Chaussons sablés

Le 12/07/2011
-
par Carottidle_2
-
Thèmes / Débile / Phénomènes de société
Ce truc c'est du Bertolt Brecht sous LSD. Je ne sais pas trop si l'auteur est utopiste cyclabe en utilisant les outils rigolos du cynisme débile ou bien s'il dénonce les utopistes de ski en utilisant les outils rigolos du cynisme débile. Quoi qu'il en soit c'est bien trop poétique et ça c'est carrément assumé et du coup ça ne peut pas être rigolo parceque les gens en lisant ce texte ben ils vont se poser plein de questions : Est ce qu'on se fout de ma gueule alors que j'ai rien fait ? Est ce qu'on se fout de la gueule des autres qui le méritent par contre ? Est ce que l'auteur se fout de sa propre gueule ? A-t-il eu un accident vasculaire cérébral pendant l'écriture et dans ce cas faut il appeler un huissier pour homologuer son exploit littéraire ?
« J’en peux plus, pensait Roger. Ça fait maintenant 37ans que j’suis vissé ici. C’est pas que c’est moche ici, mais c’est pas très glorieux. Moi j’aime bien la gloire. Et le boulot, comme ça, sans arrêt, à la fabrique de chaussons, ça glorifie pas son homme. Mon papa et ma maman ils travaillaient déjà là-dedans, on dirait que c’est un peu comme si que c’était l’endroit qui nous avait fabriqués et qu’on était là pour le faire marcher. L’endroit il nous a chopés à la naissance. Il nous tient bien, le salaud. On est bloqués, c’est l’usine elle nous retient tous comme ça et elle nous dit vous êtes à moi les gars. Ou alors elle le dit pas mais sûrement qu’elle le pense. »
Roger se grattait la tête d’un air dépité tout en fixant la tévé éteinte à travers le voile de poussière qui recouvrait l’écran.

« Pourtant les choses dedans le monde elles ont l’air joli, d’après c’qu’ils montrent. On voit le désert, le soleil et le sable et les dunes et les tanks et le paysage qui nous parle comme ça, il nous dit viens, on t’attend. Mais on peut pas, parce qu’on est capturés. Alors on abandonne et on retourne à l’usine mais on est triste mais on le fait quand même et c’est dommage parce que le Soleil on le fera pas pousser comme ça. »

Roger lâcha un profond soupir en observant le carrelage d’un air maussade. Son regard parcourut la cuisine et s’attarda sur une photo de famille, éclairée par un rayon de soleil qui filtrait à travers un trou du rideau. Il resta là un moment, inerte. Puis, d’un seul coup, les rideaux s’écartèrent, la lumière du jour frappa la cuisine, rebondissant sur le carrelage, enflammant les casseroles et faisant danser follement les particules poussiéreuses qui lévitaient dans la pièce. Les yeux de René s’écarquillèrent progressivement, sa respiration s’emballa, son visage s’illumina et il se leva avec autant d’énergie qu’il le pouvait, emporté par l’inspiration, commençant à faire les cents pas entre le lavabo et la tévé.

