Economie solidaire et obsession du centre dans l’œuvre de Wes Anderson #SaintCon2015

Le 10/04/2015
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par CTRL X
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Thèmes / Saint-Con / 2015
Le meilleur texte de Saint Con qu'il ne m'ait été donné l'occasion de présenter depuis bien longtemps. Absolument incontournable CMB. Tout dans sa construction semble avoir été calibré avec soin, une suite de péripéties improbables auxquelles on a peine à ne pas croire tant on se prend une explosion d'images et de sonorités et d'odeurs et de senteurs et de saveurs et trucs tactiles que même dans un Imax sous LSD et Oculus Rift intégral ta race jamais ils ne feront mieux ces bâtards d'innovateurs de l'Entertainment à la noix. C'est comme si Quentin Tarantino avait super bien adapté un polar du poulpe. DES DIALOGUES PLEINS DE GOUAILLE ET DE R2PARTIE QUE T4AIMERAIS EN CROISER EN VRAI DES GENS COMME 9A TELLEMENT REALISTES QU4ILS N4EXISTENT PAS. C'est un pur chef d'œuvre. Trame narrative de patineur russe surentrainé depuis l'âge de deux ans et dialysé à l'EPO/pot belge toute son adolescence durant. MAIS que WES ANDERSON s'en retourne dans son slip ! ça n'a rien à voir avec lui ! Une fresque sociétale de la contemporanéité qui te fera fondre comme un camembert zélé en plein cagnard. CTRL X. OH QUE MAIS JE T4OFFRE MA RONDELLE QUAND TU VEUX § Susurre moi ta prose en crachotant du liquide séminal dans ma cochlée ! Perfore-moi le nombril ! Perfore-moi le nombril ! Perfore-moi le nombril ! Perfore-moi le nombril ! ENCORE § Petite BITCH § ENCORE §
« Je remarquai que dans les cercles extrêmes de la société - ceux où l'on est ou très pauvre ou très riche, les fous avaient souvent toute liberté de se mêler au reste de la population »
Charles Bukowski, Souvenirs d’un pas grand-chose.
Pourquoi j'aurais pris la chose au sérieux ? Ça m'a plutôt fait penser à ces thèmes de soirée idiots qu'on trouve en objet de la vingtaine de mails collectifs aujourd’hui indispensables à la planification de n’importe quelle fête d'appartement : Jamais sans mes voisins, Roccoco/disco/knacky, Tous alcooliques pour le Darfour, Les trucs en A qu’on peut à la rigueur s’introduire dans le cul, etc.

Pour la Saint con, je brûle un con. Après tout, pourquoi pas ? Ouverture des portes vers 21 heures. Munissez-vous d’un pack de bière, un litron d’essence et quelques allumettes.

Je n’avais pas vendu d'article depuis deux, trois mois. Pour tout dire, je sortais d'une semaine d'Interim (montage et installation de chambres froides dans un centre commercial de Grigny). Je prenais un pot avec Michel dans un bistrot sous franchise Manu Chao, un de ces lieux de perdition aux chaises dépareillées, où les clients peuvent dessiner sur les murs sans que personne n'y trouve rien à redire tandis que les patrons (ils sont au minimum six) s’embrassent sur la joue à tout bout de champ. Le serveur avait posé deux Bêtes-Des-Vosges sur notre table. Le serveur ressemblait à Devendra Banhard, comme la majorité des clients d'ailleurs. C'était à qui se prendrait le premier les pieds dans sa saleté de barbe. On célébrait la forêt, l'âme des gros rochers et le Wifi gratos ici. Le rallongé était quant à lui facturé trois euros cinquante.
—    Santé !
—    C’est ça, meurs. Pourriture communiste.

On a peu de choses à se dire, Michel et moi. Il avait l’air crevé ce jour-là. On se fréquente encore un peu, depuis la sortie de l’école de journalisme. J’aimerais l’oublier pour toujours mais il lui arrive de me refiler une pige, une traduction… mais la plupart du temps, seulement le cafard. Il bosse chez Prisma Presse, rubrique culture d’un magazine 25-35 ans dont la devise est Soyons sérieux, restons allumés - Seigneur Jésus-Christ, fils du Dieu-Vivant, aie pitié de nous, pauvres enfoirés de nihilistes… Bref, ce n'était pas une raison pour boire en silence. Je tentais : « Y’a pas si longtemps, les bières s’appelait juste des demis, voire des pintes. La vie était plus douce. On se branlait moins sur la double fermentation, les moines trappistes et les sous-bock second degré… ». Michel vapotait. Il me racontait (et c'était poignant) qu'après être passé par les saveurs caramel, menthe poivrée, puis goyave pop, il revenait aujourd'hui vers quelque chose de plus roots : l'arôme tabac, en fait, tout simplement. Il tripotait son bâton d'une manière vraiment obscène.
—    Et toi, toujours un vieux briquet dans la poche ? il me fait.
—    C’est ça. J’attends que le scandale de la cigarette électronique éclate enfin au grand jour.
—    Développe.
—    On va se rendre compte que les industriels ont blindé vos recharges de produit antigel pour tanks et vous allez vous mettre à vomir du sang pendant des mois. Il y aura tellement de morts d'un coup qu'on stockera vos corps dans des gymnases. Le jeudi soir, y’aura badminton sur vos gueules.
—    Hum… je vois. Toujours borderline ?
—    J'aurais besoin de me mettre au vert.
—    Tu vas être servi. Jette un œil la dessus.

Il m'avait tendu une sorte de flyer du pauvre, à peine un morceau de papier sur lequel on se serait attendu à être convié à une grande démarque annuelle de tapis en simili-cachemire. La typographie et le logotype en forme de flamme évoquaient les plus belles heures de Word Art. Je n'avais pas vu une telle débauche de mauvais goût depuis le carton d'invitation au trentième anniversaire de mariage de mes parents, fièrement réalisé sur le Pentium III du salon, en 1997. Bref, ça disait :

Pour la Saint Con, brûlez un con. Édition 2015.
Même heure, même endroit.
Le feu qui te brûlera est celui auprès duquel tu te chauffes, pute.

