Lieu commun n° 6 : Je ne regrette rien

Le 21/02/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
Nouveau billet d'humeur de Mill, nouvelle charge contre les lieux communs, un exercice de style pur en réalité et rondement bien mené de surcroit. En effet difficile de démonter une banalité sans indirectement en valider une autre. S'attaquer à l'absence de regrets, c'est un peu cautionner le lieu commun "il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis" ce qui est totalement faux puisque ça concerne aussi les psychopathes, les reptiliens, les fils de pute et les bâtards de gigolos. C'est superbement écrit et c'est le pompon dans ce tour de manège gratuit. D'ailleurs c'est un peu écrit comme un discours politique, même ternarité de la rythmique, même sens des formules et de l'argument qui fera mouche. ça me donnerait presque envie de m'inscrire sur les listes électorales. Heureusement je me reprends, je sais être ébloui, l'isoloir est un lieu commun, aussi commun qu'une pissotière sauf qu'il ne sert à rien. En particulier quand ça presse.
Je t'admire, vermisseau magnifique parmi les cloportes, je t'admire sincèrement. Je sais de source sûre que ton existence, tout comme la mienne, ne sera jamais érigée en exemple dans les manuels scolaires, les livres de culte, les veillées de camps scouts. J'ai même l'intime conviction qu'elle comporte - et la mienne également - son lot de noirceur, de blessures et de dégringolades, sa part de sottises, d'erreurs imbéciles, imputables à l'alcool, la détresse, la solitude, un jugement altéré par l'imprévu, la contingence, les accidents de la vie. Ou peut-être encore ton incapacité notoire à te comprendre toi-même, à analyser le monde, à décider d'une voie à suivre.
Je t'admire parce que tu t'es trompé mille fois et tu as trompé les autres. Tu leur a menti, tu les as blessés, intimement parfois. Tu as peut-être frappé, démoli, éreinté, harcelé, violé, déboîté, écrasé. Tu t'es sans doute enfui plus d'une fois, après une discussion au terme de laquelle tu as dû ravaler ta honte, après un accident peut-être, dont tu es responsable, en complicité avec la bouteille qui t'accompagnait, le joint, le rail, la seringue, la suceuse à tes côtés - les possibilités sont infinies - après l'humiliation quotidienne que tu piocheras dans ta cervelle et que tu exposeras toi-même à la suite de ce texte si tu en as le courage.

Je t'admire parce que tu n'apprends jamais qu'au bout de longues et interminables répétitions des mêmes bévues. Tu recommences encore et encore. Tu aimes, tu trompes, tu te sépares et tu aimes à nouveau. Si tu ne trompes pas, alors quoi ? Tu étouffes l'autre, tu le jalouses, tu lui inventes des amants, tu le maudis parce qu'il a l'air sincère lorsque tu l'accules à répondre. Livré à toi-même, tu te fais le pourfendeur du sexe opposé, champion d'une cause perdue d'avance, parce que les erreurs, encore une fois, se répètent à l'infini.

Je t'admire parce que tu cultives dans ta petite tête l'ignorance animale de ton espèce. Tu lui fournis des excuses et du terreau, tu la sèmes autour de toi comme on sème la discorde dans les rangs ennemis. Je t'admire parce que tu ne t'arrêteras jamais. Si la raison parfois opère, si ton comportement vient à se nuancer d'un tantinet de réflexion et de distance, tu continues pourtant à te planter royalement, fier de tes incertitudes, de tes excès, de tes absences et de tes refus.

Et toujours, toujours à tes lèvres, ces mots hérités de Piaf, cette phrase aberrante au sens profondément dérangeant quand tu prends la peine de la retourner dans tous les sens.

Regrette ! Ca te fera du bien de regretter. De reconnaître que, parfois, tu fus crétin, stupide et méchant. Regrette et mange tes erreurs passées, mange-les sans tarder, en mâchant bien. Tu dois te muscler la mâchoire et les mandibules. Dévore, avale et digère.

Regretter ne signifie en rien culpabiliser.