Jet de bile n°2

Le 14/02/2016
-
par Mala Espina
-
Rubriques / Jets de bile
J'ai pensé que cette intervention littéraire de Mala Espina convenait tout particulièrement à cette journée de la Saint-Valentin. Voilà pourquoi je publie le N°2 aujourd'hui après le N°3 et vous la dédicace à tous. Derrière la Goth aigrie se cache une poétesse maudite qui frappe juste et fort là où ça fait mal. Ne lui tenons pas trop rigueur de ses insultes et invectives, ça ne peut-être que du Role Play voire un mal être pubère passager. L'écriture est si noble et si bien sentie. Et non, Mala Espina, je ne dis pas ça parce que je veux te pé-cho. Je ne veux pé-cho personne surtout après avoir lu ton texte. Pé-cho ça n'a aucun sens et vouloir pé-cho c'est une pulsion nécrophilie qui renie son nom. J'adhère à 100% à ton discours et me prosterne, accepte tes lapidations et nous devrions tous en faire de même. Cette vision des relations humaines (entre autres sexuelles) me semble bien plus enchanteresse que celle qui vient de furtivement me traverser l'esprit à l'instant : des centaines de hangars militaires remplis de milliers de barils de foutre et de jerrycans de cyprine, celle de millions de gerçures et de cloques, provoquées par des trillions de vas-et-viens dans des orifices plus ou moins appropriés, celle d'urgences encombrées par d'interminables files d'attente de couples voire triplets, quadruplets, quintets, unis tels d'improbables human centipèdes dans d'improbables coitus captivus, un éclair de lucidité sur la vérité de la saint Valentin en somme.
Allez vous faire foutre, vos corps me font gerber. Ils coulent sur ma rétine comme le foutre brûlant d'un plus riche que les autres sur les doigts prophylactiques du gamin berlinois. Ils glissent, tendrement distordus, dans le décor crû et factice de leurs orgies souterraines. Leurs mouvements chaloupés empruntent aux mécaniques la marche du rouage et l'affect du saltimbanque. A chaque épaule s'accroche un fil dérisoire, à chaque rotule et aux deux coudes, aux jointures de chaque doigt. Ils ignorent l'identité de celui qui les meut, les assoit, les allonge, mais nulle résistance, nul questionnement - ils subissent et n'y trouvent rien à redire.
Sous cette peau glabre qu'ils voilent de fringues, qu'ils masquent sous huiles et fragrances, qu'ils relèvent de crèmes, d'épices, sous cette extension de masque, le squelette pathétique d'une machine erronée. Ils portent la mort en eux. Une calavère se cache sous leurs traits délicats, les orbites blanches à peine colmatées de leurs beaux yeux ternes à reflet de faïence, le crâne d'os élimé - et les cheveux quittent le navire. Leurs organes se ressemblent et les fluides qui les traversent s'assécheront bien assez tôt, à l'aune du dernier souffle.

Il faut pourtant les voir, au moins une fois dans cette vie, cette morne et longue vie, se pavaner sur leurs allumettes de viande rance, leurs os cassants, bientôt poussière et sable noir. Il faut les voir braver la grande cagoule, celle qui trépigne et attend, les ongles corrodés. Elle sait pourtant, la gueuse, qu'elle gagnera la partie, qu'elle emportera la mise. Aucun atout qui vaille, aucun as glissé dans la manche, le jeu est truqué lorsqu'elle lance les dés. Et elle trépigne encore, elle ronge son frein, parce que la mise est chère et qu'elle déteste perdre - et elle ne perd jamais ! Elle est rêve et silence, pureté, promesse d'ailleurs, propose ses charmes indifféremment en n'offrant toutefois d'elle-même qu'une étreinte glacée, un trajet sur le Styx, une pâle biographie.

On la frôle, on l'aguiche, on la fuit, on la hait, mais qui sommes-nous pour espérer l'entraver ? On lui jette constamment des colifichets. On se signe dans son dos, on crache et on blêmit. Elle se fout royalement de toutes nos simagrées, royale dans son maintien, humble dans son avancée.

Soignez vos mines réjouies, vos faces rondes, vos gueules cassées. Activez vos sourires, renouvelez le fard sur vos pommettes en toc, gommez vos rides à coups de fond de teint, transformez-vous presto en tequila sunrise, en cruelle pantomime du moi qui vous poursuit, redessinez les trognes de vos âmes déconfites. Le corps est une geôle et la pensée son geôlier.

La peau se fane, se racornit, se craquelle, la chair se fendille et la viande s'avarie. Les os se brisent, le sang noircit, le monde est peuplé de cadavres dont les cellules dysfonctionnent par automatisme. Je veux vivre et m'affranchir du cloaque, viser la force brute d'un soleil de pacotille, jouir du bras de fer avec une lueur d'étoile, ensevelir ma cendre sous une lave ardente pour renaître en phénix dans un branle-bas de plumes. Je suis or et diamant, cuivre et charbon. Je suis gaz et torrent, avalanche et chaos. Mes nerfs dictent un poème à la vague, à l'écume, aux embruns, au ras-de-marée. Je suis un être immonde mais ma pensée soulève des monts et des collines, des châteaux, des armées. Elle fomente des complots et les plus noires révolutions contre l'usure et l'érosion, la vieillesse et le temps qui nous suçote et nous ronge. Elle s'insurge, vaine et conne, à l'assaut des chutes libres, des fouines et des dévots, réduit le sexe en cendres lorsqu'il n'est qu'animal, instinct et boucle vide.

Je suis un pan de mur dont les briques mal taillées s'embrassent et s'enchevêtrent sans jamais s'enrouer - mais je ne soutiens nulle masure, cabane ou bungalow.

Allez vous faire foutre, sans me prendre au pied de la lettre, toutefois. Ne flattez plus vos corps sous mon nez délicat. Entortillez-vous les guiboles le plus loin possible de moi, jouissez dans vos calebasses, baisouillez dans l'isoloir, ravalez votre foutre, épongez votre cyprine, effacez donc l'ardoise de mes espoirs déçus, le schéma délétère de mes pauvres illusions. Je ne veux plus de vous, je ne veux plus rien attendre, la vie m'ennuie, m'ampute et m'indiffère, et mon cesna décolle d'ici quelques minutes, en partance pour nulle part - le copilote est ivre et le commandant de bord a bouffé un space cake.

Assied-toi.

Merde et remerde.

Assied-toi et réfléchis.