Le Termineur

Le 11/04/2013
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par Carc
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Thèmes / Saint-Con / 2013
Ambiance testostérone et gros budget chez le compère Carc qui sort du registre de ses textes sombres et rageurs habituels, et il faut dire que c'est plutôt divertissant. On y trouve des effets pyrotechniques de qualité, des invités de marque et une montée dans la frénésie destructrice qui n'est pas déplaisante. Précisons tout de même que le pop-corn n'est hélas pas fourni avec le texte.
Beverly Hills, Californie, 2013. Je me cramponne à mon pistolet automatique. À côté de moi, une voiture explose. Le souffle chaud de l'explosion me caresse la joue, alors qu'un ventilateur fait virevolter les cheveux. Il y a une fille couchée au sol, je me dirige vers elle. « Ça va aller, je lui dis, ils sont partis ». Elle couine, et me demande mon nom. Pour l'assurance de la bagnole certainement. Toutes des putes.Je lui réponds : « Je suis le termineur. Je sauve les gens en terminant leurs emmerdes. C'est ce que je fais.
-Tu es une sorte de super flic qui roule en Aston Martin® alors?
-Oui. Et toi, tu as de la chance que je sois passé. Maintenant, ferme ta gu.. »
« COUPEZ ! ». La fille me regarde :
« Vraiment ? Ferme ta gueule ? Quitte à oublier ton texte, t'as pas trouvé mieux ?
- Non, je dis, ça me paraissait le moins improbable. »

Charlie, le réalisateur, vient vers nous. Il me lance un regard noir. Le genre de regards qui veut dire « toi, mec, oublie ton contrat pour la saison prochaine. T'es grillé ». Il se pose devant moi, redressant le buste afin de rendre ses formidables 1m20 au garrot un peu plus impressionnants encore. Il rentre le ventre, aussi. « C'est nul, dit-il, tu es nul.
-Je sais, je réponds. Prenez un chewing-gum, Émile! »

Il ne goûte pas à la blague. Plutôt que de rire de bon cœur de mon trait d'humour fin et sophistiqué, il se met à gueuler: « Tu te crois drôle peut-être ? Attends, j'ai fait un script, il est passé par toutes les mains, et toi, tu te crois trop drôle, et trop bon, et trop supérieur pour daigner le respecter? Tu te fous de moi?
-Mais il est pourri, ton script ! Attends, sérieusement, « le termineur », t'as pas trouvé encore plus con ? Je sais pas moi, pourquoi pas le dégangstériseur, ou le findenculeurdemoucheur. Il est nul, ton script.
- Mon script a été accepté par les patrons, c'est qu'il y a une raison. Si t'es pas d'accord, t'es viré, c'est aussi simple que ça! D'ailleurs, t'es viré, connard!
-Oui, d'accord. J'ai envie de faire pipi. C'est où les chiottes?
-Demande à la stagiaire, j'ai mieux à foutre que de m'occuper de toi! »

Je me retourne, et je pars. Vers la stagiaire d'abord, histoire qu'elle me guide. Monde de merde, comme dirait l'autre. C'est un labyrinthe, ces foutus studios. Un labyrinthe décoré de produits dérivés, ou de pubs discrètes. Faut bien faire du fric. Fanny me dit de la suivre, et s'en va. Je lui emboîte le pas.

„Et sinon, tu sais que je suis un acteur célèbre?, je lui dis.
- Non, et?
- Je te jure, je suis sur le point de tourner dans le nouveau Spielberg. Une histoire d'escalators qui développent une vie propre, et qui bouffent les humains. Moi je suis l'électricien-héros qui leur fais faire un court-circuit à l'eau chaude à la fin.
- D'accord.
- Y'a le rôle de la gourdasse du héros qu'est pas encore distribué. Steven pensait à Angelina Jolie, mais si ça t'intéresse je peux te le présenter.
- Tu veux quoi, au juste?
- Tu veux pas me sucer la bite? Je peux te montrer des stars.
- Non.“

Toutes des putes. Et toutes les mêmes. Tu vas voir que j'aurais à peine baissé ma braguette qu'elle sera déjà à quatre pattes devant moi, parce qu'on sait jamais. Et j'aurais droit à une fellation préventive, et peut-être aussi à un « casse moi la rondelle » aussi préventif que la pipe qui l'aura précédée. C'est beau Hollywood. C'est tellement beau que j'en pleurerais.

