je paniquai et, oubliant les autres phases de mon plan, piquai un sprint jusqu’à chez moi, dans un temps record.
Le feu au cul, pour ainsi dire.
La queue entre la jambe, dégoûté de ma personne, je me suis écroulé sur mon canapé. Tout ce que j’allumerais ce jour là, c’était la télévision. Ma femme et ses implants à crédit n’ont pas tardé à me rejoindre.
- Ça n’a pas marché comme tu voulais, cette année encore ?
Je n’ai même pas eu le cœur de lui péter un bras. Au contraire, je me suis penché contre ses exubérances mammaires factices et me suis mis à chialer comme une fillette.
Sur l’écran, Raymond Domenech, Steevy et Rachida Dati étaient attachés à des piloris disposés sur la place de l’Etoile. Johnny Halliday offrait une version pathétique d’un de ses plus grands tubes, accompagné par les Enfoirés, qui en profitaient pour récolter des fonds destinés à soigner le rhume des foins. L’allumage des buchers relevait davantage de la prouesse pyrotechnique de gauche, que du barbecue bon enfant. Une marée de téléphones portables filmait la scène. Tout cela était dégueulasse ; la fête bel et bien finie.
J’ai donc coupé le poste.
Nesquik est venu sauter sur mes genoux, exhibant son trou du cul tout ce qu’il y a d’éteint. Je levais les yeux vers ma femme, avec une moue désespérée :
- Qu’est-ce qui était cloué sur la porte ?
- Le chat de la voisine du troisième.
- Mais tu l’as brulé vif, pas vrai ?
- En fait, j’ai plus ou moins roulé dessus avec la bagnole. Mais ensuite, je l’ai cramé. Ça oui. Sur la gazinière.
- C’est la pire Saint Con depuis…
- Mon amour, j’adore Nesquik. Je voulais juste que tu passes une bonne journée.
- Brule en enfer, connasse.
J’agitai un moment mon Zippo sous son nez puis partis m’allonger, content d’être débarrassé de cette triste connerie jusqu’à l’an prochain.