Sans plomb 95

Le 15/04/2013
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par CTRL X
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Thèmes / Saint-Con / 2013
CTRL-X avait fait forte impression avec son premier texte, ce qui laissait suggérer du bon pour la Saint-con. Finalement, c'est un résultat mitigeant. D'une part le ton est drôle, bien écrit et agréable à suivre, on suit la route de deux blaireaux perdus dans la pampa avec une mule, mais de l'autre part il manque quelque chose qui viendrait renforcer tout ces bons points, on s'attend à un pétage de plomb qui n'arrive pas, on reste du coup un peu sur notre faim. Ca reste néanmoins un bon texte de Saint-con.
Joyeuse saint Con.
Brulez bien, brulez vifs !
Jean-Jacques, mains attachées dans le dos, prisonnières d’un nœud approximatif mais solide (fil à pêche), claudiquait derrière la mule déprimante de l’autre homme, Lloris Garcia, rédacteur en assurance, trente-sept ans, assis sur une monture dont il accusait deux fois la masse, fumant une pipe bavaroise (à clapet).

L’attelage traversait une région aride, à base de sable rouge, de mouches à merde et de végétation basse. Le nez de Jean-Jacques était bousillé, son menton fendu en deux. Des marques de coup, violettes, s’étalaient le long de ses côtes ; ce vieux Jean-Jacques, amputé de deux de ses molaires, Jean-Jacques moins un orteil, boitant, une loque d’homme en vérité. Il ne savait pas s’il allait mourir de soif, d’hémorragie interne, d’ennui, d’une balle dans la tête ou autre. Il ne s’attendait à rien de festif.
Lloris garcia, quant à lui, sifflotait un air country, « In the big rock candy mountains », entre deux bouffées de tabac au poivre. Il suait au-delà de la description. La température avoisinait les 40 degrés Celsius. Le soleil éclairait la scène depuis trois heures, à peine. Les deux hommes et la mule s’étaient mis en route en pleine nuit.

- Je dois pisser, fit Jean-Jacques.
- Pisse.
- Il faut qu’on s’arrête.
- Papa ne s’arrête plus.
- Monsieur, s’il vous plait, deux minutes.
- Je compte pas pourrir ma moyenne.
- Il n’y a nulle part avant des centaines de kilomètre. Sale taré. On s’arrête maintenant.
- …
- Hé !
- …
- Connard ! On s’arrête un peu.
- …
- Ou je te tue.

Lloris Garcia ordonna à la mule de stopper. L’homme et la bête mirent deux cent mètres à se comprendre. Une fois à l’arrêt, Lloris fixa longtemps l’horizon, énigmatique, se frotta les yeux. Crevé. Puis, il dit, sans se retourner :

- Pisse-toi dessus ou tue-moi à coups de crachats dans le dos mais ferme ta gueule. Je suis en train de t’emmener au milieu du désert, et quand on sera arrivés là-bas, je vais te brûler. Vif. Fin de l’histoire.

Un jerrican de sans plomb 95 pendouillait sur les flancs de la carne, cinq kilos s’ajoutant au supplice de l’animal finalement peu impliqué dans le conflit entre Lloris Garcia et Jean-Jacques Goldman. Dans la poche de Lloris, on pouvait trouver un orteil, sec, emballé dans un mouchoir à carreau, quatre clefs autour d’un anneau, des chewing-gums mentholés, un tube homéopathique d’Arnica 15ch, trente-huit francs en petite monnaie, mais aussi, une pochette d’allumettes publicitaire, portant le nom d’un hôtel. The Sulking Lodge.

Ils parcoururent encore vingt-six kilomètres avant que la mule tombe raide morte, sous le physique et le charisme hors norme de Garcia. Le rédacteur en assurance obèse insulta l’animal, vira son cul de cette foutue mule, prit ce dont il avait besoin sur son cadavre, but une longue rasade de flotte, étala une couverture sur le sable brulant, planta un parasol imprimé « Pacific, force anis », s’assit en tailleur, bourra une nouvelle pipe, fouilla dans sa poche, en sortit les allumettes et les compta. Longuement. Il en restait deux. Le prisonnier ne perdit pas une miette des opérations. Lloris alluma sa pipe et, pour la première fois depuis des heures, regarda Jean-Jacques droit dans les yeux. Il dit :

- Tu peux t’installer. On y est.
- Et alors quoi ?
- Quoi, quoi ?
- Qu’est-ce qu’on fait ? On s’oriente vers quoi ? Quel est le projet ? Est-ce que je pourrais vous demander de l’eau, par pitié.
- Je me repose un peu. Ensuite je te brule vif. Le voilà, le projet. Et tu ne peux pas boire, j’en ai besoin pour le retour.

Les tripes de Jean-Jacques Goldman, son éducation Judéo-chrétienne, l’empreinte de trop nombreux films d’action hollywoodiens le poussèrent à envisager de se jeter sur son tortionnaire, dans une tentative courageuse (de la dernière chance), afin de lui planter ses dents dans le cou, puis enfoncer les pouces au fond de ses orbites oculaires. Le célèbre chanteur de variété, épuisé, meurtri, condamné, assoiffé, très humain finalement, fit deux pas énergiques vers l’employé de bureau, se prit les pieds dans le tapis et s’écrasa face contre sable chaud, à l’ombre. Le coup de théâtre le plus avorté de l’histoire du sport. On l’entendait à peine hurler sa haine, sa douleur, son terrible coup de blues. Puis le silence. Lloris termina ses inhalations tabagiques et déclara :

- Je vais procéder à ta crémation, maintenant. Y aura-t-il autre chose pour ta défense ou est-ce que je peux t’arroser d’essence l’esprit tranquille ?
- Je veux pas mourir. Je vous en prie. On se connait pas. Me brulez pas, sérieusement.
- Il fallait y penser avant de composer « Je te donne ».
- Je vous en supplie.
- Il fallait supplier avant d’écrire pour Céline Dion.
- Mais merde, foutez-moi la paix… Foutez-moi simplement la paix.
- Il fallait pas y penser avant de te rendre responsable de viol sur une génération de jeunes enfants, sodomisés par ta musique langoureuse et perverse.
- C’est des conneries tout ça. Relâche-moi. Je suis à la retraite, putain.
- La personnalité préférée des français est un retraité enculeur de mouches s’étant rendu coupable de crime envers les arts. Tu vas vraiment bruler, salope.

Les yeux de Lloris exprimaient une sorte de fanatisme inversé, teinté de folie meurtrière, ainsi qu’une certaine fatigue, causée par le voyage. Jean-Jacques Goldman était aussi incrédule que le jour où il avait trouvé les arrangements d’ « Envole-moi », un de ses plus grands coups. L’artiste s’agita frénétiquement, bien que sur place, ne parvenant pas à se relever, observant Lloris Garcia soulever avec peine son jerrican et s’approcher de lui, lentement.

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Lloris pissait sur les cendres encore chaude du chanteur populaire : une tache noire, insignifiante, au milieu du désert. Il songea que sans la mule, le trajet retour s’annonçait délicat, voire pénible. Le jerrican était vide, certes, donc moins lourd, mais ça faisait tout de même une trotte. Les derniers mots de Jean-Jacques Goldman avaient exprimé, sans grande clarté, des regrets pour avoir collaborer avec Garou. Lloris pensait qu’un corps humain, à plus forte raison celui d’un con de ce calibre, serait entièrement carbonisé en moins d’une heure. Il en fallut cinq au baladin pour ne laisser derrière lui que quelques os fumants et un best-of posthume dans les bacs, courant juin.