« Non, vraiment c’est pu possible ! En plus qu’on est bloqués ici, ça se voit bien que les conditions de la vie elles sont pas comme dans leur maximum ! Je pense, moi, qu’on peut tout révolutionner. On révolutionne la bourgade et on met du sable et des tanks et des dunes, et puis l’usine on lui coupe les bras comme ça elle peut pu nous choper et nous on est libres et alors on vit dans les meilleures conditions et on gagne partout c’est la liberté. Moi je peux être chéguébara et comme ça tout le monde me suit et on envoie tout balader et on peut se promener partout car ils sont tous contents de nous voir. Ils diraient tous comme ça oh bonjour Roger mais c’est bien toi Roger le GENERAL DE LA REVOLUTION ? oui et MOI je leur réponds, je leur réponds : OUI C4EST MOI LE SYMBOLE DE LA LUTTE CONTRE LA VIE QUI N4EST PAS DANS LES MEILLEURES CONDITIONS C4EST MOI LE SYMBOLE DE LA COLOMBE JE VOLE ET J4EMM7NE LE FLAMBEAU ALLEZ LES GARS ON RENVERSE TOUT ON VA MANGER LES SALAUDS QUI NOUS MANGENT PAS DE QUARTIER OK ET ON FAIT TOUS LA GUERRE POUR LA VIE ET LE SOLEIL ET IL POUSSE ET TOUT LE MONDE POINTE SON DOIGT ET DIT REGARDEZ CET HOMME FAIT POUSSER LE SOLEIL § Et, et alors, et tout le monde qui m’applaudit et tous, ils crient tous très fort et j’ai un hôtel où j’emmène Jacqueline, car c’est une femme de bien, et dans l’hôtel il y a des dunes et du sable avec une tévé grande comme ça, et une piscine et alors à la tévé ils me filment avec des projecteurs et de la musique et tout le monde pleure et s’évanouit et les femmes qui accouchent de la vie car le bonheur car c’est si beau car le nouveau monde est là il est à portée de votre main saisissons-le. »

Mais il était déjà 13h55 et Roger, qui devait se présenter à l’usine à quatorze heures précises, sortit de son domicile en claquant la porte avec énergie, s’engouffrant d’un pas frénétique dans la rue adjacente sans même dire au revoir à la Jacqueline qui était pourtant quelqu’un de bien.
Roger voyait maintenant son village natal d’un autre œil, comme s’il se métamorphosait à mesure qu’il avançait. Du sable jaillissait en grande quantité des caniveaux pour recouvrir toutes les routes et les rues, emportant les voitures, engloutissant les bâtiments, et le soleil approchait, descendait progressivement pour illuminer l’air, chauffant et remodelant éternellement le béton, la pierre, le fer et le bois, à mesure que le vent et sa complainte apaisante poussait dans les rues des dunes étincelantes et majestueuses.

En se rapprochant du portail de l’usine, vieillerie métallique rouillée affichant le logo délavé de l’entreprise, Roger pensa qu’il pourrait peut-être commencer à réunir un groupe de révolutionnaires parmi ses collègues les plus qualifiés. Robert le vigile, un de ses amis et voisins depuis toujours, remarqua cette allégresse inhabituelle lorsqu’il vit Roger arriver en trottinant. Robert avait un morphotype typique de la région, taillé à la serpe dans un menhir rempli par la graisse, toujours l’air las et maussade, s’exprimant rarement et uniquement par grommellements.

-    Salut, dit-il.
-    Salut Robert tu tombes bien je pense qu’il faudrait que nous révolutionnons car les conditions de la vie peuvent être meilleures alors il faut qu’on se libère parce que l’usine elle nous tient fort et on en sort plus et je serai le flambeau le sable coulera à flot et l’hôtel et cheguébara voilà qu’en penses-tu.
-    Oué, répondit Robert d’un ton neutre, en se grattant les couilles.

« Bon, Robert, c’était pas dur, pensait Roger. Faut encore voir à choper la Monique. On sait jamais trop comment qu’il faut lui parler à la Monique. Des fois comme ça on comprend pas trop pourquoi elle dit des trucs, elle s’anime en les disant et on voit qu’elle y met des tripes mais on a beau faire semblant de comprendre on reste un peu triste parce qu’on lui ment et peut-être qu’on rate quelque chose. Mais moi je l’aime bien. Même si elle me fait peur. Parce que j’aime bien des fois les choses compliquées, même si c’est bien la simplicité, aussi. »

Monique avait la cinquantaine, des cheveux courts teints en rouge, des sourcils toujours froncés et des yeux minuscules séparés par une pyramide nasale courte et rectiligne qui s’évasait en deux narines constamment frétillantes. Elle avait pour tâche de coudre les chaussons.

-    Salut Monique ! lança Roger d’une voix mal assurée.