Devant la pissotière, j'attends. J'attends qu'elle se décide à entrer. Je lui crie encore « Tu peux venir, y'a personne ! ». C'est la convention qui veut ça, moi j'ai pas vérifié. Et je ferme les yeux, la bite à l'air, histoire d'avoir la maigre surprise du résultat quand même.

Sauf que rien. Même pas une petite branlette. La pute est même repartie de là d'où elle venait. On a pas idée de refuser les éventuelles promotions canapé comme ça. Je repars, et je la vois sur le plateau, en train de faire un peu le ménage. Changement de tactique « Hé, je lui dis. Ça te fait pas chier de faire larbin
-Un peu, elle me répond. Mais ça sert mes projets.
-C'est quoi tes projets ?
-J'ai un film à faire. Le script est écrit. Sinon, rien. Mais Charlie a dit qu'il me donnera les sous pour acheter une caméra si je fais du bon boulot sur ce set là.
-Du bon boulot de stagiaire ? Tu veux dire que c'est lui que tu sautes ?
-Ta gueule.
-Non mais ça m'intéresse, c'est tout. Il parle de quoi ton film ? Peut-être que tu viens de trouver un de tes acteurs, maintenant que je suis libre de cet engagement là je peux me consacrer à autre chose.
-Cause toujours, gros con.
-Tant pis. Tiens moi au courant, Cécile.
-Je m'appelle Fanny. »

Et je pars. Comme ça. Paf, je laisse planer le doute, et elle me rappellera. Certainement.

[Flash-back émouvant : Le téléphone qui sonne dans une maison vide. Il y a que moi, il fait noir et j'ai peur du noir. Je descends quand même, j'affronte mes peurs et mes angoisses, parce que c'est chiant un combiné qui sonne. Je décroche le téléphone. « Allô ? Je dis, c'est moi à l'appareil
- Coucou mon chéri, c'est maman. Je voulais te dire qu'on est en train de rentrer. ». Fin du flash-back.]


Ça ne manque pas, elle m'appelle. « Je le savais, je dis.
-Salut, gros con.
-Moi aussi j'aime ton boule. Tu passes quand ?
-Non. Mais on peut commencer le film. J'ai une caméra. Je l'ai embarquée discrètement. Puis ton jeu d'acteur suffira bien, pour le peu qu'il y a à faire.
-Je tourne les pornos aussi.
-Ça sera pas nécessaire. Ramène des vêtements noirs par contre, je t'explique le reste ensuite. Tu seras payé, je suis catholique par mon père et rentière par le carreau d'arbalète qui lui a baisé la gueule.
-D'accord. Je dois aller où ? »

Elle me donne l'adresse. Je la note sur un petit bout de papier, et je descends dans la rue, trouver un taxi.

[Flash-back larmoyant : Je suis dans un bar nul, et y'a une fille qui fait un Karaoké. C'est nul, ce qu'elle chante. Un truc genre « Cassé », par Nolwenn Leroy. Elle finit, et puis elle revient à ma table, larme à l’œil. « Cette chanson me fait toujours penser à mon ex », elle dit. « Ouais », je réponds. Dans ma poche, y'a une capote. Je veux pas d'enfants avec quelqu'un qui chante aussi mal. Fin du Flash-back]

Elle est déjà devant le studio quand j'arrive. Je paye le chauffeur, et lui laisse même un pourboire. « C'est pour la moustache », je dis. J'aime bien les moustaches, et il en a une. Je descends, non sans voir son bras d'honneur du coin de l’œil, et m'avance vers elle. « Salut beauté, je dis.
-Ta gueule. Bon, je t'explique ?
-D'accord.
-Alors, tu vois, en fait, c'est simple. Il s'agit de foutre le feu au studio.
-Faut commencer au début, je crois.
-Bon. Tu vois, Hollywood, la fabrique de rêve, la machine à fric, tout ça ?
-Oui.
-Eh bien c'est nul. Des années qu'ils ne nous sortent plus que de la merde. Des adaptations d'adaptations, des films pourris.
-J'ai bien aimé Avatar, pourtant.
-Ta gueule, je m'en fous. Donc, faut les cramer. Je te paye, tu le fais, moi je filme.
-Et tu veux pas plutôt cramer un type ? Pas moi, hein, un acteur, un vrai.
-C'est l'industrie, le problème. Les scénarios à deux balles. Les intrigues qui n'en sont pas. Les outils de narration surexploités. Regarde, même toi tu fous des Flash-backs qui apportent que dalle à ton histoire de partout. Alors qu'au fond, c'est les ellipses qui t'emmerdent, parce que tu sais pas faire.
-D'accord. Alors en gros je dois foutre le feu au studio ?
-Oui. Essaye d'y passer des sentiments aussi. »

