Je voulais être un fourmilier

Le 12/04/2013
-
par Koax-Koax
-
Thèmes / Saint-Con / 2013
Cette année, Koax-Koax fait dans la science fiction, et sous sa plume c'est l'Alien de Ridley Scott qui s'invite à la saint con. Environ. C'est bien écrit, divertissant et avec de bonnes idées, mais la crémation finale laisse quand même un petit peu à désirer quand même.
"- Enfin, merde, quoi, capitaine. Vous comprenez bien que si on décide de tirer sur cet astéroide, même de côté, il n'y aura aucun moyen pour qu'il aille rebondir sur Saturne tout là-bas. J'y connais pas grand chose en lois physiques, mais je sais que sur Terre, un missile, ça balance pas des coups de pied dans les trucs pour qu'ils s'écartent, ça les explose, et c'est tout.
- Je mène toujours de vingt bon points, en attendant. Qu'est-ce que tu dis de ça, le Pleutre ?"

Enchainant tirs gagnants sur tirs gagnants, le capitaine éructait de joie aux commandes de la console de lancement, tel César victorieux au milieu des troupes ennemies effondrées. Au début de notre jeu, on tirait uniquement sur des astéroïdes. Mais, avec la même frénésie que se partagent les joueurs de poker, le capitaine avait décidé d'instaurer une nouvelle règle afin d'augmenter le challenge. Transformer le jeu en un billard de l'espace, dont les trous seraient les planètes que nous rencontrions.

Je ne m'étais pas engagé sur cette mission avec une volonté particulière. Petit, je n'ai jamais rêvé de devenir astronaute. Ni même pompier. Ni même professeur. Je voulais être un fourmilier.

Ce n'est pas l'ambition qui m'a conduite sur ce vaisseau. Ce n'est pas non plus celle de mes parents, ni leur fierté, ni un quelconque besoin impérieux de prendre une revanche sur le monde, qui les auraient conduits à m'élever pour justement, l'élévation. Ce monde qui n'avait fait d'eux que de simples employés de bureau les avaient ancrés profondément sur le sol des Hommes. L'infini manque de structure, et de fait, les rends complètement hermétiques à tout ce qui dépasse le cadre confortable de leur vie propre et rangée. Ma réelle vocation, c'est la fuite. Et ce qu'elle peut comporter comme moyens pour y parvenir. C'est elle qui m'a amené à quitter la planète bleue.
Parce que la fuite me convient comme mode de vie, j'ai toujours oeuvré pour obtenir les outils adéquats, afin de m'en aller pour de bon, là où personne ne viendrait me déranger. Je m'étais concentré sur mes études plus que sur toute autre chose et suis devenu pilote d'engins aérospatiaux. Pouvoir un jour quitter la pression terrestre et la paperasse absurde du quotidien, et ceux qui subissent la pesanteur, étant devenu mon seul et unique Leitmotiv.

On m'appelle le Pleutre. Pour ces raisons précises, je ne contredirais pas le choix de ce surnom. C'est moi qui suis responsable de la conduite à bon port de notre voyage, bien que je puisse m'affairer à d'autres tâches, comme sortir les poubelles. Ou faire une partie de "Shoot dans la planète" avec le capitaine, dépositaire, pour sa part, d'une mégalomanie sans commune mesure et d'un goût prononcé pour la destruction.

L'ambition sait avoir des exigences de hauteurs et de distances. Le capitaine pesait de tout le poids de sa prétention et de sa cruauté sur l'équipage. chaque jour, différentes aberrations lui sortaient du crane pour pouvoir tous nous déstabiliser, allant du réveil à quatre heures du matin, à coup de mélodies difformes jouées sur son précieux clavier bontempi, jusqu'à la fomentation de théories conspirationnistes à son encontre.
Pour cet homme, nous n'étions que des sujets d'étude dont il fallait prouver à tout prix l'instabilité mentale. Ce comportement avait fonctionné avec l'agent d'entretien, Carl, qui se mit pour de bon à ourdir quelques manigances afin de renverser le pouvoir en place.
Le capitaine lui a ôté les bras à coup de sabre, l'a fait rôtir avec son lance-flamme, puis a accroché sa carcasse encore fumante à l'avant du vaisseau. A l'heure qu'il est, il n'est rien d'autre qu'une espèce de queue de renard ornant le pare-brise de notre Voyager10.0413.