Mais Monique ne répondit pas. Roger sentit monter en lui une certaine appréhension. Il prit cependant une profonde inspiration et se lança :

-    Dis donc Monique j’ai pensé que comme toi tu dis que tu es pas toujours très contente avec les conditions des choses et le monde qui nous tombe dessus et les piétinements et le manque de sable et de Soleil peut-être que tu peux nous aider avec Robert on veut faire une révolution contre l’usine et on veut sortir dans la vie c’est optimiste n’est-ce pas mais il faudra combattre alors es-tu d’accord.

Monique se retourna lentement et posa ses grands yeux exorbités sur Roger.

-    Bonjour, Roger. Justement, je réfléchissais sur les choses du monde. Je sais que tu aimes aussi réfléchir sur les choses du monde, n’est-ce pas ? Aimerais-tu devenir un nuage, Roger ? Qu’en penses-tu ? Les nuages sont imposants, mais pourtant, ils arrivent à voler assez délicatement pour ne pas faire de mal aux cigognes. Ils se transforment, ils disparaissent et se mélangent, ils cachent et découvrent, toujours avec douceur et sensualité. Si j’étais un nuage, je me promènerais avec le vent, guidée par ses tendres caresses et son souffle glissant sur les reliefs de mon corps frissonnant, ouverte à la vie, prête à être emportée par les éléments. C’est un pacte avec les tous les protagonistes du ciel tu comprends, pas de la soumission, mais de la coopération. Parce que des fois le vent est violent, mais c’est comme ça qu’on l’aime aussi. Il peut tout d’un coup m’embourrasquer toute entière, me malmener, vas-y ouais, comme un sauvage, han ouais, et m’offrir nue au Soleil qui me remplit de sa lumière et les rayons qui me pénètrent instantanément c’est chaud et puissant ça traverse de partout la plénitude illuminatrice oui et la pluie qui jaillit et les arcs-en-ciel qui explosent haaan…

Elle se mordillait la lèvre inférieure et, les yeux clos, froissait par à-coups un bout de tissu en gémissant faiblement.

-    Oui ça a l’air bien Monique ça a l’air bien mais qu’en penses-tu alors c’est oui voudrais-tu m’aider à sauvegarder notre patrimoine qu’en penses-tu, dit Roger qui devenait de plus en plus nerveux.

Monique rouvrit brusquement les yeux et se mit à froncer les sourcils, le visage assombrit, les lèvres pincées. Elle se rapprocha de Roger et reprit cette fois-ci d’une voix menaçante :

-    Et puis on pourrait pisser sur le monde, tu comprends ça ? lui balancer nos entrailles jusqu’à lui submerger la gueule, voir tout qui barbote dans la merde et en remettre par-dessus pour bien noyer tous ces immondices rampants qui grouillent à en faire vomir les cigognes on pourrait hurler l’apocalypse à les faire imploser et leur envoyer des éclairs de dégoût pour brûler leurs carcasses informes et tout renvoyer dans la terre dans un torrent de chiures mixées avec les chattes de sapin pénis à mouche gérard gérard aspirateur gniiii

Elle se figea, pétrifiée dans un rictus de haine. Seules ses narines palpitaient toujours à mesure que de l’air s’en extirpait bruyamment. Le tissu, transformé en lambeaux, jonchait le sol sale de l’usine. Elle semblait regarder au loin, derrière Roger, dont l’angoisse avait maintenant complètement bloqué les capacités intellectuelles. Son visage se mit à sautiller sous l’assaut de nombreux tics et tout son corps devint instable, se retournant sans cesse de tous les côtés, haletant de détresse et suant à grosses gouttes en poussant de petits cris aigus à peine audibles. Il allait sûrement s’évanouir, lorsque Monique s’activa tout à coup, et, après avoir regardé un instant d’un air sévère des pieds à la tête son interlocuteur, se retourna tranquillement et reprit la couture là où elle en était. Roger, hésitant à partir en courant ou mourir sur place, eût finalement le courage de se ressaisir, respira profondément et repartit à l’assaut :

-    Mais tu sais Monique justement ça serait une manière de pouvoir se venger sur la planète et les choses de la vie on va capturer le patron et on va lui dire de nous mettre patron à sa place et on sera gentil avec le monde et tout le monde va nous applaudir car on serait des prophètes et la tévé et tout.