C'est nul comme film. Me voilà donc avec un bidon d'essence, à arroser un studio comme on pisserait sur le mur d'une église. Je grimace un peu, je fais mine de boiter. Pour le côté romantique de la chose, j'écris même des obscénités au rouge à lèvre sur les murs. Fanny est à côté, caméra sur l'épaule et m'encourage. « Plus d'émotion. Tu es un guerrier, putain !
-Je fais ce que je peux. C'est difficile, tu sais, de jouer le pyromane obsessionnel.
-Ah mais tu fais ca très bien. Sors les allumettes maintenant, tu veux ? »

Les allumettes sont sorties de la poche. J'en craque une, elle s'éteint. Pas de bol. La deuxième se casse sous mes doigts. La troisième, elle, marche. Le feu prend, et alors que le studio s'embrase, moi, je me déshabille. « Qu'est ce que tu fais, elle me dit.
-J'ai envie de danser autour du feu, je réponds. Ça fera comme dans ce film, là, comment il s'appelle.
-Police Academy ?
-Ouais, c'est ça. »

Et je danse. Quelque part, une sirène retentit. Une vielle chanson me revient à l'esprit. Je danse, et je chante une histoire de milles colombes, et je me sens vachement rebelle. Dans le studio, une voix retentit . Je la comprends pas très bien, mais elle semble crier un truc dans le genre « AU SEGLOUPS ; JE SUIS PRIS DANS LES FEMMES ET JE PEUX PAS SORTIR §§§§§§ ». Je réponds en gueulant : « MOI AUSSI JE VEUX BIEN ETRE PRIS PAR UNE FEMME ; TU CONNAIS PAS TA CHANCE§§§§ ». La voix répond, un peu plus nettement : « LES FLAMMES ; CONNARD §§§§ ». Bon, tant pis. J'entame, pris par un élan de poésie, une nouvelle chanson :
« JE SUIS UNE FLAMME AMOUREEEUSE, je crie.
-Putain, t'es con comme une bite quand même, Fanny me répond.
-ET JE BRÛLEUH D4ENVIE DE DRESSER AUTOUR DE TOI LES MURS DE MA VIIIIIIIIE§§§ »

Paf, le deuxième Studio brûle. Elle a cet effet là, Mireille Mathieu. 60 ans, et toujours autant capable de mettre le feu. Visiblement, dans celui là, on était en train de tourner. Pas deux minutes se passent que 30 personnes sortent du bâtiment en toussant. Kof kof. Elles nous regardent sans comprendre, alors que Fanny, qui a maintenant lâchée la caméra se met à les bénir au sans plomb. Quelle allumeuse, celle là. Tiens, mon humour vient visiblement de prendre feu, lui aussi. Pas grave, on vit mieux sans, de toute façon.

Bientôt, c'est tout Hollywood qui brûle, acteurs, metteurs en scènes, caméras et équipes de tournage compris. Non loin de moi, une blondasse court de droite à gauche et de gauche à droite en criant qu'elle ne veut pas mougloups. Le gloups étant le tuyau de station service que Fanny lui met entre les dents en l'invectivant à faire comme si c'était la bite de Mel Gibson.

« Pas cool Fanny, je lui dis. Il a des enfants, Mel. Et il aimerait pas.
- Tu parles qu'il aimerait pas ! Je le connais bien, j'avais déjà essayé de faire ca pour la passion du christ.
-Tu peux me le présenter alors ?
-Désolée, t'es pas assez bien roulé.
-Discrimination à l'embauche, ça va pas du tout ! »

Alors que je m’apprête d'appeler la Halde tandis que Fanny fait cramer les 36 camions de pompiers qui se sont pointés entre temps, j'aperçois un lance-flammes dans le matos de la stagiaire. La Halde attendra, tout compte fait. Car je suis le termineur. Je termine les emmerdes des gens, c'est ce que je fais.

[Flash-Back poignant : Je suis assis à la table de la cuisine. Ma mère me sert un chocolat chaud. Je demande s'il y a des petits gâteaux. Fin du flash-back.]


Séquence épilogue :

On est assis dans les collines un peu plus haut et on se regarde. On se regarde, et c'est comme si on s'était toujours connu. Au loin, le soleil se lève sur les brasiers que nous avons allumé, et une voix nous parvient : « LAISSEZ MOI SORTIR ; JE M4APPELLE DOMINIQUE STRAUSS6KAHN ET J4AI RIEN A FOUTRE ICI§§§§§ »