Résignation

Le 31/12/2002
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par nihil
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Thèmes / Polémique / Système
Un article qui répond aux questions que quelques lecteurs pourraient se poser à propos de la contradiction qui existe entre les idées et les comportements réels de nihil.
Ca fait plusieurs fois que des gens qui ne me connaissent pas très bien, qui n'ont pas bien compris comment je fonctionne, me demandent à la lecture de quelques uns de mes textes comment je peux encore vivre intégré dans notre système avec de telles idées, sans me sentir mal, comment je concilie mes principes et ma vie quotidienne radicalement différents, ou pourquoi j'accepte sans plus de réaction des comportements que j'abhorre.
Le but de cet article est de leur répondre en bloc et de fournir une réponse toute prête aux questions futures.
L'être humain est un animal grégaire, personne n'échappe à cette nature profonde. L'être humain vit pour et par le compromis et l'acceptation des règles qu'impose sa communauté. Il n'y a rien à y faire, on peut simplement l'accepter. Le fait de trouver cet état de fait absurde, de trouver les règles débiles ne nous en abstrait pas. Je suis un animal grégaire, et le fait de trouver ça con ne m'abstrait pas de l'être. On peut très bien être lucide sur sa propre condition.

Si je devais suivre mes principes à la lettre, je ne vivrais même pas en ermite, je me tirerais direct une balle dans le crâne pour m'échapper de ce carcan que ma nature même d'animal humain m'impose. Or il est un autre instinct qui nous est commun qui est l'instinct de survie, celui qui pousse les mourants à se battre jusqu'à la dernière extrêmité malgré la souffrance.

On peut trouver les règles absurdes et devoir s'y plier malgré tout. Il n'y a plus moyen de transiger aujourd'hui, on ne peut que subir le monde tel qu'il est, ce qui ne doit pas nous empêcher d'essayer d'être lucide sur sa nature, dans la limite de notre minuscule libre-arbitre.

On n'est pas obligé de succomber à l'auto-justification. Ce n'est pas parce qu'on se marie, qu'on achète une maison et qu'on a des enfants qu'on doit forcément se mettre à hurler que ces attitudes sont bonnes et souhaitables. On fait tous des concessions au système, que celui qui ne fait pas la moindre concession me balance la première caillasse. Moi quand j'achète un cd, je sais que je participe à un système que je déteste et je le dit, ça ne m'empêche pas de faire partie malgré moi de ce système qui me pousse à acheter toujours plus. Ce n'est qu'un exemple.

Mais à partir du moment où on accepte de faire une concession, on accepte déjà toutes les autres. Ce n'est pas pour ça qu'on doit trouver ça bien ou quoi que ce soit. C'est la philosophie du renoncement, si ça vous choque je m'en tape.

Intervient le phénomène de résignation, un sentiment d'impuissance qui fait qu'on sait qu'on aura beau se battre, ça ne servira à rien. Alors on cesse de se battre. Ca ne doit pas nous empêcher de savoir et de dire que le système est horrible mais qu'on a plié, que le système est horrible mais qu'il nous a vaincu. Qui ici n'a pas été vaincu par le système ? Personne. On subit tous son joug. Suffit d’être capable de l’admettre.

D'autre part, il semblerait que la vérité universelle n'existe pas et que chacun possède sa propre vérité. Qui suis-je, moi, pour dire aux autres : "ma vérité est LA vérité". Non je sais que comme tous mes contemporains, je me trompe, de par la capacité limitée de mon cerveau. Contredisez-moi, je ne pourrai que vous opposer l'argument-phare : "chacun son opinion". La résignation et la lucidité fait que rapidement on perd l'envie de se battre pour ses convictions, qu'on se contente de se renfermer et de dire à ses contradicteurs : "je suis pas d'accord, mais chacun croit ce qu'il veut". Personne ne peut convaincre personne par la discussion, c'est à l'éducation ou au caractère de votre contradicteur qu'il faudrait s'attaquer, et ça fait un peu trop. Je laisse les partisans de l'ordre moral, de la bonne marche du système et des traditions triompher par mon mutisme, et alors ? Ils ont déjà gagné, la marche du Système les conforte, ils sont les vainqueurs, les partisans de la normalité contre les marginaux, et la normalité triomphe toujours parce que si on la remplace par une autre normalité rien ne change.

Je me contente d'essayer de sauvegarder mes idées au moins pour moi-même et de rester lucide sur ma condition d'esclave. Je sais que j'ai déjà plié et que je continuerai à plier. Je suis un flemmard a qui on a graduellement fait perdre toute envie de se battre. Pourquoi je me battrais pour ma cause, alors que je sais que de toutes façons elle n'est pas meilleure que les autres ? Car je n e crois pas qu’il y ait de bien et de mal et donc pas de meilleur et de moins bien. L'être humain transformerais toute bonne idée en mauvaise.

Et puis peu à peu on apprend à s'en foutre.

Toutes les révolutions ont débouché sur les plus sanglantes des dictatures, qui suis-je moi, pour déclarer que ma révolution sera meilleure que les autres ? Alors je me contente de dénoncer sans proposer, car il n'y a pas de solution et que je m'en fout. Je sais que quoi qu'on fasse, rien ne sera mieux et ce de par la nature même de l'être humain qui pourrira illico tout changement. Ceux qui se battent sont des optimistes qui me sont étrangers. Je suis aussi lucide sur mes capacités que sur celles de mes concitoyens adorés.
La résistance passive est encore ce que je peux faire de mieux, participer le moins possible, ne pas faire d'effort pour cautionner le système, mais ne rien faire pour le changer, je sais déjà que ça échouerait quoi qu'il arrive.

On apprend à avoir des idées qu'on ne peut pas défendre dans la pratique, mais à concilier ses pensées et ses actes par le prétexte de la lucidité.

Et puis peu à peu on apprend à s'en foutre.
Et puis peu à peu on apprend à s'en foutre.

On apprend à aimer ses contradictions, à ne pas être choqué de créer un site de communauté tout en détestant l'idée même de communauté. C'est la viande qui parle d'un coté, contre la tête qui parle de l'autre. On apprend à se connaître et à se dire que ça n'a rien de grave d'être un tissu de contradictions. Moi ça ne m'embête plus de faire le contraire de ce que je pense. Je le fait si souvent que je m'y suis habitué. Tant pis pour les intégristes de l'ajustement obligatoire des idées aux comportements innés (je me comprends, je me comprends). Et tant pis pour ceux qui croient qu'on peut combattre le Système par des petits actes de révolte quotidienne. Je ris de la naïveté de cette idée et j'apprends à m'en foutre. Je me fous de ceux qui sont persuadés d'avoir raison, car ce sont des cons, seuls les êtres intelligents savent douter.

Je ne crois pas être particulièrement intelligent, je ne crois pas pouvoir changer quoi que ce soit, mais on ne m'enlèvera pas mes idées. Ca n'empêche pas qu'on m'a formaté depuis tout petit (ce qui prouve bien d'ailleurs, que mes idées sont à un niveau ou un autre, conformes à mon formatage non ? Voilà qui laisse à réflechir) et que je ne peux pas m'échapper. Je suis comme tout le monde moi. Ceux qui croient qu'ils ne sont pas formatés et qu'ils pensent et agissent librement sont des aveugles.

Je m'en fout.

Trève de justification.