La Flambée de Flax #SaintCon2015

Le 13/04/2015
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par Muscadet
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Thèmes / Saint-Con / 2015
La mythologie de la Saint Con s'enrichit avec ce reporting posté par un de nos émissaires temporels. Muscadet veut nous faire croire qu'il est le narrateur de son propre texte, une sorte de journaliste gonzo genre Hunter S. Thompson dans une époque médiévale toute droit sortie de la collision des branes oniriques du Seigneur des Anneaux et de Warhammer. En fait je suis pratiquement certain que l'auteur est en fait la légendaire et mystérieuse femme Léopard qui est à donf héroïc fantasy, RP en plein air et rodéo de sanglier en tenue d'Elfine dans le Mordor en Seine Saint Denis. Quoi qu'il en soit c'est superbement bien écrit et j'estime qu'il s'agit d'un message envoyé à notre ministre de l'éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem. "Madame, wesh grosse, c'est le cé-fran, la langue morte que t'aurais dû éjecter du lège-co, batracine, wesh. Joue pas les te-pu avec les chrétiens genre qui vont plus rien capter pendant les sse-mé old- school." Ceci est un autre débat, cela dit, pour comprendre ce texte en excellent François, les élèves aujourd'hui en 5eme et leurs petits reu-frés, n'en doutons pas pourront toujours utiliser Google Translate et d'autres innovations qui fleurirons dans l'esprit génial des entrepreneurs de start'up qui sauveront la France de la crise. Achevons les langues mortes ! A vous cognacq jay.
Nous cravachions sans relâche depuis deux lunes et nos sangliers de trait haletaient furieusement dans la nuit. Nos éperons de houx tannaient le cuir des bêtes jusqu'au sang et il fallu bientôt se résoudre à abattre le plus récalcitrant. A contre-cœur, nous fîmes halte.
La participation de Guillaumin prendrait donc fin ici-même, dans l'arrière-pays moltois, à plus d'une centaine de lieues de la citadelle où nous espérions encore arriver à temps.

« Nécessité fait force de loi, Guillaumin. Mon tempétueux, puisse ton groin fouiner les sous-bois jusqu'à la fin des temps et ta queue joviale frétiller sous la brise qui caresse le monde. »

Guillaumin ne s'intéressait pas à ces salades et ronflait d'épuisement alors que de longs filets de bave pendaient de ses courtes défenses émoussées, c'est donc sans autres démonstrations affectées que Bertignol l'acheva de son tromblon. Nous allions devoir abandonner une partie de notre inventaire pour charger la dernière bête, Centurion, qui péta de mépris pendant que j'harnachais les vivres à son flanc.
A tour de rôle et toutes les six heures, l'un de nous marchait au-devant pour guider l'attelage rendu vacillant par la surcharge.

« Raconte-moi encore, Muscadet, me lança Bertignol sur un ton désinvolte pendant que je suais en pleine côte, tirant la bride à m'en boursoufler les phalanges, comment t'y es-tu pris pour nous avoir ces invitations à la Flambée ? A ma connaissance, le divertissement ne concerne pas les gens de notre extraction. Aurais-tu soudoyé un notable, ou violenté quelqu'un ?

Bertignol aimait bien parler. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qu'il plissait légèrement les yeux et voir son petit sourire grimaçant qui un jour le ferait tuer. En attendant, il traversait l'existence en distribuant sa sagesse et sa satisfaction à ceux qui avaient trop peur de la loi pour en finir avec lui.
Il était mon cousin, et nous avions toujours été présentés ainsi, du reste je n'ai jamais cherché à vérifier ou à contester.

« Non, ce n'est pas tout à fait ton genre, poursuivit-il.

Le dénivelé me paraissait insurmontable, Centurion rugissait de haine et notre progression à l'heure était devenue dérisoire depuis que nous avions atteint les collines. Il nous faudrait délester et prendre du repos au premier établissement dans les environs, quitte à nous dérouter.

« Tu aurais plutôt quémandé, ou rusé. Tu as cette aptitude inouïe et que je ne comprendrai jamais à chouiner toutes sortes de choses effarantes aux simples d'esprit pour obtenir satisfaction. Je te connais comme si je t'avais fait, mon pauvre Muscadet.

- Berti, je ne tiens pas à perdre notre dernier sanglier. Prends les devants, je suis à bout de souffle.

- Seigneur, voyez-vous cela, mon Muscadet chouineur est à bout de souffle. »

Bertignol persiflait, les poings sur les hanches, juché sur Centurion qui s'était arrêté sur le bas-côté pour fixer le caillou en face de lui comme s'il était sur le point de le dévorer.

D'auberges de villages en camps de fortune lorsque nous n'avions pas d'autres choix, notre équipée atteint les faubourgs de la citadelle de Flax non sans quelques incidents. Par miracle, les festivités venaient de débuter la veille et les réjouissances urbaines nous tendaient les bras pour les jours à venir.
Naturellement, nos biens s'étaient nettement amenuisés, quoique suffisants maintenant que nous avions la possibilité de troquer le dispensable et nos babioles auprès des boutiquiers de la citadelle et nous assurer ainsi un retour à peu près confortable.

