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Le 03/03/2012
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par Koax-Koax
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Thèmes / Obscur / Autres
Autant le dire, je suis mitigé sur mon propre texte (et ouais, je me publie pendant que des textes en attente prennent la poussière depuis dix ans, ta gueule, on t'as dit); d'une part, j'ai pas voulu en faire trop, de l'autre, il me parait prétentieux sur la forme, et envers les influences qui lui sont analogues - et loin d'être cachées. Mais si vous remplacez le personnage de cette histoire par Jean-Pierre Chevènement, ou un quelconque autre animal terrestre à tendance hermaphrodite, alors ça devrait passer cmbdtc un jour de messe.
S’il arrive que des êtres s’évaporent dans la nature du jour au lendemain, l’on admettra dans la plupart des cas qu’il s’agit très certainement d’un suicide ou d’un rapt ; ces deux termes qui semblent se contredire, l’un par la forme de sa volonté, l’autre pour la raison opposée, ne sont pourtant, et surtout lorsque l’on habite au 26 rue de l’Equerre, pas si éloignés dans leur plan commun.
Il avait toujours voulu connaître le rayonnement agressif des villes, ces vastes utopies aux multiplicités sans fin ; et c’était bien dans ce cadre tout en nerfs et en muscles qu’il s’était résolu à bâtir les fondations de sa nouvelle vie. Campagnard, cependant peu enclin aux travaux manuels et à la débrouillardise, il s’était tout de même trouvé un bel appartement dans cette rue du 26, appellée « l’Equerre » pour ce qu’elle s’arrêtait à l’exact angle droit de la faculté de médecine, au sein de laquelle il comptait s’accomplir et devenir, une bonne fois pour toute, quelqu’un d’important.

C’était un jeune homme suffisamment frêle pour attirer une quinte de toux à chaque brassée de vent vagabonde, et l’on pouvait très distinctement voir les veines de son épais front, de ses mains irrégulières et fines, pour tout dire, tout à fait translucides.
Le mot « fantômatique » savait donc parfaitement le définir. Pourtant, le voici qui voulait rejoindre les mondanités usuelles et connaître les palpitations du cœur et des corps ; aidé au besoin de l’importante masse d’argent qu’il avait reçue de ses parents, pour commencer sur de solides bases.

L’appartement du 26 rue de l’Equerre correspondait tout à fait à cet état des choses : au lieu de s’étirer en large comme le font tout les appartements moderne, celui-ci voulait s’enorgueillir d’une hauteur de plafond à s’en donner le vertige, le tout, dans des tons d’une blancheur maladive. Ces deux-là s’étaient décidemment bien trouvés. Le locataire avant lui n’avait laissé, en tout et pour tout, qu’une version plus qu’éraillée du Don Quichotte, illisible, illustrée de curieuse manière par un visage tout à fait blême et inconnu, à la fois absorbé et fuyant, et un stylo, rouge écarlate, planté dans l’œillet de la porte principale.

Cette introduction pourra passer pour superflue ; il s’agissait de placer un contexte et un personnage, qu’ils puissent au moins, avant que tout ne commence vraiment, connaître un semblant de repos.

Il tenait régulièrement ses parents au courant de ses activités, par la voie barbare du téléphone ; puis, au bout de trois mois d’isolement Parisien, il cessa, et lorsqu’eux l’appelaient enfin, il disait que oui, tout allait bien, qu’il avait beaucoup de travail, qu’il n’avait pas le temps, que promis, il viendrait à noël, en les avertissant seulement de ne plus attendre pour l’instant d’appels de sa part, justifiant d’un « je vais me concentrer au maximum pour mes études, on s’écrira, c’est plus simple, je préfère ».
Tout autant, il cessa de fréquenter la faculté de médecine ainsi que les quelques rares amis qu’il se fit au sein de cette dernière. Se rompre du tumulte lui était devenu un besoin auquel il ne faisait même pas attention, lui qui pourtant rêvait d’agitation et de populace ; il s’agissait d’obéir à ce besoin, sans plus se poser de questions.