—    Ok, ça donne envie. Y’a un Doodle qui tourne ?
—    Pas vraiment, non. Je sais juste où ça se passe, et quand. C’est déjà beaucoup, crois-moi. Par contre, je sais pas exactement de quoi il s'agit mais d'après mon contact, c'est plus sérieux qu'il n'y paraît.
—    Développe…
—    Imagine une sorte de festival du con, au milieu de nulle part. Très privé. Ambiance... Entre une réunion clandestine des francs-maçons et les dernières heures du salon de l'agriculture. Un truc comme ça. Ça ferait un très bon papier, avec presque aucun frais. Si tu me dis que t'es partant, je t'arrange le coup avec mon fixeur.

Mon fixeur. Il me tue, ce Michel. Si je frappe sa vapoteuse du plat de la main, elle va venir se planter au fond de sa gorge et on verra bien qui sera fixé ou non.

—    Formidable. Pourquoi tu le couvrirais pas toi-même, ton truc à la con ? je lui demande.
—    Marthe vient d'accoucher. On est en pleine gestion de coliques du nourrisson. On est à fond dedans. On se lève colique, on se couche colique, on ne parle que de colique. Je dors trois heures par nuit et je regrette sincèrement d’avoir…, tu vois, fécondé cette femme.
—    Merde. Félicitations Michel… Je savais même pas que t'étais en couple.
—    Tu déconnes ?
—    J'étais même pas certain que t'avais une bite. Quoi qu'il en soit, branche-moi sur ton plan Saint Con. Ça me fera prendre l’air. J'en ai plein le cul de me faire servir des bières opaques par DES FACES DE PET !!
—    Calme. Tu veux voir une photo de ma fille ?
—    Pas spécialement, non. Mais vas-y...
—    Tiens… Ma princesse.
—    Magnifique. Cela dit, je crois que je suis en train de mater une paire de nichons, présentement.
—    Exact. Fausse manip, désolé. Marthe au septième mois. Un souvenir. Bon… Ça, c’est ma Chloé.
—    Ouais ok, jolie. Aussi. Dans un autre genre.
—    La plus belle… Évidemment, je ne suis pas très object…
—    Est-ce que je peux revoir les seins, deux secondes ?

***

Quinze jours (et deux avenants à mon contrat de mission Adecco) plus tard, je m'installe dans un TGV pour Valence, puis un wagon Corail jusqu'à Gap, puis un autocar régional qui serpente pendant deux heures à travers la montagne, avant de me déposer au panneau « Les Fourches », planté au milieu de nulle part, au bord d'une départementale et d'un champ de petites fleurs rouges. Michel m'a assuré que son contact organiserait mon transfert à partir de là. Je n'y crois pas une seconde. Je me dis que c’est déjà une sorte d’évènement, de me retrouver au milieu de ce panorama d'altitude et ce silence de mort. Je roule une clope, assis sur le parapet, n'attendant rien de l'avenir. Pas un souffle de vent. Le seul son qui me parvient, c’est le chant des milliards de sauterelles partouzant autour de moi, attendant d’être assez nombreuses pour faire une descente et nous éradiquer une bonne fois pour toute. J'allume ma roulée en me disant qu'on ne doit pas vapoter des masses dans le coin. Ca justifierait presque le voyage. Le décor est d'une beauté vaguement pénible. Ne surtout pas rester trop longtemps dans ce genre d’endroit. Nous avons clairement affaire à un moment de grâce. Si je devais un jour me faire descendre sournoisement par un tir de sniper, ce lieu en vaudrait beaucoup d'autres. Malheureusement, il ne reste aujourd'hui qu'une poignée de snipers alpins. Ici comme ailleurs, tous les grands prédateurs sont en voie d'extinction.

J’entends hurler le moteur à travers la montagne au moins dix minutes avant de voir débouler la voiture. Elle s'arrête à ma hauteur dans un dérapage très Boulevard de La Mort. La portière passager s’ouvre puis il y a deux rugissements du moteur, très brefs. Je me sens autorisé à monter à bord. Je ne peux pas préciser le modèle de la bagnole mais on a envie d'entonner l'hymne allemand dès qu'on s'assoit sur un des fauteuils en cuir.
Le conducteur ne se présentera jamais mais il a une bonne vieille tête de Grégoire, c’est frappant. La cinquantaine bien chargée. On l’imagine plutôt saoulé au schnaps, à la barre d’un voilier, au large de la baie de Quiberon. Son polo Fred Perry est souillé d’impressionnantes auréoles, presque boréales. Ça sent la sueur dans l’habitacle. Une odeur de petit poney. Mort. Depuis trois jours. Il embraye et attaque les virages comme si la montagne était en train de s’écrouler. Après avoir bouclé ma ceinture trois ou quatre fois, je décline mon identité et la nature de mon projet dans le cadre de ces deux jours. J’insiste maladroitement sur le fait que je dois recevoir ma carte de presse d'ici peu, mais que j'ai quand même déjà signé (sous pseudonyme) pour des magazines aussi prestigieux que VSD ou Détective. Mon interlocuteur se contente de mâchonner un cigarillo éteint, puis il finit par dire : « Mets-ça, ferme la fenêtre et ta grande gueule ». Il me tend un de ces masques de nuit que fournissent les compagnies aériennes et les hôtels de charme ; un truc noir, assez élégant. Grégoire sait briser la glace comme personne. Je l’imagine bien dans le secteur du bâtiment ; le genre de type à couler du clandestin nigérian fort en gueule dans les fondations d’un Hôtel/Spa. Je bloque un long moment sur le masque, avec un coup d’œil sur les sorties de virage de temps à autres. On va mourir bêtement. Il me demande :

—    Ça te pose un problème, le bandeau ?
—    Non. Non, au contraire. C'est un genre d'accomplissement pour un journaliste d'investigation. Ca fait très… Fallujah.
—    Enfile-le. On y sera dans soixante-quinze minutes...
—    On a le temps, on a le temps…
—    Non. Si je soigne bien mes trajectoires, précisément soixante-quinze minutes.
—    Juste… Ne nous tuez pas, d’accord ?
—    T’as pas à t’en faire. Je suis un excellent conducteur. Je vais aussi te demander ta carte SIM.

