Anomaly (1/n)

Le 08/10/2013
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par Lapinchien
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Rubriques / Anomaly
L'esprit des lieux, le dernier spectre, l'ultime rempart, j'ai nommé Lapinchien, délaisse quelques instants sa carrière cinématographique pour nous livrer cet hommage à un génie français contemporain. L'écriture en est alerte, voire bâclée, et la fin monte un peu au nez, mais on n'est pas du genre à cracher sur un gros n'importe quoi débile, et puis viva la revolución.
à quel moment c’est parti en vrille, hein ? 99F s’est super bien vendu. C’est de la merde à moitié calquée sur du Chuck Palahniuk mais ça s’est pas vu. Dans le film, ça c’est vu un peu quand même, mais bon, Jan Kounen a fait tellement des effets spéciaux tout pourris que pouvait pas y avoir comparaison… ,ça ne peut pas venir de là. De toute façon, Palahniuk est tellement pompé, que dans le milieu on l’appelle la station service. Dans le milieu, moi, on m’appelle Salomée du bois de Boulogne… allez savoir pourquoi ?
Palahniuk ne peut pas m’en vouloir, moi, personnellement, au point de ruiner ma carrière littéraire. Je travaillais sur Paris Première à l’époque dans l'émission Rive droite/Rive gauche. C’était super d’être chroniqueur pour Ardisson. Y avait Philippe Tesson aussi. Tout de suite, on a repéré mon impertinence, mon éloquence face aux discours en boucle de l’autre momie. C’est vrai que dans le milieu de la pub, on m’en a un peu voulu quand même, hein. Madone (hihi), à la place de Danone... La fausse pub scandinave doublée avec la famille sous prozac et ritaline, (Hihi uhuh ohhhh). C’est l’idée du siècle. Et pis le final twist de de ouf même pas crédible où je les enculais tous bien profond… (Hihi uhuh ohhhh, je me roule une pèle, je m’autoencule, je jouis dans mon cul.). Je leur ai bien pourri la vie en démontant tous les mécanismes à la con et les combines à la noix des agences publicitaires… (…) C’est ça ! Ils se sont vengé ! Ça vient de là. C’est pour ça que mes bouquins après ben, ils se sont moins bien vendus. … du putain de lobbying de merde ! Et puis d’un coup, plus un seul éditeur n’a voulu me publier comme par hasard, et ce ne sont pas les prix que j’ai payé … (…) heu qu’on m’a décerné, qui ont pu y changer quoi que ce soit… C’est forcément un consortium publicitaire qui s’est acharnée sur ma gueule (…) Quoi que… c’est peut être la barbe ? (…) ou bien la pub pour les galeries Lafayette ? (…) C’est quand même pas le fait que je n'aie pas de talent ?