Monique refit volte-face calmement, le visage de nouveau apaisé.

-    Oui, pourquoi pas Roger, ça a l’air sympa. A plus tard.

Roger laissa échapper quelques gouttes d’urines qui vinrent teindre son caleçon, ému par le franchissement de cette étape cruciale au bon déroulement de son plan. Et c’est après ces premières conquêtes, ces victoires glorieuses qui n’étaient que l’introduction de la croisade du renouveau et de la beauté de la vie libertaire qu’il allait faire subir au monde, qu’il sentit monter en lui un pouvoir oratoire hors du commun. Il était l’élu du peuple. Jésus n’était rien et n’avait jamais rien été. Il se proclama général de la lutte contre l’oppression patronale, défenseur de la liberté de la vie, de la lumière, du sable et des dunes. L’humanité entière se plierait sous la fougue de ses locutions, scandées sous la lumière étincelante du Soleil. On lui érigerait des statues de sables pour border l’allée qu’il traverserait en tank jusqu’à l’autel où Dieu le Père le coifferait de lauriers en or, tandis que la foule en liesse danserait sous un air de la troupe du Gégé qui jouait de l’accordéon comme pas deux.

Personne ne put l’atteindre pendant le reste de la journée. Pas même son supérieur qui, remarquant son air joyeux, décida de le pousser au suicide et au conflit en l’interpelant à voix haute de manière à ce que tous puissent entendre à quel point il était méchant :

-    Dis voir Roger, ta femme ? Hein ? La Jacqueline, c’est ça ? C’est pas elle qu’on m’a dit qu’elle suçait des baobabs ? Hein ? Haha, et ouais ! Parait qu’elle engouffre les branches comme ça, d’un coup, blop, et puis les va-et-vient comme ça ouais vas-y donne-toi toute entière ! Mais putain dis-moi, c’est pas une bouche qu’elle a, c’est un caterpillar, cette pute, hein ? En plus un baobab, dis voir, ça en a des quéquettes ! et des grosses ! et des torturées! Elle est du genre à se faire démonter l’œsophage, cette salope de Jacqueline, non ? Tu dois bien en profiter, salaud va !

Mais Roger ne répondait pas et souriait fixement, le regard perdu, déjà incorporé dans le monde qu’il allait créer. Il flottait dans le sable dont les remous massaient sensuellement son corps devenu athlétique, emporté par les dunes qui s’abattaient comme des vagues sur la terre jonchée de chaussons. De temps en temps, un groupe de cigognes jouant de l’accordéon passait devant le soleil qui dorait sa peau, renforçant encore le sentiment de paix et d’accomplissement qu’il éprouvait.

-    Mais dis-moi espèce d’enculé t’es défoncé que tu souris comme ça ? La Jacqueline elle baise des arbres alors toi tu les fumes, hein ? Tu prends du hachite ? Dis ? Tu te fais des ptites défonces de la gueule comme ça de temps en temps ? Tu crois que tu peux te faire des hallucinations des choses comme ça au boulot salopard ? AH mais ça explique le coup du fourrage de matériel ça! C’est-y que c’est toi qui éjacule dans les chaussons parce que tu crois que c’est de la chatte toute chaude ? Haha je crois que je t’ai chopé salopard ! REGARDEZ TOUS § VOUS VOYEZ CES CHAUSSONS IL Y A DE LA SEMENCE DEDANS DEVINEZ DE QUI ELLE VIENT C4EST DE ROGER QU4ELLE VIENT PARFAITEMENT CET HOMME SOUILLE LES CHAUSSONS CAR CET HOMME PREND DES STUP2FIQUES ET APR7S IL CROIT QUE LES CHOSES AUTOUR DE LUI SONT DU PARADIS ET QU4IL Y A DES CHATTES PARTOUT ET IL Y MET SON ENGIN ET PUIS IL FORCE IL FORCE IL SE D2CHAÏNE IL Y VA COMME UN CAMIONNEUR ET PUIS TOUTE CETTE LAINE QUI EST TR7S DOUCE ET QUI FROTTE SON GLAND ET QUI CARESSE SON P2NIS TOUT ENTIER ET IL JOUIIIIT COMME AU PARADIS DES SALOPES IL 2VACUE 0 VRAI DIRE C4EST TR7S INTENSE MAIS CECI DIT C4EST TR7S HONTEUX CET HOMME EST TOXIQUE POUR L4ENTREPRISE IL SERA DIT AU PATRON QUI VA LE RENVOYER ET MAINTENANT NE REGARDEZ PLUS ET TRAVAILLEZ C4EST UNE HONTE.