Aveugle, j’entends Grégroire glousser épisodiquement, sans raison apparente. C’est difficile de juger s’il va être pris d’un fou rire ou d’une crise de sanglots. La bagnole donne tout ce qu’elle sait. Je suis pris en otage sur une route de montagne, à une vitesse supersonique, par un promoteur immobilier véreux à la bipolarité manifeste. Merci Michel. Merci le journalisme freelance…
—    Ok, Monsieur Mc Rae. Vous permettez que je vous appelle Colin Mc Rae ?
—    Non, pas vraiment.
—    Est-ce que vous pouvez m'en dire davantage, je veux dire, sans trop spoiler évidemment, sur cette Saint Con ?
—    …
—    Quels sont les tenants, je sais pas, les aboutissants… S'agit-il pour vous d'un projet rentable ?
—    Moi, je conduis. Tu poseras tes questions après, à quelqu’un d’autre. C’est vu ?
—    Ok...

***

Soixante-quinze minutes plus tard, je dégringole de la voiture, me débarrasse de mon bandeau et dégueule sans cérémonie au niveau de ce qui me parait être l’entrée du village ; pour ce qu’il en reste. Une vingtaine de véhicules, majoritairement de type 4*4 et de fabrication germanique, sont stationnés le long de la piste terreuse, qui ne va pas plus loin. Sans y être invité, je trotte derrière ce bon vieux Grégoire à travers les rues en pierre, étroites et écroulées, les maisons délabrées aux couleurs anciennes, brulées par le soleil, jusqu’à ce que nous débouchions sur l’épicentre des festivités. La place centrale est décorée de lampions ; un quintet à cordes, composé exclusivement de femmes, est disposé près de la grande fontaine centrale. Les musiciennes sont pieds nus, et portent d’élégantes robes de soirée. Il me semble qu’elles reprennent un morceau de Lady Gaga, mais ça pourrait aussi bien être une des saisons de Vivaldi. Des stands sont montés un peu partout sur la place, offrant surtout de quoi se restaurer à la trentaine de gentilshommes et autres connasses à chapeaux qui s’éparpillent gaiement. Le buffet est très convenable : un authentique charnier à homards. La plupart des invités sont regroupés autour du bar à champagne. Des danseurs absolument pas folkloriques, mais que j’apparenterais plutôt au mouvement modern-jazz-contemporain-roulade, se déhanchent au milieu de la petite foule, prennent des poses suggestives, tendent leurs culs aux convives qui les gratifient à leur tour d’une gentille claque sur les fesses, relançant ainsi l’élan chorégraphique post-moderne-alternatif-fosbury.

Enfin, je vois les cages. Impossible de les manquer. Elles sont alignées au pied de l’église : quatre grands cubes en plexiglas qui abritent la promotion annuelle de cons. Un homme peut y tenir debout et faire trois pas. Ça me rappelle les cabines du quartier rouge d'Amsterdam. En moins glauque. Ceux qui s’y trouvent ont l’air tout à fait calme. Je prends quelques photos en me demandant à quel genre de manifestation j’ai à faire ici. Je n’ai aucun mal à me convaincre que les « prisonniers » qu’on exhibe sont tous intermittents du spectacle. Le tarif du cachet vaut sans doute une petite humiliation. La politique culturelle est impitoyable dans ce pays. Mes conclusions sont les suivantes : tout ce cirque n’est qu’un spectacle vivant à destination d’une poignée d’aristocrates échangistes déçus par l’offre classique de tourisme vert (qui pourrait les en blâmer ?). Mon shooting est interrompu par un type que j’identifie d’instinct comme le gentil organisateur de cet évènement sponsorisé par le Medef et le ministère de la réhabilitation du patrimoine. L’homme est le résultat d’un croisement génétique particulièrement absurde entre Stéphane Bern, Jean-Paul Ollivier et Gary Oldman dans Dracula. Il m'accueille :

—    Bienvenue au village ruiné de Glacier-Le-Riboul. Le nom est inventé. Ne dérangez pas Wikipedia pour ça. Bienvenue à la presse libre. Bienvenue, Monsieur, à la dix-septième édition de la Saint Con. Sous nos yeux, la place de l’église, 1143 mètres d’altitude, sous la protection de Notre-Dame-De-La-Roche, qui s’effondre patiemment, comme vous l’avez sans doute déjà constaté.
—    J’aurais quelques questions…
—    Le village a connu son heure de gloire en 1917. Il comptait alors trente-huit habitants. Il n’en reste aujourd’hui plus que deux. Le taux de chômage municipal est de 100%. Avez-vous fait bon voyage ?
—    Parfait, je vous remercie. Nous avons eu des trajectoires très soignées.
—    Est-ce que je peux voir votre carte de presse ?
—    Oui. Non… En fait, elle devrait déjà être arrivée mais je pense que la poste… Un nouveau mouvement de grève, je sais pas. La revalorisation du SMIC peut-être. Quoi qu’il en soit, j’ai déjà signé, sous pseudonyme, pour des magazines tels que…
—    C’est parfait, vraiment parfait. Prenez une collation, buvez une coupe ou deux. Saisissez l’atmosphère. Bref, faites votre métier.

Difficile de ne pas être fasciné par les cons, piégés dans leurs aquariums respectifs. Je note qu’on a tenté de reproduire leur habitat naturel. Un spécimen caractéristique de hipster lit un roman de Dickens sur un rocking-chair. Un adolescent est vautré sur un canapé convertible, essayant vainement de rouler une cigarette, sous un poster YouPorn. Un punk à chien évolue au milieu d'une sorte de litière, en compagnie d’un labrador empaillé et d’un stock d’Amsterdam Maximator (11.6 degrés) en mesure de cuiter le Bostwana pendant une semaine. La dernière cage, guère plus grande, est occupée par un couple d’inséparables. Ils doivent avoir une trentaine d’années et on les imagine très bien prendre du plaisir à faire leurs courses le vendredi soir dans un complexe commercial sur trois étages. Parfaitement assortis, ils portent chacun un jean délavé, une paire de baskets montantes aux couleurs criardes, des lunettes de soleil grotesques et un sweat-shirt noir sur lequel est écrit en gros caractères « Mr » pour lui, et « Mrs » pour elle. Ils regardent la télévision : une comédie romantique lamentable avec Meg Ryan. Instinctivement, c’est eux que j’immolerais en premier. Comme je sens que l’ambassadeur trépigne, soucieux d’aller distribuer ces Ferreros plus loin, je lui pose la question à cent mille dollars :

