Lieu commun numéro deux : "Noel au balcon, Pacques au tison"

Le 05/02/2016
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par CTRL X
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Rubriques / Lieux communs
Mill a lancé une Rubrique "Lieux communs", et il me semble que ceux qu'il signe de son nom sont tirés de son bouquin et de ses chroniques du "Cri de la Chtouille". Cependant en postant le premier d'entre eux, Mill a invité les zonards a y participer comme s'il s'agissait d'un dossier. ça semble avoir beaucoup inspiré CTRL X qui en une pause déjeuner nous a pondu cet excellent N°2, une scène improbable de théâtre ayant lieu au quotidien dans tous les openspaces de France et de Navarre. Quelque part entre du Bertolt Brecht ayant subit une lobotomie réparatrice et du Laurent Ruquier, un des rares auteur de théâtre de nos jours à vivre de son art en occupant la plupart des salles. Ce texte parle de la pluie et du beau temps, sempiternelle discussion depuis que l'Homme est doté de la parole. Aujourd'hui il y a même un parti politique où ils ne parlent que de ça. Gros filon donc, gros potentiel de dictature à venir, une tyrannie verte telle qu'elle existe chez les Ewoks et sur Pandora, puisque tous les esprits sont mûrs pour l'avènement d'une écolocrature, tout du moins tout le monde ne parle que de ça. Vivement la peine de mort pour avoir mal trié ses déchets.
Observation du ciel, anticipation des données climatologiques, invention toute récente du concept de températures "ressenties"… Ces valeurs républicaines constituent aujourd’hui un vecteur très fort de lien social. Immersion au sein d’un bureau parisien climatisé :

—    Je ne supporte plus la chaleur depuis ma troisième grossesse. Dès qu’on passe légèrement au-dessus des valeurs saisonnières, je me mets déjà à suer du fion comme une truie.
—    Moi quand il pleut, j’ai envie de me tuer. J’ai l’impression que c’est un affront personnel. J’ai vraiment l’impression qu’on fait ça pour me pourrir la vie. Alors, oui, dans ces conditions, je préfèrerais encore mourir, je crois…
—     Ok, mais les agriculteurs attendaient ça depuis longtemps, tout de même, François.
—    Moi, je connais un agriculteur.
—    Moi, je me souviens, les hivers quand j’étais petit, c’était pas des hivers de suceurs de pines comme maintenant. On les sentait passer.
—    Oh oui, il a raison ! J’adorais le bruit que ça faisait, moi, quand on marchait dans la neige avec nos bottes en plastique.
—    Sylviane, c’est pas de ça qu’on parle. Merde ! Tu fermes ta gueule tout de suite. On t’a pas sonnée, pétasse de mes couilles. Moi, j’ai grandi au bord de la mer et je peux vous dire une chose : équinoxe….
—    Vous savez que si ça continue comme ça, j’ai peur que ça ne s’arrête jamais.
—    Un battement d’aile de papillon à Damas peut provoquer la mort par noyade de milliers de personnes.
—    Oui mais on s’en fout, putain ! Ce qui compte, ce sont les anticyclones des Açores ! ça c’est vraiment du lourd, les mecs. J’veux dire… OK : une dépression anticyclonique de plus, et on est tous bons pour la casse, ok ? Mais on va où, là ?
—    On ne sait plus comment s’habiller, quoi…
—    Une veste en Gore-Tex, ça passe partout, je pense.
—    Non, je me suis mal exprimée : on ne sait littéralement plus s’habiller. On ne sait plus enfiler ses chaussettes ni à quoi sert un chapeau. Moi-même, je m’habille très péniblement. Je suis devenue très maladroite. Je me lève à quatre heures du matin, c’est éreintant.
—    Excusez-moi mais… Y’avait des glaciers, ici, avant…
—    Quoi ?
—    Y’avait toute une chaîne de glaciers ici, avant ! Allez quoi, vous foutez pas de ma gueule. Je sais bien qu’ils étaient là…
—     Mais Michel, ça va pas non ?
—    Celui qui les a pris, il les remet tout de suite. Je vais sortir deux minutes et quand je reviens…
—    Michel, tu te calmes ! Personne ne vole les glaciers dans cette boite. Ils sont surement tombés derrière ton bureau.
—    Ah oui… Au temps pour moi, ils sont là.
—    De toute façon, c’est à cause des usines. Ils mettent des usines partout et puis voilà.
—    Voilà quoi ?
—    Ben le réchauffement, là... Les hivers de suceurs de pines. Daesh. La cigarette électronique.
—    Les usines ?
—    Bingo.
—    Mais de quoi tu parles, putain de ta race ? Depuis quand t’as pas vu une nouvelle usine sortir du sol ? Tu connais l’état actuel du secteur industriel ? Tu veux que je t’emmène à Merlebach, avec moi ?
—    Tu as grandi en Lorraine ?
—    Oui…
—    Mon Dieu. Je suis désolé, je n’aurais jamais du… SI j’avais su…
—    Ce n’est rien. Mais à l’oreille, je peux te dire que tu ne sais pas placer les accents circonflexes et ça me fout en l’air car je pensais que tu étais un ami…
—    Mais c’est bientöt fini tout ça, au cul la ponctuation !
—    Comme les glaciers…
—    Michel ! Va te tuer quelque part, je t’en prie.
—    Non mais tout ce que je dis, c’est que…
—    Regardez, il pleut.
—    Mais pourtant… Je ne comprends pas. Ils ont dit hier soir que les mouvements anticycloniques laissaient présager un temps ensoleillé en dessous d’une diagonale Brest/Lyon…
—    Pour ou contre les essuie-glaces automatiques ? Allez, soyez francs…
—    Contre.
—    Contre.
—    Contre.
—    Pour.
—    Equinoxe.
—    Je voudrais mourir.
—    Pour, si ta bagnole est allemande. Sinon, contre.
—    Non mais quand même, vous vous souvenez de ce petit bruit que ça fait ? Comme un crissement ? Quand on marche avec des bottes sur la neige fraîche ? Vous voyez pas ?
—     Sylviane, écoute moi bien... Tu places tes accents circonflexes à la perfection mais je vais devoir te demander de prendre un taxi, te rendre au centre hospitalier le plus proche et demander le professeur Jacquemine afin qu’il suture sans aucune forme d’anesthésie ces deux grosses lèvres de connasse nostalgique que tu persistes à agiter devant nous alors que c’est pas la question, le bruit de la neige, sale pute !

Troublant, assurément. Les enjeux climatiques ne cessent d’alimenter la névrose et, parallèlement, d’encourager une certaine forme de lien social. Cet état des lieux n’est pas seulement parisien car en effet, nos régions ont du talent et il semblerait que la montagne, ça vous gagne. Pour autant, si l’homme blanc commande beaucoup de bois de chauffage, l’indien saura-t-il en tirer les conclusions qui s’imposent ? Lorsqu’elle chantait « Comme un ouragan », Stéphanie de Monaco essayait-elle de nous dire autre chose ? Les essuie-glaces automatiques sont-ils responsables de la paresse intellectuelle qui semble avoir frappé le vieux continent ? Les frères Kouachi ont-ils agi seuls ? Vraiment ? Et pourquoi n’a-t-il pas plu, ce jour-là ?