Bon, on s’en fout. Quoi qu’il en soit me voila revenu à la case départ. Y a une petite agence de pub qui a bien voulu me prendre comme stagiaire. Là on fait un brainstorming sur plusieurs produits clients. Faut qu’on trouve des slogans et des concepts. On doit être une dizaine de créatifs à lunettes carrées à être enfermés dans cette petite salle depuis 4h. ça sue du cerveau, ça pue le neurone en surchauffe. Pas le droit de quitter les lieux avant d’avoir trouvé l’idée de la mort qui tue. La porte est verrouillée. On nous oblige à porter des couches culottes aussi. C’est une bonne idée comme ça on ne perd pas de temps en cas d’envie pressante, on peut se laisser aller sans perturber le reste du groupe qui communie. (…) Alors quels sont les produits du jour… ah… La moutarde Maille… ok… ils en ont marre de trainer leur slogan avec le jeu de mot pourri en langue du XIXème siècle que plus aucun consommateur n’entrave…. Comme je les comprends… Alors y a un collègue qui propose un truc à base de « cotte de maille » à ma droite… personne ne rigole et du coup il pète… ok, j’aurais fait pareil à sa place quitte à passer pour un con autant être jusqu’au-boutiste et assumer. Ça arrive aux meilleurs d’entre nous. Enfin, aux moins pires, j’entends (…) Y’en a un autre qui propose, « Tant qu’y a Maille, je mouille.» « Total Bigup respect, man ! », tousse la responsable de compte client qui note les bonnes idées sur le Velleda sur l’estrade au milieu de la pièce, « un peu trop trash pour la cible, mais y a de l’idée… » C’est alors l’euphorie dans l’assistance, des slogans fusent dans tous les sens, on ne peut pas laisser un enculé de collègue ramasser tous les lauriers… « Y a qu’à Maille, que j’file ma maille », lance un de mes plus éminents collègues, « Maille, la moutarde pour ma marmaille », surenchérit un autre tout guilleret en faisant des bons sur son siège qui pète le cul, « Maille, la moutarde pour mes moutards », relance un autre un peu copieur ou moins inspiré, d’ailleurs tout le monde le siffle. Bouh ! Bouuuuh ! Le copieur pas inspiré ! « La moutarde des experts ? Maille, ami ! », Relance un autre, qui nous fait tellement pitié qu’on décide tous de le lyncher à grands coups de sièges qui pètent le cul. Il se faufile sous les tables et va se prostrer dans un coin tout sanguinolent de honte puis il se roule en boule puis décide de péter pour montrer qu’il assume. On se met tous à rire de bon cœur, pour bien montrer qu’on fait tous partie d’une grande famille unie qui se taquine en permanence. C’est à mon tour, tous les regards se tournent vers moi… Mon silence fait tâche, au milieu de cette orgie de brillantes idées je passe pour un puceau du cerveau… (…) les regards se font plus oppressants… (…) Bon ben là, faut que j’improvise. J’me lance. J’ai pas le moindre début d’embryon d’idée, pas un ovule perdu dans une flaque de foutre d’idée en fait… (…) Je me lève pour temporiser. Les collègues veulent de la bonne grosse idée qui tue, de la qu’ils pourront dépiauter dans tous les sens comme des putains de vautours qu’ils sont . La chef de budget client bave, elle sait que ma réputation n’est pas usurpée…. Faut pas que je déçoive tous ces connards. Ma bouche est pâteuse et je dois surement puer de la gueule. Je me racle la gorge et je toussote. Putain, faut que je fasse le vide en moi, sinon jamais je ne sortirais vivant de ce guet-apens. Voilà qu’ils se mettent tous à hurler : « Beigbeder ! Beigbeder ! Beigbeder ! » Mes racines, me plonger dans mon passé. Je dois m’évader par la pensée. Ma bio Wikipedia, putain. Je la connais par cœur, y a surement un truc là dedans qui pourra m’aider.


« Frédéric Beigbeder naît dans une famille d'origine béarnaise. Sa mère, Christine de Chasteigner de La Rocheposay, est traductrice littéraire (romans de Barbara Cartland, par exemple) et son père, Jean-Michel Beigbeder, est recruteur (« chasseur de têtes »). Son frère, Charles, est le fondateur de la société de courtage en ligne Selftrade, puis de la société Poweo. Leurs parents divorcent rapidement (vers 1970) et les deux enfants vivent entre deux maisons, essentiellement chez leur mère qui refait sa vie, en 1974, avec le baron Pierre de Soultrait »


Putain de pute en carton ! Y a que de la daube en barre là dedans… (Maman ? Papa ? (…) Mamaille ? Papaille ? (…) non je ne vais quand même pas sortir un truc à la con dans le genre… Je décide alors d’avaler ma langue pour aller rouler une pelle à mon cerveau. Mais ça ne marche pas et elle ressort par mes trous de nez. « Beigbeder ! Beigbeder ! Beigbeder ! » (mode introspection enclenché, vite, vite…) Je commence à suer du derche…