—    Il faut quand même que je vous demande… Vous ne les brulez pas vraiment, vos cons ?
—    Monsieur, tout ce que je peux vous dire à ce stade, c’est qu’il nous serait impossible d’utiliser le même con deux années de suite. La question qui doit en réalité être posée, puis envisagée avec le plus grand sérieux, est la suivante : si vous en aviez l’opportunité, si vous n’aviez rien à craindre des conséquences de vos actes, une fois par an, honnêtement, qui choisiriez-vous de bruler jusqu’à l’os ?
—    Manu Chao. Genre, ciao Manu ! Ah ah. Vous connaissez ?
—    Absolument pas. Ecoutez. Il faut que vous compreniez quelque chose : nous n’avons aucune compassion pour le con. Le con doit être supprimé. Il ralentit notre course vers de Surhomme nietzschéen. Il faut coute que coute entraver sa reproduction. La surpopulation mondiale constitue le fléau du siècle. Ce que nous accomplissons ici est avant tout symbolique. Nous avons atteint depuis longtemps les limites du bac à sable. Les enfants tarés doivent être enterrés vifs. Attendez. Il faut que je vous présente J.C, notre principal rabatteur de con. Il faut que vous ayez une discussion tous les deux.

Je dois dire que ce bon vieux J.C est habillé beaucoup plus humblement que les autres, genre randonneur local. On a immédiatement envie de le suivre pendant des heures sur des chemins escarpés, au milieu des pins et des fougères. Je sens qu’il se montrera plus loquace si nous marchons un peu. Avec son accord, j’enclenche mon dictaphone et nous nous éloignons un peu du groupe.

—    Comment faites-vous, J.C, pour vous approvisionner en cons ?
—    Nous les chopons pendant la saison touristique, été comme hiver. Nos guides de haute montagne font du très bon boulot. Il faut avoir l’œil pour repérer les touristes un peu isolés, les loups solitaires, vous voyez. Ceux que personne ne cherchera très longtemps. On leur propose, mettons, une virée sur le Mont Blanc à un tarif absurde. Ce sont souvent des gens au bout du rouleau. Ils seraient prêts à tout pour une expérience. On a beaucoup de veufs, des retraités de l'administration. Beaucoup de jeunes paumés aussi... Des gamins qui ont regardé trop de films sur la liberté. Into the Wild, ce genre de merde. On leur fait brûler leurs papiers d'identité en haut d'un col. Ça leur donne un avant-goût. Voilà. On a aussi des mineurs enlevés à l'assistance publique ; gamins de la DDASS, souvent asthmatiques, venus respirer le grand air, ce genre de chose. Ça n'a pas beaucoup d'intérêt selon moi, des cons de cet âge, mais si certains apprécient, moi je fournis.
—    Avez-vous des exigences qualitatives ?
—    Je vous demande pardon ?
—    En terme de... de connerie justement. Faut-il que vos cons soient vraiment très cons à la base ? Existe-t-il une sorte de label du con ?
—    Oui. Non, je vois. Pas forcément. Comme je vous disais, la priorité pour nous, c'est de capturer des cons que personne viendra réclamer très longtemps. On les repère vite à force. Vous avez pas idée du nombre de types en burn-out généralisé qui viennent se mettre au vert chez nous, comme si la nature en avait quelque chose à foutre…
—    Donc, vos cons ne sont pas forcément plus idiots que le premier venu ?
—    Non, c'est vrai.
—    C’est important… Pour l’article. Est-ce que je peux citer votre nom ou…
—    Vous savez, il faut du métier pour suivre une piste de con. Traquer le hipster en altitude, par exemple, faut être professionnel. Attentif, patient… Vous savez, le hipster, éloigné de son habitat naturel, devient beaucoup plus méfiant. Dans une boutique de vinyles d’occasion, je dis pas, mais sur un glacier… Celui-là, je l’ai repéré à la station, cet hiver. Il pratiquait le télémark, sans rire. Croyez-moi, c’est une manière stupide de descendre une piste.
—    Comment l’avez-vous piégé ?
—    J’ai placardé des flyers à intervalles réguliers sur les sapins. J’annonçais un café-débat dans une auberge d’altitude « Economie solidaire et obsession du centre dans l’œuvre de Wes Anderson ».
—    Malin.
—     Oui. J’ai ajouté qu’il y aurait un concert acoustique d’un groupe dont j’ai inventé le nom : Sixty/Ninety * Insane Rabbits Motion (and the Baltimore Morons). Je l’ai cueilli à 1700 mètres, le pauvre, complètement déshydraté, totalement cramoisi. Le piège à barbe a parfaitement fonctionné. J’avais plus qu’à me pencher. C’est un beau male d’une trentaine d’années. Il a tous les tatouages. Quand il vous regarde avec dédain, comme s’il était l’élu parmi les élus, vous avez vraiment envie de le brûler. C’est une drôle de bestiole. Normalement, je ne fais pas d’élevage, mais celui-là, il était tellement cocasse que j’ai tenté de l’accoupler en captivité. J’avais cueilli une snowboardeuse danoise qui ressemblait vaguement à Bjork, raide morte sous une congère après une soirée shooters/karaoke/bowling/strip. Ils n’ont jamais voulu se toucher…
—    Je vois, je vois…
—    Le punk à chien, ça a été beaucoup plus simple. J’ai juste eu à lui proposer la visite d’une brasserie artisanale et lui promettre un sandwich triangle Sodebo.

Je passe l'après-midi à enchaîner les coupes de champagne et à enregistrer quelques perles de micro-trottoir auprès de la faune aristocratique. « Ne pensez-vous pas qu’il est préférable, mille fois préférable, de cramer son con jusqu’à l’os une fois dans l’année plutôt que d’être témoin quotidiennement aux informations télévisées du génocide d’un peuple par un autre ? » me confie Jacques T., la belle quarantaine, appuyé sur une canne à la poignée d’ivoire. « Je regrette seulement que cette fête ne soit pas davantage populaire, dans la grande tradition du carnaval » témoigne Madame de F. « Prenez la fête de la musique, par exemple. Eh bien, ce n’est rien d’autre qu’une Saint Con où personne ne brûle à la fin, vous ne trouvez pas ? ». Bref, il n’advient rien de décisif. Je pars donc m'écrouler derrière un muret et m'endors une ou deux heures, en attendant que la nuit tombe et que les événements se précisent.


