Rouages 1 - Le moustachu

Le 15/07/2011
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par Carc
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Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Sur les starting-blocks, une seconde SERIE produite cette fois-ci par Carc, n'en doutez pas, vous serez sublimé par les scènes d'action époustouflantes qui soutiendrons un suspens haletant jusque la fin de saison où un formidable final-twist concluera le feuilleton en feu d'artifice, en apothéose. Nous sur la Zone, on est comme ça. On vous file pas des séries à la mords-moi-l'noeud avec des clifhangers de merde. Non, c'est du lourd. Un truc superplanifié au microdétail près pour vous en foutre plein les yeux jusqu'au nerfs optique comme une bonne ejac faciale d'acide. Il sera question ici dans ce premier volet (oui chaque épisode est vrillé autour de sa propre morale, de ses propres conclusions philosophiques profondes car nous n'avons pas l'intension de vous faire perdre votre temps avec des descriptions inutiles ou des clichés que tout à chacun a vécu des 10aines de fois) donc oui dans ce premier volet il sera tout particulièrement question de problématiques capilaires existencielles et de la place de la testostérone dans la vision pré-nitzschénne de l'homme en translation.
Aéroport Toulouse-Blagnac. 18h. La machine n'avait eu que quelques minutes de retard. En quittant l'avion, j'avais adressé un sourire charmeur à l'hôtesse de l'air. Comme pour me rassurer que mon charme était encore en état d'opérer après les 3 heures de vol que je venais d'effectuer. L'hôtesse me l'avait rendu avec toute la fausseté du sourire sur commande. Dehors, il faisait encore très chaud. Au loin, un immeuble vomissait une façade rose par vaguelettes dans l'atmosphère, déformée par l'été aquitain.
Passé la sortie de l’aéroport, je me dirigeai vers la file des taxis d’un pas trainant. Je les contemplais. Le premier taxi de la file avait connu des jours meilleurs. Sa portière était déformée. Le chauffeur, un homme brun à moustaches était entré dans le taxi, s'éventant avec un de ces quotidiens régionaux à la qualité douteuse. Il suait à grosses gouttes, les gouttes perlaient sur son front avant de commencer une lente descente le long de ses tempes, caressant ses joues et se terminant brusquement dans le col de sa chemise entrouverte qui laissait apparaitre quelques poils. J'ouvris la porte. Sans même lui adresser la parole, j'entrais dans le taxi. Une odeur virile m'étreignit alors que je jetai mon attaché-case sur la banquette. Le moustachu me regarda. D'un geste ferme, il empoigna son volant. Je pris le temps de m'asseoir, refermai la portière, attachai ma ceinture et le dévisageai. Il n'était pas laid. Un peu bourru, tout au plus, mais pas vraiment laid. Ses yeux rieurs me lançaient des étincelles, alors qu'il ouvrit la bouche, rompant ainsi le silence qui s'était installé depuis que les bruits de l’extérieur ne nous parvenaient plus qu'en sourdine par des mots à l'accent provençal.

« Vous parlez français?
-Oui. Je suis ici pour la première fois.
-Pas moi. Moi je suis né ici. Toulousain, et fier de l'être!
-D'accord. Je vais à l'hôtel des beaux arts.
-Je connais. Mais faudra compter un supplément, y'a des bouchons, à cette heure-ci. »

Mon interlocuteur tourna la clé. Le moteur se mit à vrombir instantanément. Le moustachu zigzagua entre voitures et personnes d'une manière experte. Puis, au bout du parking, le taxi s'engouffra péniblement dans un petit creux laissé sur la voie rapide par le trafic encombré. D'un geste machinal, il alluma la radio. La fréquence était visiblement celle d'une radio locale, qui avait comme but déclaré de faire découvrir les derniers toussotements juvéniles d'un rock déjà trop vieux pour être encore consommable à la population de la ville rose. Je n'écoutais pas. Je fixais le paysage. Usines et HLMs défilèrent devant mes yeux tandis que le moustachu se frayait péniblement un chemin à travers l'heure de pointe du midi. Nous entrâmes en ville. Le trafic se fit plus dense encore, et le moustachu s'éveilla, injuriant et klaxonnant à tout va. Par la fenêtre, je regardais les passants. Certains avaient l'air fatigués, comme suffoquant sous la chaleur estivale. D'autres riaient, assis à un café. Encore d'autres marchaient vite, pressés d’arriver quelque part sous le regard de quelques clochards aux visages rougeâtres. Je n'étais pas dépaysé. Toulouse ressemblait à n'importe quelle ville qu'il m'avait été donné de traverser.