Ce 10 Avril, nous nous étions mit à table plus tôt que prévu. Notre destination se rapprochait, et tout l'équipage était sur les nerfs.

Les deux cuisiniers de bord s'activaient fiévreusement tandis que le reste de l'équipage prenait place.
Joris, le mécano, que l'on appelait "Gros-homme", était un être ventripotent et gazeux, grossier dans ses manières, mais efficace dans son travail. Il se plaça bruyamment en bout de table. Hans, dit "le Puant", médecin de bord et expert en négligences de toutes sortes, s'était placé à côté du capitaine, soit en face de moi. Hans était autant médecin que moi pianiste, les relations de son père sur Terre lui avaient permit de s’octroyer une place à bord. Il ne faisait rien d'autre que de dormir et cirer les pompes du capitaine.

Les plats arrivaient, abondants et riches : du gigot, une pleine fournée de cuisses de poulet, du pain, des ramequins remplis de sauces en tout genre, des côtes de porc, des frites et des saucisses à profusion. Le capitaine prit un peu de chaque plat, avant de prendre la parole :

"- J'ai fait cuire l'essentiel de nos provisions avant qu'elles ne périment, après ce festin, on aura plus rien d'autre à manger que des pilules à la con, alors le Gros, fais-moi plaisir, engouffre moi tout ce bordel dans ton claque-merde, on ne gaspillera rien ce soir ! Ressert toi ! Termine moi ces saucisses, et ressert toi encore !
Le capitaine était bizarre. Tout du moins, plus que d'habitude. Ses yeux étaient hallucinés, sa peau semblait se craqueler par endroits, et sur ses tempes apparaissaient deux taches noirâtres, pleines de pustules.

- C'est que là, *Burp* je me suis déjà servi autant que je vais pouvoir en manger, alors...

- Alors ta gueule, tu comprends pas que ton gros cul m'emmerde profondément ? Avale moi tout ça, c'est un ordre."

Au bout de la table, Gros-homme, qui avait déjà bien du mal, s'exécutait sans plus sourciller. Il se bâfrait, éructait de toutes parts. Des lambeaux de viande lui pendaient de la bouche, de la graisse lui coulait le long de son double-menton; il se mouchait dans sa manche et reprenait son souffle péniblement avant de se resservir de plus belle. Il suait à grosses goutes, son visage se métamorphosait, le haut de son crane commençait à changer de couleur, et sa main gauche s'accrochait de toutes ses forces à la table, arrachant un peu la nappe au passage. Je voyais son buste se soulever un peu plus à chaque mastication, sa respiration était celle du train à vapeur, et chaque bouchée le transportait dès lors un peu plus près du terminus.
Gros-homme ne s'en doute pas, il voyage seul vers un monde nouveau, plus infini encore que celui qui nous entourait à l'extérieur du vaisseau. Il commençait cependant à n'en plus pouvoir, vomissait un peu, s'affaissait à moitié, les yeux pleins de larmes, les veines de son front et de ses mains sur le point de céder.

"- Allez mon gars, on termine ! Tu sais qu'avec l'oxygène que tu nous pompes, on pourra jamais revenir tous sains et saufs, tu le sais ça ? Alors mange moi tout ça, tas de bidoche mal branlée ! Je vais t'aider moi !"

Le capitaine s'était levé de sa chaise, enfournant dans la gueule du Goliath terrifié tout ce qui lui passait sous la main, tassant le tout à coups de poing; et voici, enfin, débordant de sauces, de cuisses et de mets en tout genre, Gros-homme qui s'écroule, hoquetant, sa mécanique respiratoire enrayée à jamais, tandis que le médecin se gaussait comme un ivrogne.

- On va pouvoir mieux respirer, les gars. Mais c'est pas encore terminé. Toi ! Le capitaine se tournait vers Hans, encore hilare.