***

Ma sieste est interrompue par l’écho d’un sound-system. Je me traine, vaseux, jusqu’au village. Le soleil disparait derrière Notre-Dame-De-La-Roche, qui me parait déjà un peu plus décrépite que la dernière fois. Deux piles d’enceintes ont été disposées aux extrémités de la place centrale, qui s’est singulièrement animée. Je ne sais pas si les évènements se précisent, mais au moins on commence à se détendre. La foule est plus dense, bien que les cons et leurs cages se soient envolés. Une vingtaine de péquenauds triés sur le volet sont venus grossir les rangs des festivaliers. Le bar à champagne a été remplacé par un étal d’apothicaire. C’est la première fois que je vois autant d’alcools sans étiquettes ; probable contribution des nouveaux arrivants, dont la présence a considérablement assoupli l’ambiance. Ils offrent au rassemblement une petite touch consanguine non dépourvue de charme. Les bouseux sont venus avec leurs épouses, bien que j’aie parfois du mal à distinguer les hommes des femmes. Tous puent atrocement. Quoi qu’il en soit, je me sers un premier verre de gnole, bien décidé à encaisser ma première cuite totalement bio. Impossible d’identifier le son craché par les enceintes, sans doute de la musque artisanale elle-aussi, respectueuse de l’environnement. Ça n’a aucune structure. Le Dubstep, à côté, c’est symétrique. Au-delà de la ligne basse-batterie mongolienne, je capte des sonorités qui évoquent des crépitements, peut-être des cris humains. Des bruits de moteur. On est en pleine thématique du grand brulé. Je suis au moins sûr de ça.

Il y a ce grand méchant méchoui, un peu à l’écart de la piste de danse. Un morceau de viande dont je ne pourrais pas garantir l’origine France est empalé sur une broche et léché par les flammes. J’échange quelques mots avec des péquenauds, qui me paraissent violemment apparentés, mais nous parvenons à peine à nous comprendre. Autour de la fontaine, les participants se lancent dans une sorte de pogo à la gloire de la mixité sociale. Les bouseux trépignent, épaule contre épaule avec les rentières. Les campagnardes aux cuisses râblées s’esclaffent sur les épaules des capitaines d’industrie. On s’encanaille avec les autochtones. On mixe banquet et paillette. On fait la ripaillette. Septième cul-sec d’alcool de contrebande, en ce qui me concerne. La plus élémentaire notion de vivre-ensemble est devenue pour moi un concept abstrait. J’ai juste envie de me battre et de baiser.
On se prend en selfie avec de solides montagnards. On commence à se prendre en levrette, par ailleurs, ici ou là. Des attroupements se forment autour d’une Grande Dame à qui l’on vient de déchirer sa robe de créateur. Je ne suis visiblement pas le seul fêtard à me laisser aller aux plus élémentaires pulsions troglodytes. Le pogo vire de la bousculade bon-enfant à la bastonnade plus ou moins maîtrisée. Comme je n’ai pas assez de cran pour violer la première Baronne de Rothschild qui passe, je décide d’aller me la coller aux poings avec ce bon vieux Grégoire, à qui je n’ai toujours pas pardonné d’avoir mis mes jours en danger au volant de son bolide tape-à-l’œil d’enfant de putain. Je le repère dans la foule et lui saute dessus, pieds en avant. Je parviens à peine à le faire vaciller. Plutôt que de s’expliquer en adulte, il me balance un crochet dans le bide. J’ignorais avant cet épisode où se situait précisément mon foie. Aujourd’hui, je localise très bien. Grég conclut d’un élégant coup de genou dans ma tempe, que je ne sens pas vraiment passer, trop inquiet de ne plus pouvoir oxygéner mon sang grâce au principe élémentaire de la respiration. On me traine charitablement un peu plus loin.
Une des bourgeoises vient s’assoir près de moi, soi-disant pour soigner mon œil tuméfié. Mon cul. Deux minutes plus tard, elle me caresse un peu partout. Je me dis que torché comme je le suis, je n’arriverai jamais à bander mais sa bouche entoure déjà ma queue et j’affiche la plus belle érection depuis mes 16 ans. Je l’interromps un instant, lui fais lever le menton et je la gifle, sans trop savoir pourquoi. Ce n’est pas du tout mon genre mais là, je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. On est pour ainsi dire au milieu de tout le monde, et j’en ai rien à secouer. Je la re-gifle, et puis aussi je la bifle. Je lui colle un aller-retour de bifle. Elle se relève, me crache à la gueule, avant de me coller une droite, de me lécher le visage et de me hurler à l’oreille, par-dessus la techno-crématoire.
—    JE VEUX QUE TU REMPLISSES TOUS MES TROUS CONNARD ! C’EST CLAIR ?
—     JE VAIS FAIRE MON MAXIMUM SALE CATIN, je lui réponds, moi qui me suis toujours montré si désespérément cordial pendant l’amour.