Il commença d’abord par faire venir des étagères de pin massif, qui, en hauteur, frôlaient aisément le plafond. Il prit soin que, par la largeur, elles remplissent tout à fait les espaces tournés vers l’Ouest, contenus entre la fenêtre - la seule dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés - et les angles Nord et Sud, tout en se résolvant à ne plus pouvoir aérer ce qui serait désormais son enclos. Les autres murs furent également comblés d’étagères. De bibliothèques, pour être clair, car tout cet enchevêtrement de bois servirait à accueillir des livres. Et uniquement des livres. Ce fut alors quatre murs bien entiers, aux dépends de la salle de bain et de la cuisine, qui furent recouvert d’étages vides, et qu’il fallait maintenant remplir.

Le choix des livres se fit d’une manière singulière ; les livres devaient s’imposer à lui. Il ne devait pas, comme le faisaient les pleutres, choisir ce qui habillerait sa bibliothèque personnelle au travers de couvertures aguicheuses, de résumés peu rigoureux ou encore, de simples noms, aussi célèbres et renommés fussent ils. Non. Les livres s’imposeraient d’eux-mêmes. Ce qu’ils firent. Aussi, lorsqu’il allait de librairies en brocantes, il prenait, sans là non plus se poser de questions, deux, trois, quatre livres et dont il ne lisait même pas le titre, puis les disposaient en fonction de la taille, de l’aspect, de la couleur de tranche, dans ses étages qui, au bout d’une semaine, ne tardèrent pas à se remplir pour de bon. Ci-fait, le travail pouvait enfin commencer.

On trouvait dans ses rayons des ouvrages quasiment rendus illisibles par le temps, deux bibles incomplètes, les histoires extraordinaires de Poe en deux volumes reliés, un précis laborieux de médecine moderne, une édition décousue de la Pléiade, un Voyage au centre de la Terre quasiment neuf, et bien d’autres ouvrages allant du jamais ouvert à l’irrécupérable.

Au début, ses lectures se firent sous une forme classique : il prenait un livre à son commencement, pour arriver tout simplement à sa fin, c’était là la méthode la plus normale et la plus raisonnable de lire ; puis, il se mit à mélanger les chapitres. L'on pouvait alors trouver un Bardamu hanté par les dents de sa cousine Bérénice, fuyant d'atroces moulins à vent; puis il arrachait ces chapitres à leurs contenants, les reliant pour de bon, et ainsi de suite, jusqu’à ce que plus un seul des quelques trois-cent livres ici présents ne soit encore entier, exceptés sept d’entre eux, ces derniers ayant eu des jumeaux pour excuse, et ceux-ci désormais broyés sous les mains nerveuses du lecteur. Et il reliait ; parfois déliait et ajoutait une page noircie de notes de sa conception, parfois sombrait dans une rage sourde et déchirait au hasard quelques feuillets jugés inutiles et les dispersait dans la pièce.

Il lui manquait tout de même quelque chose.
Il fit venir une ultime bibliothèque adaptée aux mesures de la porte, très profonde cependant qu’elle ne comportait qu’un étage vide en guise de rangement, et dans lequel n’allaient rentrer que des livres jugés « nécessaires », comptant au nombre de sept, les justement sept rescapés. La porte d’entrée se retrouvait désormais condamnée par un Procès de Kafka, voisin d’une encyclopédie sans nom et rédigée en Allemand, voisine des Villes invisibles de Calvino, voisines du Don Quichotte échappé de l’ancien locataire peu soucieux, tous voisins, enfin, d’une Bible, d’un Coran, et d’une Torah.

A force de travail, d'études sur tout ces chapitres désincarnés, il entreprit de joindre les plus pertinents entre eux, sans aucun fil conducteur si ce n'est l'intuition, et il réussit. Le salmigondis de chapitres ainsi achevé, il le lu, à haute voix, debout, seul au milieu d'un amas de feuilles, là, face à sept livres bouchant une sortie, face à sept survivants attentifs.

Ses parents, qui, restés sans nouvelles depuis maintenant six mois, accusant un emploi du temps impérieux de leur fils ou une grêve prolongée de la Poste, commencèrent à s’inquiéter réellement, prirent la route sur cinq-cent kilomètres pour vérifier que tout allait bien au 26 rue de l’Equerre.

Effectivement, tout allait bien. Dans cet appartement resté ouvert, nu, au plafond si bas qu’il fallait presque marcher sur les genoux, et vide, vide de toute présence passée, à l’exception, là, posé sur le sol, d’un fameux livre de Cervantès crevé en son centre par un stylo rouge écarlate, transperçant le visage, en son centre également, d'un jeune homme frêle et maladif peint sur la couverture.