J'avais pris des couleurs #TDM2015

Le 25/06/2015
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par CTRL X
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Thèmes / Semaines Textes De Merde / Semaine 'textes de merde' 08
Très poétique #TDM2015 de CTRL X , voire Oulipesque #genreVoilaPourquoiRaymondQuenaud en couverture. Le narrateur est insupportable comme un vieillard à la sénilité conversationnelle avancée mais on lui pardonne (au narrateur, pas à CTRL X #FautPasDéconner) parce que c'est quelqu'un de notre famille et qu'on l'aime bien. C'est un peu comme si Michel Lebb avait remplacé Audrey Tautou dans Amélie Poulain. On a frotté les murs avec du curry comme #LesFatalsPicards Par contre faudrait intégralement réexpliquer le concept de la semaine textes de merde à l'auteur parce que c'est de super bonne facture.
Ce texte est dédié à ma hanche gauche. Tu as toujours été là pour moi.
Je pénétrai dans le photomaton et fus accueilli par un chinois d’environ sept ans qui m’offrit une coupe de cheveux et une autre de champagne. J’étais ravi de l’une comme de l’autre. Je l’avais vu dans un film, ce jeune bridé, mais impossible de me souvenir lequel. Police Academy quatre, peut-être. Bref, c’était pas tout ça, mais j’avais besoin de me reproduire en quatre exemplaires afin de prouver mon identité en cas de contrôle. Le type de la préfecture avait bien insisté là-dessus : « Ne souriez sous aucun prétexte, ayez une attitude neutre sinon ça vaut pas ». « Pourquoi voulez-vous que je me marre ? Cette histoire de vol de portefeuille, je l’ai encore en travers de la gorge au cas où vous penseriez que j’apprécie qu’on s’empare de mes affaires à la dérobée, pendant que je pisse contre un arbre ? Quel arbre ? Je n’y connais rien » avais-je répondu bien plus tard, dans le bus.

Le jeune asiatique m’invitait à introduire une pièce de deux euros dans la machine afin que nous passions à autre chose. Mon grand-père m’avait un jour fait assoir sur ses genoux et juste avant de mourir, il avait dit : « Tiens. Prends donc ça, fils de putain ». Houa, c’était une pièce de deux euros ! En 1987, fallait le faire. Mais bon, je l’avais perdue tout de suite alors je suis allé faire de la monnaie au tabac et je suis revenu dans le photomaton. Au fait, on était à la gare de Rennes.

—    Deux euros ! C’est du vol, tu le sais ça ? Je pourrais m’acheter une demi-baguette tradition séculaire 1900 pour le même prix. Je pourrais me faire désenvouter, si ça se trouve, parce que figure-toi que je commence à me demander si on m’a pas un petit peu envouté en cinquième, pendant que je traçais un cercle avec mon compas. Je me souviens très bien maintenant… Je m’étais bien appliqué mais une fois que le cercle a été fermé, plus rien n’a jamais été pareil. J’ai commencé à aimer Radiohead, par exemple.
—    Deux eulos… a réclamé Kung-fu Panda sans sourciller.
—    Ouais ben même, c’est vache.
—    Photo, tlès belle. Toi, tlès satisfait.
—    Mais enfin, tu repenses parfois à tes années collèges, toi ?

J’ai insert-coins sans demander mon reste parce que quand même, on a tous besoin de ses petits papiers officiels, n’est-ce pas ? Je ne dis pas le contraire. Ca, pour nous foutre une laisse dans le fion, les mecs du gouvernement n’ont pas leur pareil. Moi, je vote Bayroux alors ça passe mais j’en connais qui… Enfin, vous voyez très bien de quoi je parle.

J’ai placé ma tête de con au milieu de l’ovale censé vous aider à placer correctement votre tête car il n’y a rien de pire qu’une photo d’identité de poitrine.

—    Vous êtes plès ? a demandé Jacky Chan.
—    T’es vraiment obligé de t’exprimer comme le blanchisseur, dans Lucky Luke ? ai-je répondu par l’interrogative.
—    Pour tout vous dire, je prends l’accent parce que les gens aiment l’exotisme mais j’étudie en fait les codes de navigation à l’université de Columbia, Ohio.
—    Ta gueule, je te dis ta gueule une bonne fois pour toute.
—    Tlès bien…

Mon jeune assistant actionna le mécanisme et un compte à rebours s’enclencha, afin que je me tienne près à afficher une expression neutre. Or, je souffre de troisdeuxunphobie, c’est-à-dire la phobie des comptes à rebours. J’ai toujours l’impression que je vais mourir à la fin. J’ignore pourquoi. J’aurais pu être astronaute au lieu de souffleur de verre. Mais non, dans le cul.

—    Arrête-moi cette merde ! hurlais-je à l’unisson, tandis que les chiffres défilaient en gros caractères flippants sur l’écran du photomaton.
—    Allétez quoi ?
—    Mais ça, là, ce putain de décompte. Il ne reste plus que 15 638 secondes !!

Bruce Lee reconfigura toute la putain de machine pendant que je rendis visite à ma tante, qui habite Roanne, je sais pas si vous connaissez, mais enfin il y avait un train et je me suis dit, allez. Trois jours plus tard, j’étais de retour et j’avais pris des couleurs.

—    Vous l’avez pli des couleuls, me félicita Dien Bien Foufou.
—    Plus un mot avant l’apocalypse, ordonnais-je.
—    J’ai leconfigulé entiellement le système. Plus compte à reboul maintenant.
—    Dans ce cas, procédons.

Il y eut un flash assez violent. Le temps d’éteindre ma cravate, les clichés étaient tombés dans la petite fente qu’ils mettent à l’extérieur de la machine, pour qu’on puisse récupérer ses photos. Pourquoi ils ne la mettent à l’intérieur, je l’ignore mais ils doivent avoir leurs raisons. Je fus relativement surpris de constater que je ressemblais comme deux gouttes d’eau à un abruti notoire.

Des années plus tard, je conduisais complètement saoul au retour d’une assemblée générale de la crèche parentale de mon quartier. Je n’ai pas d’enfant mais je me fais chier. Bref, un fonctionnaire de police qui ne faisait que son travail m’a arrêté en l’état et a demandé à voir mes papiers. Il a regardé longtemps ma carte d’identité, avant de dire :

—    Vous vous ressembliez tellement, sur cette photographie.
—    Hier encore, j’étais moi-même.
—    Et où est-ce qu’elles filent exactement, toutes ces années ? Le savez-vous ?
—    Vous n’aurez pas ma liberté de penser, je vous le dis tout de suite.
—    Vous avez bu quelque chose, avant de prendre la route ?
—    Ca dépend, ça dépasse.
—    Très bien, je vais vous laisser trois secondes pour me convaincre que vous êtes sobre…
—    Non. Ne faites pas ça, je vous en prie….
—    Trois…
—    Pitié !
—    Deux…
—    Arrêtez, putain ! Je fonds…
—    Un…

Eh bien, je ne suis pas mort, mais ça ne m’a pas guéri non-plus.
Le jeune chinois est aujourd’hui gardien de phare sur la presqu’ile de Quiberon. Il vit encore.