Mon érection commence à me faire souffrir atrocement alors je la lui balance direct dans le cul, sans m’arrêter sur la case parking, ni toucher vingt-mille francs. Y’a urgence. C’est sûr, c’est la gnôle. C’est pas possible autrement. Je demande à ce qu’on me fasse boire au goulot pendant que je démonte l’arrière train de ma partenaire qui braille des insanités à propos de son père avocat au barreau de Toulon, pour ce que j’en ai à foutre. Je vais et je viens, entre ses reins, comme un bourrin. Je brule déjà mon con. Ce weekend est une réussite. Je me souviens que j’ai promis de remplir tous ses trous, à cette petite, alors tandis que je me retiens de jouir dans son cul, je lui carre le goulot de la bouteille bien profond dans la chatte et je la saisis par les narines. Elle se cambre alors au maximum et c’est une véritable lame de fond de sperme qui vient se briser derrière sa nuque. Je sens qu’on me balance de grandes claques amicales dans le dos. « T’as fait ce que t’avais à faire, mon grand ». Et une autre voix « Vire-toi de là maintenant, je vais tenter de la finir ». Je cède ma place sans faire d’histoire. Il s’agit incontestablement de la plus touchante partie de baise de toute ma sinistre existence.
Tandis que je fais le point sur la situation en vomissant à nouveau partout, j’entends un notable proposer à un cul-terreux de se couper un doigt contre sept mille euros. Il lui agite un couteau à huitres et une liasse de billets de cinquante sous le nez. La fête est malsaine depuis longtemps. A présent, elle vire franchement au burlesque. Il me semble que le bouseux accepte avec enthousiasme mais je ne m’attarde pas pour assister à ladite amputation. En revanche, je ne pourrai jamais oublier cet autre loqueteux, tentant de fourrer un peu plus loin une génisse de 500 kilos, maintenue au sol par une équipe de soutien. Guidant sa bite d’une main à travers la croupe du bestiau, il agite de l’autre une poignée de biftons.
Je décide qu’il est plus sage de sombrer dans un coma éthylique.

***

Le soleil est déjà haut quand j'ouvre les yeux, au milieu de la place dévastée et déserte. Je me suis effondré sous un stand, et quelqu'un a eu la gentillesse de me couvrir. Une gueule de bois tonitruante me file des crampes aux mollets. J'ai besoin d'eau minérale et d’oligo-éléments mais ne trouve qu'un fond de cidre pour satisfaire mes apports nutritionnels. Je prends donc un copieux petit déjeuner normand, accommodé d'un reste de queue de homard. J'ignore combien de temps je reste seul avec mes résolutions de sobriété inconditionnelle et le dégoût profond de moi-même. Grégoire finit par débouler au volant d'un motocycle de type Yamaha. Miraculeusement, il trimballe un thermos de café avec lui. Le temps d'en boire un demi-litre chacun, il m'explique que la procession est déjà en marche vers le site rituel, mais qu'avec de belles trajectoires, nous pouvons les rattraper sans aucun problème. Il précise n'avoir pas de casque pour moi mais je m'en fous : j'ai déjà l'impression d'en porter trois. Il ne me bande pas les yeux cette fois. Je ne sais pas s'il faut prendre ça pour une marque de confiance ou, au contraire, un détail inquiétant.

Nous rejoignons le cortège dans les derniers lacets du chemin de terre qui serpente à travers le Col de la Chiurme (alt. 1567 mètres). Tandis que nous remontons les rangs, je note que les participants ont trouvé le temps de revêtir leurs plus belles toilettes. Les hommes paradent en queue de pie et haut de forme, au milieu d'une nature hostile. Ces dames trébuchent en escarpins Sergio Rossi sur le sentier caillouteux. Ils sont moins nombreux que la veille. Tous portent des masques vénitiens. Toquards. Personne ne prononce la moindre parole. L'ambiance est très Eyes-Wide-Shut. Ouvrant la procession, deux chevaux immenses tractent une bétaillère. Une tête de con apparaît épisodiquement entre les bâches. S'ils ont conscience qu'on les mène à l'abattoir, ils n’en laissent rien paraître. Ouvrant la procession, une sorte de poney traîne derrière lui une charrette dans laquelle je pense identifier un lance-flamme. J'ai tellement la nausée que je n'ai même pas vraiment l'occasion de me demander à quel moment cette vaste blague va se prendre fin. « Où sont passés les bouseux ? » je demande à Grégoire. « Ça s’est pas bien terminé, hier soir » répond-t-il, « On s’est quittés fâchés, avec nos amis éleveurs. Aucune importance, de toute façon… ». Je voudrais me tirer d'ici. En même temps, la curiosité me dévore. Michel, je te hais. Je te hais toi, les seins de ta femme, ta Cholé et ses saloperies de coliques du nourrisson. Tu m'as bien baisé la gueule avec tes francs-maçons. Grégoire et moi mettons pied à terre. Il ne me quitte plus d'une semelle. J'avise le parapet. Cette mascarade pue vraiment du cul. J’envisage de prendre mes jambes fébriles à mon cou. Le temps que je me décide, Grégoire agrippe mon bras et secoue la tête en signe de ferme désapprobation. Ça y est. La fête est finie. Je suis officiellement dans la merde. « Toi, tu me lâches tout de suite, enfoiré d’apparatchik en carton ! » je lui fais. Mauvaise idée. Je me mange une grande claque dans l'oreille, qui me fout sur les genoux. J'ai l'impression de sortir de trois jours de Hellfest. Sans faire plus d'histoires, je me relève et me remets en ordre de marche. Je ne sais même plus si nous sommes en train de monter ou descendre cette foutue pente. Je vais y passer, comme les cons officiels. Il était forcément prévu que je fasse partie du programme officiel dès le début. Il n'a jamais été question d'autre chose que d'un petit bonus journalistique.

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Les cons sont entravés à de lourds anneaux métalliques, vissés au pied de la paroi vertigineuse d'un ancien front de taille, au fond d’une carrière abandonnée. D'anciennes traces de calcination se découpent derrière eux, sur la pierre blanche. J'aimerais prendre une photo mais mon matériel a été détruit au cours de la mêlée d'hier soir ; volontairement ou non, ça n'a plus d'importance. La forme semi-circulaire de l'ancienne carrière évoque un cirque romain, ou le parfait cul de sac. Les participants sont regroupés en arc de cercle, à bonne distance des cons prisonniers de la façade rocheuse. Deux hommes débarquent le lance-flamme de la charrette, et le fixent sur le dos d'un colosse encagoulé que je n’avais pas remarqué jusqu'ici. Je l’appellerai Capitaine Flamme. L'équipement pyrotechnique me rappelle ce bon vieux Mad-Max 2, Le Guerrier de la Route : deux bouteilles de butane grossièrement soudées à un sac à dos en ferraille. Capitaine Flamme pointe la lance vers l'assemblée, qui s'écarte d’un mouvement de panique. C.F cherche visiblement une cible sur laquelle tester son matériel. Il m'aperçoit, s’immobilise. L'urine dégouline le long de ma jambe. Grégoire, toujours à mes côtés, lui adresse un signe négatif de la tête. Le poney broute à l'écart. C.F ouvre une vanne et se campe sur ses jambes. Il appuie sur la détente et libère une flamme irréelle qui embrase instantanément le petit dada. Il faut entendre une fois dans sa vie un poney hurler. C'est poignant. L'animal torché, prit de panique, galope vers la paroi et finit par se briser l’échine sur la roche. Nous baignons dans les vapeurs d'essence et de crin brûlé. Le poney cesse d'agoniser au bout de quelques secondes. Le silence revient. Le bourreau lève le pouce en direction du maître de cérémonie, qui grimpe avec difficulté sur un bloc de granit, s'éclaircit la voix une ou deux fois, puis entame son discours :