Bertignol avait failli perdre nos têtes aux cartes dans une taverne de Trois-Tours mais la chance souriant toujours aux pires, ses adversaires maladroits avaient fini par blesser un voisin de tablée, parfaitement innocent dans cette affaire mais beaucoup moins enivré, ce qui eut pour effet de créer une sanglante diversion au bénéfice de Berti qui s'échappa pendant que je niais tout lien avec lui auprès du responsable des lieux.
J'en entendis parler jusqu'à Flax.

La Flambée a lieu une fois toutes les trois années, la première semaine du mois du milieu et il en a toujours été ainsi. On y purifie les souffrances des ans passés par le feu, parfois quelques prisonniers gardés en vie jusque-là pour l'occasion, mais également tout individu sur ordre du Duc de Bielle dont les ancêtres auraient eux-mêmes fait bâtir la citadelle.
Un amphithéâtre à ciel ouvert de taille déraisonnable est dressé en son centre, les meilleures places reviennent à la famille du Duc et à ses invités, aux grands propriétaires terriens ou aux familles aristocratiques de la région. Le restant disponible se monnaye à prix d'or et les courtisans se battent bec et ongles pour espérer y figurer ; on dit qu'impressionner le Duc et ses proches lors de la Flambée est le plus sûr moyen d'ascension sociale et ne serait-ce qu'assister à la Flambée de l'amphithéâtre est une expérience privilégiée dont on parle avec déférence, qui fait l'objet d'un véritable protocole, le blasphème à ce sujet étant puni de torture conduisant dans presque tous les cas à la mort (Hermion « le Poussin » en est la seule exception, énucléé et amputé des bras pour avoir fanfaronné lors de la célébration, il acquit son surnom à la manière absurde dont il battait des moignons).

A mon retour à la maison, j'ai longuement expliqué à la famille comment nous en étions arrivés à cette regrettable et néanmoins prévisible conclusion. La nouvelle a été digérée avec un fatalisme rentré, surtout du côté de mon père et de mon oncle, qui se sont brièvement regardés d'un air entendu après que j'aie développé toute l'histoire. Ma tante a sangloté pendant quelques jours mais elle savait bien, elle aussi. Tout le monde connaissait Berti.

Nous étions à peine entré à Flax qu'il sautait d'étals en étals comme une puce, harcelant maraîchers et armuriers, alpaguant les chalands, s'amusant à répondre aux crieurs publics pour les embrouiller.
« Je ne suis sûrement pas l'un de ces bouseux de Bas-Marais, l'entendis-je rétorquer à un tailleur très pâle qui était resté stoïque tout du long de manière admirable, à qui tu refiles le produit de tes maquignonnages.

Il n'arrêtait plus.
« Non mais.. Muscadet ! Muscadet, viens voir ça. Ah, l'aigrefin ! Quatre pièces pour des gants mités de la citadelle. 'De la citadelle', ah mais il faut l'entendre pour le croire !

- Ainsi vont les choses à Flax, je présume. Monsieur essaye de gagner sa vie d'elfe blanc, laisse-le en paix. »


Prenant la foule à témoin.
« Je viens avec mon Muscadet, au terme d'un voyage des plus périlleux, pour me faire saigner par un misérable allogène albinos. C'est quand même quelque chose, non ?»

Disons que nous nous fîmes remarquer.
Le plus souvent, ça n'allait pas bien loin et les habitants rompus aux frasques diverses ne lui portaient qu'un regard lassé ou vaguement réprobateur. Je gardais un souvenir encore frais de l'épisode des Trois-Tours, et connaissant son inclinaison à transformer les situations paisibles en coupe-gorges, je finis par lui confier l'origine de nos places à la Flambée pour rediriger ses humeurs.
Il s'agissait d'un service discret rendu à un jeune couple de passage ; je compris au témoignage de leur gratitude qu'ils étaient de bonne lignée, sans qu'aucun nom ne soit prononcé ce jour-là.

« Oh, mais c'est qu'il serait entremetteur à ces heures perdues, mon Muscadet. On encanaille la noblesse et nous voilà à une Flambée !

- Oublie donc ça. Regarde plutôt le programme des incinérations : demain après-midi, ils mettent l'ancien menuisier du Duc en personne. Eh oui. »


Je parvenais de temps en temps à le passionner pour un sujet ou un autre, évitant de-ci de-là une catastrophe ou un échange mal engagé ; une stratégie héritée de mon expérience du couple, chez moi, à Pouif.
Mais rien n'aurait pu arrêter la course vers le néant de Bertignol. Le monde lui appartenait jusqu'à ce que la chance tourne, ou plutôt se venge du fraudeur qu'il était. Certains l'appelaient Berti le Sec tant de fois il était passé entre les gouttes, ce n'était pas tout à fait drôle mais il riait.