« En avril 1979, âgé alors de treize ans, il fait une apparition sur TF1, interviewé sur la science-fiction lors de l'émission Temps X des frères Igor et Grichka Bogdanoff qui fréquentent la maison paternelle et lui demandent de participer »


Maille… Mayonnaise… heu… la moutarde qui monte au nez refait des Bogdanoff… Ah J’y suis ! Je l’ai : « La moutarde qui monte en Maille au nez ! » (…) heu… non, c’est ridicule…


« Il effectue sa scolarité aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand à Paris. Diplômé de Sciences Po Paris (section service public), il achève ses études par un DESS en marketing - publicité au Celsa. »


Heuuuuuu…. La moutarde des minimoys…(ah !chouette, ça cobranding, terrible… à bas non en fait) heu… (chut, ne pas pas parler. Penser dans ma tête, je dois) Heuuuu…. Envois moi, un e-maille, la moutarde de la génération internet… heu…. La moutarde bonne pour de tes dents l’émaille… heu… Maille à l’Abbey…. Heu… (chut, ma gueule ! tourner sept fois ma langue dans mes trous de nez, hein…) heeuuuuu…. Une Maille à l’endroit, une Maille à l’envers…. Heeuuuuuu….


Je n’entends plus la foule qui m’acclame. Tout se déroule au ralenti. Des collègues balancent leurs avants bras d’avant en arrière en faisant gracieusement onduler la peau de leur faciès tels des pitbulls en rut devant une caniche naine en chaleur avec une tomate dans la bouche et un peu de fenouil dans le trou de balle. Dépité, je me décide à songer à ce que les Maîtres du genre auraient bien pu imaginer s’ils étaient là, à ma place. Séguéla : « Si t’as pas gouté à la moutarde Maille à 50 ans, t’as raté ta vie. » heu… non… non… (arggh mais y a personne d’autre dans la pub à part ce con…heu, à si y a bien des Yves Alexandre, des Marcel Bleustein-Blanchet, des Jacques Bouchard, des Cassandre, des Christian Chavanon, des Lionel Chouchan, des Claude Cossette, des Jacques Decaux, des Marcel Domine, des Claude Douce, des Charles Louis Havas, des Pierre Herbin, des Christophe Lambert (pas Highlander, hein.), des Philippe Michel, des Jean Mineur, des Paul Nicolas, des Thierry Saussez, des Raymond Savignac... mais qui se rappelle de leur patte, de leur style, hein ? pas moi en tous cas. Une goute de sueur perle alors sur mon front, elle descend dans mon cou, parcourt mon échiné pour atterrir dans mon trou de balle. Je ne vois plus qu’une seule alternative… celle que je m’étais toujours refusé de suivre… l’atout dans la manche que je m’étais toujours refusé d’utiliser… Richard Gotainer powa !


Je lance alors avec assurance dans la musicalité idoine d’un accent mexicain reproduit à la perfection : « La moutarde forte Maille ? aïe aïe aïe aïe aïe!»


Un silence imposant s’installe un bref instant dans la salle de réunion. Mes collègues se regardent les uns les autres et arrêtent de jouer aux otaries autistes. Ils ne savent pas quoi répondre à ma brillante proposition. Ils ne trouvent rien à y redire. La nouvelle identité de la marque, le rajeunissement du ton, la puissance du message, le cœur de cible sodomisé, l’impact cognitif, la mnémotechnique. Tout y est calibré parfaitement comme s’il se fut été d’une évidence, d’une constante universelle juste là cachée sous nos yeux qui ne demandait qu’à être dévoilée. Les créatifs sont sidérés et s’affalent de concert sur leur siège qui casse le cul.


La responsable du budget client se dessape et glousse dans ma direction un grand râle orgasmique. Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’elle m’enfoure sa langue dans ma glotte. Nous basculons tous deux en arrière et je ne peux échapper à son étreinte. Interpénétration, échanges de fluides s’en suivent.