Et tandis que le supérieur s’en allait en feignant l’outrance et la colère, courant hors de l’atelier un chausson à la main, Roger demeurait calme et souriant. Il continua de travailler sans percevoir le moindre stimulus extérieur. Il n’entendit même pas lorsqu’à la fin de la journée, le supérieur lui annonça que son renvoi était à présent effectif et que ça ne servait à rien de revenir demain à huit heures pile car on aurait entrepris des actions judiciaires à son encontre et que t’es quand même un enculé de gros dégueulasse de jonkie ta femme la pute.

A vrai dire, que Roger prenne connaissance ou non de son renvoi n’aurait pas changé grand-chose. Il avait déjà tout prévu.

Le soir venu, selon ses directives, Robert vola un camion de transport de l’usine chargé des derniers chaussons fabriqués et déversa son contenu sur la route du domicile du patron, qui était sorti en ville avec sa famille pour faire du loisir égoïste de patron, comme tous les soirs. Une fois tous les membres du trio vengeur vêtus des cagoules fabriquées avec des morceaux de nappes que la Jacqueline avait bien voulu sacrifier pour son Roger, tous se cachèrent derrière la pile de chaussons multicolores en attendant la venue de la famille patronale. Monique, visiblement très excitée, se frottait le bassin contre l’asphalte en poussant de petits cris aigus, tandis que Roger guettait l’arrivée de la belle voiture du patron en se rongeant les ongles et que Robert ne faisait rien.
Lorsque la voiture se montra, tous sortirent de leur cachette un couteau à la main sauf Monique, dont la main était dans le vagin, et extirpèrent les occupants du véhicule, le patron, sa femme et leur fille, en les alignant contre la carrosserie.

-    Alors monsieur le patron ? on fait moins le patron ? tout d’un coup c’est plus trop normal d’abuser de la vie et de ceux qui ont pas le plaisir et le Soleil et que vous en profitez sur leur dos comme ça ? et si la planète était pas d’accord ? vous y aviez pensé à ça ? maintenant on a des remords ? hein ? oui on a des remords c’est ça hein ? c’est trop tard maintenant c’est nous qu’on mord ! cria Roger d’un air triomphant au visage du patron.

Celui-ci était fermement maintenu d’une main par Robert qui de l’autre écrasait délicatement la tête de l’épouse sur le pare-brise, tandis que Monique s’était à moitié déshabillée et frottait le visage de la petite fille contre sa vulve en gesticulant et riant nerveusement, couvrant les protestations de l’enfant, le bruit des gémissements de la mère et les pleurs du père.

-    Faut pas pleurer comme ça vous faites partie de la révolution et du changement de la vie peut-être à vos dépens oui certes mais c’est pour le bien de tout le monde à vrai dire qu’en pensez-vous, dit Roger.
-    J’ai, j’ai de l’argent si vous voulez, plein d’argent, beaucoup d’argent pour vous et vos enfants si vous nous laissez pa-partir, gémit le patron.
-    C’est pas ça qu’on veut le plus ! c’est la Justice qu’on veut ! c’est la Révolution ! tu leur diras aux journalistes et aux gens dans la tévé que tout c’est qu’on veut c’est la libération de l’oppression pour transformer la vie et embellir les espaces de la planète qui sont pas assez libertaires tu leur diras et ensuite tu auras des remords et tu leur diras le Roger il m’a ouvert les yeux j’ai découvert la vie grâce à lui olala j’aurais voulu le savoir avant et donner le partage de la vie à tout le monde et mettre du sable et…
-    Je crois qu’elle est partie dans les nuages, l’interrompit Monique.