« J’espère vous me pardonnerez cette facilité rhétorique, Mesdames et Messieurs, mais je commencerai par une anecdote amusante : en Angleterre, une loi de 1677 condamnait les météorologues au bûcher. On les taxait en effet de sorcellerie. Hé bien ce décret, mes chers amis, ne fut aboli qu'en 1959 ! Il s'en fallut donc de peu, voyez-vous, que nous puissions flamber notre bon Laurent Romejko ou une Catherine Laborde ! Ah, ah, oui… Nous bénéficions une nouvelle fois d'un temps splendide. Je ne me souviens d'aucune Saint Con pluvieuse, cela dit. Quand bien même, pleuvrait-il des hallebardes, nous trouverions toujours le moyen d'embraser nos chers cons. “Le voilà bâti, ce bûcher, vous allez voir s'il ne flambera pas !” écrivait George Sand dans La Mare au Diable, que j'aime citer afin d'illustrer notre détermination.
Je tiens à saluer le travail de nos rabatteurs, qui ont su cette année encore nous dégoter du con de première catégorie. Sans eux, cette cérémonie n'aurait pas beaucoup de sens. Je n'oublie pas non-plus de remercier nos sponsors, la région PACA et la mairie de Riboul, bien-entendu. Comme l'exige la tradition, je vais maintenant nommer les cons décédés au cours de l’année, morts dans des circonstances diverses, mais qui auraient sans aucun doute fait honneur à nos flammes : Ariel Sharon, homme d'état israélien, décédé le 11 janvier 2014 ; Shirley Temple, actrice américaine semi-pornographique, morte le 10 février ; Quentin Elias, chanteur du groupe Alliage… Micheline Dax, comédienne de théâtre et chansonnière, semi-pornographique ; Yvves Marchessau, alias « La Boule », personnage littéralement incontournable de l’émission télévisée Fort Boyard. Nous perdons également deux grands patrons de l'industrie française, qui ont toujours porté bien haut les couleurs de la connerie multinationale : Jacques Servier, président fondateur des laboratoires Servier, et Christophe de Margerie, PDG du groupe Total. Enfin, notez que l'année 2015 s'annonce un cru d'exception, puisque nous avons déjà fait nos adieux à Pascal Brunner, Roger Hanin, Demis Roussos et Framboisier, le baladin. Excusez du peu...
Avant de devenir réellement assommant, je terminerai en vous remerciant tous du fond du cœur pour votre fidélité et votre présence. Vous êtes le combustible, et vous êtes la flamme. Enfin, puisque je sais que nous nous disperserons vite, comme toujours, une fois le dernier con consumé. Je vous donne rendez-vous le 23 juin, à Carnac, où nous célébrerons la Saint Paule à l’occasion de la Grande Décapitation des Agents de Surveillance du Stationnement. Je me suis laissé dire que le programme s'annonce particulièrement savoureux cette année encore.
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une magnifique Saint Con à tous. Bonne flambée. Et à l'année prochaine ! »

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Puisqu’il faut un premier, c’est visiblement notre ami punk à chien qui étrennera le lance-flamme cette année. Adossé contre le front de taille, assis dans la position caractéristique du branleur grunge, un bras tendu haut dessus de la tête, prisonnier de l’anneau en fer, il observe sans émotion la bourgeoisie se masser autour de lui. Capitaine Flamme ajuste son matériel. « Qu’est-ce que vous avez branlé de Florent Pagny, saletés de fils de pute ? » demande le semi-clodo, très calmement. Comme personne dans l’assemblée ne semble comprendre de quoi il s’agit, le con réclame à nouveau « Florent Pagny… Mon labrador, merde. Vous l’avez bouffé ou quoi ? C’était un chien roots, ça. On avait des projets, lui et moi. Vous pigez ? On était en affaires. Hein ? Non ? Laisse tomber… Hey ! Filez-moi une putain de sèche, là… Le premier qui me file une clope, je lui suce la queue, ok ? ». On s’observe un instant. Une femme sort du rang et avance timidement vers le jeune homme. Elle sort une petite boite en fer de son sac à paillette, fais mine de tendre quelque chose puis jette finalement la cigarette aux pieds de l’icône punk. « Ne vous embêtez pas avec la fellation… » lui précise-t-elle avant de rejoindre les siens. « Une menthol ? C’est vraiment tout ce que t’as, pute ? J’peux pas fumer une menthol… Personne aurait une vraie putain de clope, bordel… ». Spontanément, les spectateurs, toujours aussi muets, défilent devant le punk à chien et jettent tour à tour une cigarette devant lui. Il en ramasse certaines, les renifle, puis les balance derrière son dos d’un air dégouté. Son choix s’arrête sur un cigare d’allure cubaine qui traine parmi le reste. Arrachant le bout d’un coup de dents, il passe le cigare entre ses doigts, pour en tester la souplesse, puis sous son nez, longtemps, pour en apprécier l’arôme. Il hoche la tête, lève les yeux vers la foule et dit « Bon, et maintenant, ça vous pèterait le cul de me filer du feu ? ». Tout le monde se recule instinctivement, avant que 15 mètres de flamme vienne recouvrir le premier con de l’édition 2015.
    Et ils y passent, les uns après les autres. Je ferme un peu les yeux, maintenant. Mais j’ignore si je pourrais un jour oublier cette odeur de chairs brûlées. Au moment où le punk à chien est parti en torche, s’agitant vainement autour de son anneau en fer, venant percuter la paroi à plusieurs reprises, les autres cons se sont mis à hurler. Capitaine Flamme a jugé qu’il était préférable d’accélérer le mouvement. Le gamin asthmatique s’est révélé un barbecue sans histoire. La barbe et son hipster ont très bien pris, eux aussi. Restaient les inséparables, considérés sans doute comme l’attraction numéro un, le clou du numéro. La femme (Mrs) s’est mise à engueuler son mari (Mr). Il était question, surtout, de « faire quelque chose putain ! », de ne pas rester « planté là comme un con ». Mr ne semblait pas avoir les ressources nécessaires pour préserver son couple. Il se contenta de suggérer à Mrs d’aller se faire baiser ailleurs, genre en enfer. Telles furent ses dernières paroles. Sur cette tirade pourtant pleine de bon sens, Mrs ramassa un beau morceau de calcaire puis l’abattit à plusieurs reprises sur la tête, puis la bouillie faciale de ce qui fut un jour son âme sœur. L’assemblée apprécia particulièrement, puis mit fin aux réjouissances en immolant sans pitié la désormais célibataire Mrs Sweat-Shirt.