Le chauffeur prit un monument quelconque comme alibi pour tenter de relancer la conversation.

« Vous êtes en vacances?
-En quelque sorte.
-Moi j'habite à Matabiau. Avec mes deux enfants.
- Et votre femme?
-Elle est partie. A rejoint son amant à Bordeaux voilà quatre ans. Je n'ai plus de contact.
-D'accord.
-Vous êtes mariés?
-Non. Plus maintenant.
-Divorcé?
-Veuf »

Je n'étais pas veuf. Mon ex-femme était bien vivante, quelque part sous les palmiers d'un pays exotique à cocufier le nouvel amour de sa vie. Seulement, je n'avais pas envie d'en parler. J'avais envie qu'il me foute la paix.

« Désolé. Remarquez, au moins vous n'avez de pension alimentaire à payer.
-Oui
-Vous restez longtemps?
-Je ne sais pas.
-Vous allez voir, Toulouse est une belle ville.
-Je n'en doute pas.
-Vous allez en profiter pour faire un peu de tourisme?
-Je ne sais pas.
-Vous devriez. Tant qu'à faire, autant profiter de votre séjour. »

Je ne répondis pas. Il n'y avait rien à répondre. Le moustachu n'avait plus rien à dire non plus. Il s'éclaircit la gorge, puis, voyant que je me détournai de lui, reporta l'intégralité de sa concentration sur les artères surchargées que le taxi parcourait. Du coin de l’œil, je le regardais augmenter un peu le volume de la radio. Il se mit à siffloter. Je suivis ses doigts frapper le rythme de la chanson sur le cuir mat du volant. « On arrive bientôt », me dit-il, « c’est au coin de la rue ». J’acquiesçai.
Il se gara hâtivement sur le trottoir et me fit part de son prix alors je sortais mon portefeuille de la poche intérieure de mon costume. Après l’avoir payé, je descendis, empoignant fermement mon attaché-case. Le moustachu me fit un signe de la main et repartit dans l’autre sens. Je restais un instant immobile sur le trottoir, puis me décida à entrer dans le vestibule de l’hôtel.
L’hôtel avait certainement été luxueux il fut un temps. Mais un demi-siècle d’aller et venues avaient laissé ses traces. La moquette rouge n’était plus de toute fraicheur, ainsi que les décorations murales. Partout il y avait cette étrange odeur de vieille bâtisse qui aurait mérité un petit lifting. A l’accueil, une vieille dame lisait un magazine féminin d’un air ennuyé. Elle me vit arriver quand je poussai la porte, mais elle n’interrompit pas sa lecture pour autant. Sur le comptoir était placé une petite corbeille de bonbons avec une pancarte « Servez-vous » et un téléphone. De l’entrée, on distinguait vaguement le haut d’un écran plat. Je m’avançais. Arrivé devant la dame, elle leva les yeux et posa sur moi un regard interrogateur.
« Duval. J’avais réservé une chambre.
-C’est tout à votre honneur, Monsieur. Je regarde. »

Elle consulta son ordinateur, et releva le regard.

« Vous avez une chambre sur l’arrière du bâtiment, monsieur Duval. Au quatrième étage. Vous prenez l’ascenseur, vous tournez à gauche. Chambre numéro 418, avec lit double et balcon. »

Elle me tendit un porte-clefs en bois et se reprit sa lecture tandis que je cherchais l’ascenseur des yeux.


La chambre était spacieuse. Je me pris 10 minutes pour inspecter dans les moindres recoins ce qu’allait être mon logis durant les 2 prochains mois, jusqu’à ce que je trouve le temps, l’envie et l’annonce immobilière qui m’intéresserait. Le ménage avait été bien fait, il n’y avait pas grand-chose à redire en somme. Une douce lumière naturelle éclairait la pièce, à peine filtrée par des persiennes récemment repeintes. Par la porte vitrée du balcon, entrouverte, on entendait les bruits étouffés de la circulation. Je m’allongeai. Le matelas était confortable. Un soupir s’échappa de ma bouche. Je n’avais pas dormi depuis deux jours. Trop de choses à faire. Il avait fallu que je rende les clefs de mon meublé parisien désormais inutile, que je fasse parvenir mes affaires au commissariat et que je trie mes documents. La paperasse, cumulée à la lenteur de l’administration, cumulée à mon incapacité de faire preuve de prévoyance dés qu’il s’agissait de documents officiels. Je m’endormis, tout habillé.