- Ou..oui mon capitaine ?

- T'es qu'une petite parvenue malapprise ! Qui t'as permis de rire du malheur de tes camarades ? Petit fils de chien, je vais t’étriper fissa !

- Je, mais non, je riais pas du tout, capitaine, je..."

A la vue du lance-flamme, le médecin paniqué s'échappa à travers les couloirs du vaisseau, poursuivi par l'incarnation du croque-mitaine, qui crachait des flammes dans tout les sens.

Je continuais mon repas le plus tranquillement du monde avant de partir à la recherche des mes deux équipiers. Les couloirs se succédaient, ainsi que les traces de sang et de brulures sur les parois. J'avançais néanmoins sereinement, en tant que pilote, j'étais le seul disposé à nous faire arriver sans encombres. Je ne craignais rien.

J'arrivais enfin dans la pièce située juste avant le cockpit, manquant de trébucher sur le lance-flamme. Le capitaine avait le visage plongé dans les entrailles carbonisée de Hans, relevant parfois la tête pour mieux mâcher. A ma vue, il s'est redressé, le regard lointain. Les deux tâches qui d'abord n'étaient que des points sur ses tempes s'étaient rejointes et recouvraient son front d'une substance purulente et sombre. Il s'adressa à moi. Je remarquais sa voix, différente, gutturale :

- Ecoute moi bien, le Pleutre, personne d'autre que moi ne mérite de conquérir ces morceaux de cailloux à la con, là dehors, tu comprends ça ?

- Je crois qu'un poulpe est en train de vous pomper le crane, capitaine.

- Gaaah...T'as l'air renseigné, petite merdgnn...C'est trop tard pour toi aheuugnn maintenant tu vasgnnnn...

- Vous devriez aller vous reposer.

- Le Pleutre, je vais tegnnn, AAAAH§ je suis un putain, de, gnnnaaah..."

Ses yeux n'étaient plus que deux billes blanches, qui roulaient dans tout les sens sur leurs axes. La matière noirâtre qui lui suçotait le crane lui coulait sur le reste du visage. Il se couvrait de pustules qui crevaient immédiatement; ses dents tombaient sur le sol, sa bouche se déformait en une espèce de grimace impossible, de son nez et de ses oreilles sortaient des colonies de fourmis rouges et énormes. Peut être le capitaine était-il déjà mort - il n'était du reste plus humain - je devais cependant m'en assurer.

J'ai profité de sa lente transformation pour ramasser le lance-flamme. Puis j'ai arrosé, droit devant moi. La chose s'est d'abord retrouvée projetée en arrière. Elle s'est relevée, les vêtements en proie aux flammes, s'agitant dans tout les sens. Elle courait à travers toute la pièce, hurlait à la mort tandis que sa chair fondait, et que bientôt, ses jambes se briseraient dans un bruit de bois que l'on fend à la hache. C'est comme si cette créature avait été faite de plastique plutôt que de chair. Elle se contorsionnait au sol comme une pestiférée tandis que je lui glissais le lance-flamme dans le cul et que j'envoyais une nouvelle salve de feu qui la traversa toute entière pour ressortir par sa bouche. On eut dit un animal hybride entre la limace et le dragon. Je la laissais se consumer là, et me dirigeais à l'intérieur du cockpit.

J'avais complètement mis de côté la bonne tenue de la mission et de fait, le travail qui est le mien. En regardant au dehors, je ne trouvais pas la station spatiale endommagée que nous devions initialement rejoindre. Un choc violent m'a fait perdre la vue quelques secondes, et au travers d'un grand flou j'ai entrevu une sorte de boule de feu en fusion, et en plein sur ma trajectoire. Je m'emparai des commandes, la vue entièrement brouillée, et malgré ma connaissance du matériel, je me retrouvais finalement incapable de quoi que ce soit, pour la première fois, la fuite n'était pas envisageable.

Tandis que le vaisseau avançait inexorablement vers l'astre furieux, je me suis dit que vraiment, j'aurai préféré être un fourmilier.