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La foule semble maintenant vouloir se disperser. On remballe. L’équipe de nettoyage passera sans doute plus tard, avec pelles et balayettes, ramasser les débris fumants des cons et le cadavre de ce pauvre âne-test. J’ai l’impression qu’on m’oublie un peu dans tout ça. Grégoire, devenu mon geôlier, me tourne le dos. Il essaie d’attirer l’attention des autres sur moi. « Hey, qu’est-ce qu’on fait de cet abruti de journ… ». Sa boite crânienne vole en éclats. Comme je l’apprendrai plus tard, une cartouche à balle Brenneke de calibre 12, plutôt destinée aux sangliers, vient de lui percuter le front. Ça ne fait pas dans le détail, une Brenneke. Ça n’a rien d’esthétique. Grégoire ne soignera plus jamais la moindre trajectoire. Une grande partie de ce qui constituait son visage est maintenant éparpillée dans mes cheveux et sur ma chemise. J’en ai plein les yeux, aussi. Son corps tombe à la renverse bien après que sa tête ait disparue. En tout cas, c’est le souvenir que j’en garde. Je pensais déjà tenir un bon papier mais VSD va devoir m’accorder une ou deux colonnes de rabe, étant donné qu’une horde mongole livre à présent l’assaut dans la carrière abandonnée. L’expression « faits comme des rats » est clairement la plus appropriée à notre situation. Un bataillon de péquenots en furie surgit de nulle part. Capitaine Flamme est le deuxième homme à tomber. Un peu perplexe, il tente de ramasser sa mâchoire, arrachée à son anatomie par une volée de plomb. Un peu maladroit, il se crispe sur sa lance et arrose l’assemblée d’une flamme imprévisible, allumant au passage une femme coiffée d’un absurde chapeau à plumes qui ne demandait qu’à prendre. Ca canarde maintenant à tout va. Dans un premier temps, personne ne songe à se protéger. Une douzaine de péquenauds se rue sur l’assemblée. Ils hurlent. Je ne comprends pas ce qu’ils hurlent. Je demeure prostré, moi-aussi. La fumée des fusils se mélange à la poussière soulevée par les bourgeois détalant. Les chevaux de trait, affolés, blessés, sont pris de folie et cavalent en rond dans la carrière. Ils renversent ceux qui sont encore debout, ou piétinent les corps des blessés. Les fourches traversent les cous offerts. La horde travaille surtout à l’arme blanche, maintenant. Partout, les endimanchés se débattent. Ils n’ont pas l’habitude. Ils s’agitent sans grande vigueur. Une femme est scalpée debout. La carrière résonne de vociférations et de plaintes. On ne sait plus qui apostrophe, qui agonise, qui cherche un proche, qui proteste, ou qui meurt. Je vois passer un cul-terreux recouvert d’entrailles, comme s’il s’était roulé dedans. Il est armé d’une machette. Il m’ignore, se dirige vers le maître de cérémonie, à genoux, une serpe fichée dans l’épaule. Le cul-terreux lui balance un grand coup de sabot dans le dos. L’ambassadeur tombe à plat ventre. Son assaillant lui baisse le froc et entreprend de le sodomiser, alertant ses camarades les plus proches. Un autre saute à pieds joints sur la tête d’une femme, vivante puis morte, étendue sur le dos, la jupe retroussée. Les paysans revêtissent les robes arrachées aux femelles. Les organes génitaux sont tranchés, puis brandis très haut. Deux péquenauds s’interpellent, chacun agitant une bite et une paire de couilles sanglantes dans la main.

Combien de temps dure un massacre ? Le soleil disparait derrière un col et on entend encore les râles des mourants, les cris des chevaux, couchés sur le flanc. Je me souviens être pris d’un fou-rire. Je réalise que je suis le dernier homme debout, à n’avoir jamais cultivé la terre ou conduit un troupeau. Je suis un Highlander hilare, de la merde plein son froc. Les bouseux arborent des colliers de perles, des redingotes trouées, des hauts de forme grotesques et des perruques sanglantes. Ils regroupent les corps au milieu de la carrière. Quelqu’un relève le lance-flamme. On se dispute l’équipement. On tient séance autour. On devine son principe de fonctionnement. On s’arrache la lance des mains. Le rustique en chef finit par s’en équiper et pointe l’arme vers la pile de cadavres. Il dit, « Maintenant brûlez tous, tas de cons ». Et la flamme colossale recouvre longtemps la pile, jusqu’à ce que l’appareil se mette à crachoter, puis s’éteindre. Plus de butane. Des cris de joie s’élèvent. Celui qui épaulait le lance-flamme me remarque enfin. Il s’approche, lentement.
—    Tu vas avoir de quoi écrire pendant un p’tit bout de temps.
—    J’écrirai jamais rien là-dessus, croyez-moi.
—    Tu ferais bien de t’y mettre, au contraire.
—    Je pourrai jamais.
—    T’as plutôt intérêt de t’y mettre, vu ?
—    D’accord.
—    Bien. Maintenant, fous le camp.