Le second soir de la Flambée, le comptable ducal ouvrit les débats avec des tonalités aiguës. Puis vinrent des taupes et des truies, des voleurs et des violeurs de la prison de la citadelle, parfois en même temps, selon les indications du Duc qui gesticulait sur son estrade en faisant de grands signes aux placeurs du bûcher. Ces derniers s'empressaient de pousser, tirer ou traîner hommes et animaux jusqu'à les enchaîner selon la configuration voulue. Rapidement l'action devint illisible, les animaux affolés chiaient sur les prisonniers qui hurlaient et les flammes envahirent le tout dans un globe orangé tonnant et crépitant.
Dans les rues de Flax dont le grondement parvenait jusqu'à nos gradins, les habitants rendaient aussi hommage au feu purificateur en installant de petites flambées artisanales, sans commune mesure avec l'originale, mais qui faisaient tout de même leur office en réduisant en pantins noircis puis en cendres les importuns du jour ou les ennemis de longue date.
L'odeur devint terrible dès le coucher du soleil, les émanations de graisse brûlée imprégnaient l'air et se mêlaient à la sueur sur la peau, un bain prolongé ne suffit pas à m'en débarrasser et je restai poisseux des jours durant.
Chaque nuit la Flambée était vue, disait-on, à une vingtaine de lieues à la ronde.

La nourriture servie dans l'enceinte de l'amphithéâtre était de grande qualité, jamais un tel festin n'avait été vu à Pouif ou dans aucune autre cité de ma connaissance. Au menu des perdreaux en gelée, du pain perdu, de la couenne fumée, des palourdes aux fèves (moins bien), du saucisson d'âne, des filets de truite, du vin à foison.

Berti appréciait le spectacle à sa façon, convulsant d'un rire fou et se créant de nouvelles inimitiés dans le public des invités.

«  Mais ce sont de vrais dégénérés, ces flaxois, des faons, des taupes, non mais ahahah ! Et puis c'est immonde, ce fumet là. Roh ! Ahah, bande d'affreux ! »

Il tentait de se servir du programme des incinérations en guise d'éventail et de sa manche pour se couvrir le nez mais c'était peine perdue.

Certains spectateurs des premiers rangs avaient été évacués, on dénombrait des brûlures à divers degrés et quelques décès, pas nécessairement dûs au feu. Des dames avaient défailli dans les tribunes et on s'affairait autour d'elles. A deux reprises, un mouvement de panique emporta une portion de l'amphithéâtre en face de nous avec son lot de morts par piétinement ou étouffement.
On ne s'entendait guère car la foule s'était mise à crier continuellement.

Berti apostrophait à la ronde, en traitant tout le monde de singe malade et en riant au nez de ceux qu'il trouvait les plus laids ou les plus idiots, en proie à une transe délirante. La graisse lui montait au cerveau alors que le Duc ordonnait qu'on ajoute de l'alcool de menthe sur les assassins condamnés à la Flambée pour atténuer les odeurs de combustion.
La décision fut saluée par le public mais j'en avais déjà assez, l'atmosphère n'était plus suffisamment respirable à notre altitude et je cherchais Berti des yeux pour lui proposer d'en rester là pour aujourd'hui quand je le vis plusieurs rangées en contrebas, à débattre du niveau de civilisation de Flax.
Quand ses interlocuteurs le saisirent pour l'emmener hors de l'amphithéâtre, je sus qu'il ne me restait plus qu'à faire profil bas. Je suivis le cortège à bonne distance, l'apercevant qui émergeait parfois de la masse de ses ravisseurs pour les maudire.

« Enfants de babouins ! Lâchez-moi mais ah, ah, lâchez-moi, pourritures infâmes ! Saloperies ! »

Ses vêtements se sont embrasés au contact des torches que les habitants tendaient vers lui en hurlant des odes approximatives à la Flambée, beaucoup participaient pour le principe, ignorant ce qu'on lui reprochait, et se mirent à courir en cercle autour de lui au gré de ses mouvements incoordonnés. Il poussa des cris aigus et des râles résonnants, d'abord en pivotant comme une toupie de feu puis en se roulant dans la poussière, molesté par les flambeurs à coups de pieds et des torches. Il tenta encore de bouger un peu, un bras, puis plus rien.
Les festivaliers étaient d'ores et déjà en train de chasser leur prochaine cible, ils se dispersèrent en groupes dans les rues avoisinantes, frappant ou défonçant les portes de certaines maisons, lançant des torches dans les étables et se rejoignant à diverses intersections de la citadelle pour y partager leurs prises autour des bûchers de quartiers.

J'abandonnai à regret Centurion à l'écurie de la citadelle par mesure de sécurité et me résignai à marcher : on nous avait vus ensemble à notre arrivée et Berti avait proposé des restes de viande de rat au palefrenier contre la nuit avec sa fille.

Le retour à Pouif m'a pris près d'un mois et j'ai eu faim et froid.