Elle contemplait d’un air plein de curiosité les yeux révulsés et le visage inanimé de la petite fille, barbouillé d’un mélange de sécrétions vaginales et de larmes. Entrevoyant la scène, le patron et sa femme décidèrent de s’échapper pour sauver leur espèce, mais se heurtèrent aux mains de Robert qui firent brutalement rencontrer leur boîte crânienne respective. Les corps des deux victimes s’affaissèrent mollement sur la route, rejoignant celui de la petite fille.

-    Boum, fit Robert en contemplant son œuvre.
-    Ils sont morts ? POURQUOI QU4ILS SONT MORTS ? ILS DEVRAIENT PAS ËTRE MORTS § C42TAIT PAS PR2VU QU4ILS SONT MORTS § ON DEVAIT ALLER SUR LE PLATEAU DE TV ROBERT TU COMPRENDS J4AURAI JAMAIS MES LAURIERS ROBERT C4EST PAS POSSIB §
-    Je peux toucher ta zézette ? demanda Robert à Monique, aguiché par la nudité de celle-ci.
-    Regarde plutôt le ciel. Les nuages y sont oranges. C’est beau. Filants, dispersés. C’est ça la paix dans le monde. Ça me donne envie de dormir. Je vais dormir. Bonne nuit, dit Monique en se couchant lentement sur la route.
-    Ça y est. On est des assassins de la vie. Fallait pas les tuer. Pourquoi ça s’est passé comme ça je ne me sens pas bien on devait faire la révolution par le pacifisme non par le sang qui tâche le sable et maquille le soleil et les lauriers d’or et j’en peux plus.

Ils restèrent tous trois sur place. Roger, désabusé, s’appuyait sur la pile de chaussons les bras ballants, se lamentant de temps en temps à haute voix. Robert était debout et immobile, une main dans le slip, et Monique dormait paisiblement, un sourire béat sur le visage. La police arriva peu de temps après, alertée par le voisinage, et arrêta les révolutionnaires. L’incident fit rapidement grand bruit et sa description se clona dans toutes les bouches, les médias s’attelant immédiatement à l’utiliser pour vendre de l’émotion. On mit en scène des affrontements entre les proches des victimes et des coupables, des débats sur la mondialisation, la délinquance provinciale, la mauvaise influence des westerns et Marc Dorcel.

Le jour du procès, l’œil des caméras se délectait du sourire confiant de Roger qui marchait avec l’assurance d’un empereur sur les marches du tribunal, la tête haute, le regard droit et inquisiteur. Conscient de son charisme et de son élocution inégalables, il avait refusé l’avocat commis d’office et décidé d’assurer sa défense lui-même. Monique, elle, ne parlait plus depuis le soir de l’opération, et Robert suivait tout le monde, les yeux mi-clos et le visage vide d’expression.

Le moment de la plaidoirie venu, Roger se leva en s’éclaircissant la voix et commença d’un air se voulant solennel :

-    Monsieur le Juge. Vous connaissez les propriétés physiques de la matière du sable dans les dunes ? Je vais vous les dire, moi. Les grains dedans le sable ils restent tous ensemble. Oui. Ils font les formes et les reliefs du désert de la planète, ils volent en groupe avec le vent, ils s’écrasent tous pour laisser passer les tanks et ils coopèrent avec le Soleil pour réchauffer la plante des pieds monde. Les grains dans le sable ils sont bons et loyaux envers eux-mêmes et ils sont bien comme ça. Alors pourquoi que l’Humanité dans toute sa splendeur serait pas comme dans le sable du désert de la planète ? Pourquoi qu’il faut toujours que des grains d’homme de l’humanité roulent sur les autres dans la société moderne actuellement ? Rien que vous monsieur le juge avec votre robe et votre marteau vous faites le gros grain comme ça mais si vous descendiez de votre podium on pourrait discuter de la vie dans la bonté des grains qui se respectent envers eux-mêmes et je suis sûr que vous êtes au moins aussi riche que le patron paix-à-son-âme alors vous devriez commencer par donner votre argent trop montagneux aux nécessités SVP.

Un murmure général d’approbation s’éleva dans la salle. On entendit même distinctement quelqu’un dire que c’était bien vrai le juge il a des sacrées couilles en or vas-y Roger défends-toi c’est tous des enculés.

-    SILENCE § Je vous conseille de ne pas aggraver votre cas en proférant d’aussi stupides assertions, accusé. Qui plus est, je suis loin d’être aussi opulent que vous l’affirmâtes, et certainement moins que vous, Môssieurs l’épicier de la Rue des Soubrettes, qui fîtes des commentaires magistralement outrageux sur mes testicules.

L’un des policiers qui gardaient les portes se laissa aller à un commentaire :

-    C’est vrai le saucisson il est à 8 euros là-bas il est fou ce monde dans lequel vit-on.
-    Ben voyons, maintenant c’est les flics qui se plaignent, avec tous les avantages qu’ils ont ! fit le boulanger avec raillerie.
-    De toute façon, moi, j’aime pas l’argent, dit quelqu’un de l’audience en se levant et se courbant pour saluer. Mais personne n’applaudit.
-    Menteur ! cria son voisin. Et il le tua. Tout le monde applaudit.
-    CESSEZ IMM2DIATEMENT CETTE CONDUITE Ö PL7BE IND2CENTE ET FURIBONDE § PERSONNE NE PEUT OCCIRE EN SES LIEUX SANS MON AUTORISATION § se mit à scander frénétiquement le juge, vert de colère, en faisant claquer son maillet.
-    Et puis quoi encore ! On fait ce qu’on veut. On paie nos impôts, répondit la foule unanime.
-    SILENCE § CANAILLES § BÄTARDS § TIERS62TAT § - MILITIENS? 2VACUEZ LES BELLIG2RANTS IMM2DIATEMENT § hurlait le juge en martelant continuellement.
-    Seulement si vous nous payez, répondit fermement le chef des policiers.
-    Morts aux policiers véreux ! vociféra la foule.

Et ce fût le départ du chaos, le signal que tous attendaient pour se péter la gueule dans la convivialité. Chacun y allait de sa propre justice ; celle qui frappe sans regarder ou sans savoir, celle de la rancœur ou du dégoût, du défoulement ou de la peur, entre les cris de douleur, les grognements de plaisir et les rires jubilatoires. La salle se remplit peut à peu de bêtes aveugles partout qui semblaient se nourrir avidement des coups lancés au hasard dans la chair et les os du voisin, soumise avec grande joie à son besoin naturel d’empreindre la gueule de son environnement. Des corps étaient projetés çà et là, des chaussons virevoltaient dans toute la salle, des mandibules craquaient, des côtes s’enfonçaient, embrochant les vaisseaux, crevant la plèvre, et tous participaient à faire jaillir des constellations d’hémoglobine qui venaient s’épanouir sur les murs du tribunal en une fresque brute, témoignage posthistorique ultime encore plus sensuel qu’à Lascaux.

Roger était monté sur l’estrade et tentait désespérément de faire comprendre au monde à quel point il était la Révolution, la Lutte, la Liberté et la Beauté du sable, criant et s’agitant de plus en plus sans que personne toutefois n’y prête attention. Seule Monique demeurait calme et immobile, jusqu’au moment où certains purent l’entendre dire : « Les nuages viennent tous nous dévorer », avant de porter la main à sa ceinture où elle déclencha la charge de 6 kilogrammes de TNT qu’elle portait.
Dans la fraction de seconde qui précéda sa mort ainsi que celle de tout le monde à l’intérieur du tribunal, Roger eût le temps de voir le Soleil, aveuglant de beauté et de pureté, s’avancer et grandir dans sa direction, projetant autour de lui des centaines de particules uniformes.